Chapitre 2 : Une autre vie
Pendant qu'Annabelle s'isolait dans sa chambre, Ingrid se dirigea vers la grande baie vitrée qui donnait sur la Grand'Place, le rendez-vous de tous les Lillois. La vie s'éveillait au pied de son immeuble, beaucoup de jeunes se prélassant aux terrasses. Elle se laissa aller à la nostalgie, se rappelant l'époque où elle suivait son mari à travers le monde au gré de ses affectations en tant qu'ambassadeur. Le souvenir de la vie parfaite qu'elle avait essayé de conserver lui revenait plus souvent à l’esprit lorsqu’elle était fatiguée. Une période grandiose qu'elle avait vécue pendant une quinzaine d'années, mais qui présentait aussi ses inconvénients. Le revers de la médaille, lorsqu’on épouse quelqu’un d’aussi beau et ambitieux. Elle avait toujours su que les hommes de pouvoir pouvaient subir de nombreuses tentations et ses efforts pour être toujours tirée à quatre épingles n’étaient sans doute plus suffisant pour empêcher le premier écart de son mari.
- Mon amour, c’était une erreur. Tu es la seule femme qui compte pour moi. Sans toi, je partirai à la dérive, avait déclaré Jean pour tenter d'adoucir son épouse.
- Pourquoi m’inflige-tu cela ? J’ai quitté ma famille et mon pays pour te suivre, sacrifié ma carrière pour être toujours à tes côtés. N’ai-je pas tenu ma place à tes côtés lors des réceptions protocolaires ? Je t'ai toujours soutenu tout en assurant l'éducation de notre fille.
- Je sais et je t'en suis infiniment reconnaissant. Mais ce soir-là, tu étais absente et je me suis laissé entraîner par l’alcool et l’ambiance. Ne brisons pas notre si belle entente pour une erreur.
Jean semblait regretter son égarement et il lui avait juré de ne plus jamais recommencer. Ingrid avait fini par lui pardonner, préférant croire à des excuses peu convaincantes plutôt que de perdre une vie qui offrait bien plus d'avantages que de sacrifices. Elle pensait que leur amour était devenu plus sage, ennuyeux aussi parfois et qu’elle pourrait tourner la page et préserver les apparences. Bien que son apparence scandinave suggérait qu’elle était distante et indifférente, son cœur saignait.
Quelques années plus tard, une personne bien intentionnée l’avait informée d’une nouvelle infidélité de son mari. Cette fois, Jean lui avait simplement répondu qu'il était faible, qu'avec le temps la passion s'émoussait. Il espérait qu'elle pourrait à nouveau passer l'éponge mais ce ne fût pas le cas. Si elle acceptait assez facilement de pardonner certaines erreurs, elle ne tolérait pas que celles-ci se répètent. Une vie de luxe ne compensait pas la perte d’estime personnelle qu’elle encourait si elle restait, surtout qu’il lui en restait déjà si peu. Elle profita du courage qui lui était venu avec la colère pour préparer les valises et elle était rentrée au pays quelques mois avant Annabelle qui devait la rejoindre pour commencer ses études.
Après avoir vécu pendant des années dans la mégapole de Brasilla, elle ne s'imaginait pas vivre ailleurs que dans une ville, et dans le nord pour retrouver ses parents. Lille s'était naturellement imposé comme choix. Un lieu vivant qui offrait de nombreuses activités culturelles mais où elle avait cependant peiné à créer de nouveaux liens d'amitié. Et maintenant, le syndrome du nid vide se profilait à l’horizon, ce mal-être affectant les femmes qui s'étaient consacrées corps et âme à leur famille et qui ne trouvaient plus de sens à leur vie quand leurs enfants quittaient la maison. Elle commençait doucement à sombrer lorsqu’elle entendit la voix de sa fille.
- Papa est d'accord. Il dit que la situation est calme en Argentine et que l'État a mis en place des mesures anti-covid strictes, mais efficaces. Il essaiera même de programmer une mission là-bas pendant mon séjour.
- Je suis contente pour toi. Et je suis aussi un peu rassurée. Si nous allions dîner chez Exkki ce soir pour fêter cela ?
Ingrid espérait que Jean tiendrait sa promesse. Annabelle ne voyait son père qu'un mois par an, pendant les vacances d'été et elle savait que sa présence lui manquait. Parfois elle avait l’impression qu'il n’avait plus de place dans sa vie pour sa fille mais elle évitait d’en parler avec Annabelle.
Les deux femmes se dirigèrent vers la sortie, Ingrid enveloppée dans une cape bleu marine pour se protéger de la fraicheur qui les attendrait le soir au retour, Annabelle dans une courte veste en pied de poule. .
Annotations