Chapitre 1 : Un nouveau printemps
C'était une des premières journées ensoleillées de l'année, l'espoir que cet hiver trop long, trop gris, trop pluvieux finisse enfin. Fatiguée en rentrant du travail, Ingrid s'installa dans son moelleux canapé cannelle en attendant le retour sa fille Annabelle. Elle profita de ce moment de calme pour sortir son smartphone et consulter son compte Facebook à la recherche des dernières publications de ses lointains amis. Un moment de détente vite interrompu par l'arrivée de sa fille.
- Maman, j'ai enfin trouvé une opportunité pour partir à l’étranger.
Tel un ouragan, Annabelle secouait souvent la tranquillité de sa mère avec ses incessants projets. Face à cette situation prévisible, mais redoutée, Ingrid s'arma d'un sourire avant d'entamer la discussion sur ce thème épineux avec sa fille.
- Viens donc t'asseoir pour me raconter tout cela, ma chérie.
- La fac nous offre une possibilité d'échange avec l'université Nationale de Cordoue, en Argentine ! C'est ce que j'attendais...
Il était évident que la suite ne lui plairait pas alors elle s'octroya une petite diversion.
- Je pense que je vais d'abord faire bouillir un peu d’eau pour nous préparer une infusion, répondit Ingrid en se dirigeant vers le coin cuisine de leur duplex.
Elles avaient pris l’habitude de discuter calmement des sujets importants devant une tasse de thé
- J’ai acheté un maté aux parfums d’agrumes en rentrant, mamoune. Tu veux le goûter ? Je suis sûre qu’il te plaira.
Ingrid constata, une fois encore, que sa fille la connaissait mieux que quiconque. Annabelle s’était arrêtée dans la boutique de thés du monde de leur quartier en rentrant pour lui apporter le réconfort dont elle avait besoin et elle déposa le mélange dans leur théière.
Le retour du Brésil avait été difficile pour sa fille, Annabelle étouffait dans ce pays aux hivers trop froids et ne rêvait que de repartir vers un pays plus ensoleillé. Pour Ingrid, cela avait été plus facile puisqu'elle avait, depuis toujours prévu de rentrer à Lille lorsque Annabelle commencerait des études supérieures.
- J'entends ton enthousiasme, ma chérie, mais cette nouvelle m'attriste un peu, déclara Ingrid en versant l'infusion dans leurs mugs personnalisés.
Jusqu'à cet instant, elle avait espéré que sa fille trouverait une destination plus proche, sans être pour autant étonnée qu’elle ait porté son dévolu sur l'Amérique latine. Pour une adolescente qui avait parcouru le monde grâce aux différentes affectations de son père, même l'Europe semblait trop petite. Et le motif de la tasse fétiche de sa fille, un avion aux couleurs chaudes, lui rappelait sans cesse ses aspirations.
- Maman, je t'avais dit que je voulais partir. Le confinement a retardé mes projets depuis trop longtemps. Il ne me reste plus qu'un an avant la fin de mes études. C'est maintenant ou jamais, répondit Annabelle en déposant les documents nécessaires à la demande de bourse sur la table.
- Je sais, répondit Ingrid dans un soupir, mais j'aurais préféré que tu choisisses une destination plus proche. J’aurai pu venir te voir pendant ton séjour là-bas.
Ingrid ajouta une cuillère de miel, petit plaisir qu’elle s’octroyait contrairement à sa fille qui faisait attention à sa ligne à l’approche de l’été. Elle enserrera sa tasse de ses deux mains et huma les nouvelles senteurs. Un geste réconfortant qui l'aidait à affronter l'inévitable fin de leur petit bonheur à deux. Pour la première fois, en quatre ans, elles allaient être séparées pendant plusieurs mois.
- Un tel voyage va coûter cher, même si tu obtiens la bourse de mobilité. Et j'imagine que tu auras envie de visiter ce pays dès que tu auras un peu de temps libre. Tu devras aussi en discuter avec ton père.
- Tu as raison, mamoune. Je contacte immédiatement papa sur notre appli. J'imagine que tu ne veux pas lui parler.
Ingrid préférait que sa fille s’adresse elle-même à Jean dès qu'il s'agissait d’argent. Leur situation n’était pas claire puisqu'aucun d'eux n'avait demandé le divorce, mais Jean leur assurait un niveau de vie qu’elle n'aurait pas pu s’offrir seule. Parfois, elle suspectait qu'il utilise son état civil comme excuse face à l'insistance de sa maîtresse et qu'il restait peut-être un espoir pour leur couple. Mais maintenant que le projet de départ de sa fille se concrétisait, elle avait l'impression de perdre le dernier lien qui la rattachait à son passé. Ingrid venait de retrouver ses parents qui lui avait manqué pendant ces années d’expatriation. Et elle commençait à s’épanouir professionnellement grâce à une nouvelle activité de consultante indépendante pour une multinationale. Au moment où son avenir professionnel s’éclaircissait, un gros nuage affectif se formait.
***
Annabelle referma la porte de sa chambre derrière elle avant d’ouvrir son ordinateur. Le mur en face de son bureau était couvert de photographies et de cartes postales du Brésil qu’elle regardait souvent avec nostalgie. Elle ne pouvait rentrer dans le pays de son adolescence, mais le pays voisin lui ouvrait ses portes. Elle espérait pouvoir parler immédiatement de son projet avec son père mais elle lui envoya d’abord un message pour être sûr de ne pas le déranger pendant une de ses réunions.
Hello papa, j’ai une super nouvelle à t’annoncer. Je peux t’appeler ?
Ils se parlaient souvent par visio mais Annabelle regrettait de ne pas pouvoir voir son père plus souvent. Vivre sur des continents différents, avec autant d’heures de décalage horaire, ne facilitait pas les contacts et encore moins les rencontres. Aujourd’hui elle avait de la chance, elle ne dût attendre que quelque minutes avant que son père ne l’appelle.
- Bonjour ma fille, j’ai un peu de temps avant ma prochaine réunion. Dis moi quelle est cette bonne nouvelle.
- Papounette, j’ai la possibilité de partir en Argentine le prochain quadrimeste. Tu m’aideras?
- Je suis content pour toi, je sais que tu rêvais de revenir par ici. Mais tu ne parles pas espagnol, ce n’est pas un problème pour cet échange ?
- Non, les cours se donnent en anglais et j’ai un niveau suffisant pour être éligible. Je dois juste réussir tous mes examens de l’année.
- Pour ça, je te fais confiance. En quoi veux-tu que je t’aide ?
- Quelques conseils pratiques et aussi, si possible de quoi rassurer un peu maman qui est inquiète de me voir partir si loin.
Jean fournit à sa fille les informations dont il disposait. Puis, comme sa secrétaire venait de l’informer que le consul l’attendait, il lui promit de la contacter du week-end pour en parler plus tanquillement.
Annotations