Chapitre 19 : La fin des vacances
Pour se rassurer, Édith vérifia le numéro du guichet sur l'affichage des départs des avions. Elle voulait tenter d'enregistrer son bagage, prévu en cabine, pour qu'il parte en soute. Arrivée dans la file, elle évalua le temps d'attente à environ trente minutes, ce qui laissait encore un peu de temps à Ingrid pour faire ses adieux à Arturo avant leur départ. A cette pensée, elle sentit monter une note d'amertume. Pas de romance pour elle cet été, juste deux rencontres d'un soir qui n'avaient pas amélioré son estime personnelle. Peut-être qu'Ingrid avait raison, elle devrait essayer de se reconstruire d'abord professionnellement pour se sentir mieux.
La file avançait plus vite que prévu et il ne restait plus que deux groupes de voyageurs avant elle. Il était temps d'envoyer un SMS à son amie pour lui demander de la rejoindre au guichet numéro trois. Il était possible que sa présence soit nécessaire puisque leurs billets avaient été achetés ensemble. Édith stressait rarement, sauf lorsqu'elle devait prendre un avion. Son tour approchait et elle ne voyait toujours pas de trace d'Ingrid. Elle avança vers le guichet et elle tendit le document avec leurs deux réservations à l'employée, puis elle s'adressa à elle en espagnol.
- Je voudrais que cette petite valise parte en soute.
- Il est écrit "bagage en cabine", vous pouvez payer un supplément pour l'enregistrer comme valise.
- A l’allée, la compagnie nous a proposé de déposer nos bagages en soutes pour faciliter notre embarquement. Vous n'appliquez pas les mêmes règles à Faro et à Bruxelles ?
Felipe lui avait fait découvrir la licor Beirao, une boisson à base de plantes et de caramel aux arômes de menthe, de cannelle, de cardamome et de lavande dont elle appréciait les saveurs. Elle avait acheté deux bouteilles avant son départ, ne sachant pas si elle en trouverait au duty free. Ce volume de liquide ne passerait pas le contrôle des bagages en cabine, il fallait que sa valise soit déposée en soute. L'employée s'adressa à sa voisine de guichet et une conversation qu'Édith ne comprit pas commença. La guichetière d'à coté semblait plus accommodante et l'échange conduisit à ce que son bagage obtienne la languette blanche et verte permettant l'enregistrement du bagage à main.
- Si vous voulez vos billets d'avion, j'ai besoin de vos deux cartes d'identité.
A ce moment, Ingrid apparut dans son champ de vision et elle lui fit signe de se dépêcher de la rejoindre.
- Je viens d'enregistrer ma valise. Maintenant, elle a besoin de ta carte d'identité pour imprimer nos deux tickets.
Ingrid en profita pour demander également l'enregistrement de sa valise. Puisqu'elles devraient attendre le déchargement des bagages à leur arrivée, autant ne pas s'encombrer. L'employée leur indiqua la porte A, pour les vols européens, et leur tendit les billets avec des numéros de sièges contigus.
- Puisque ton chevalier servant ne te suit plus, nous pouvons passer le contrôle et prendre le petit-déjeuner avant de partir. Je n'ai pas eu le temps de manger.
Ingrid, sentant une pointe de reproche dans le ton utilisé par son amie, acquiesça en silence et la suivit. Elle fit sonner le détecteur de métaux lors de son passage, un petit désagrément qui fut facilement résolu lorsque son amie lui montra la pince qu'elle avait utilisée ce matin, faute de temps pour discipliner ses cheveux. Elles déambulèrent entre les échoppes jusqu’à un bar proposant une formule "petit-déjeuner". Édith choisit une omelette et Ingrid un pain au chocolat en accompagnement du café et du jus d'orange.
- Je n'ai pas eu le temps de manger non plus ce matin. Ça nous occupera en attendant le départ de notre vol. As-tu passé une bonne soirée hier, Édith ?
- Je suis restée tranquillement au studio, profitant une dernière fois du balcon et du roman que je n'ai toujours pas fini. Je me suis aussi un peu promenée et j'ai fait quelques photos des lieux la nuit. L'éclairage de la végétation est parfois surprenant. Mais toi, par contre, on dirait que la nuit a été agitée et que tu n'as pas beaucoup dormi.
- Eh...Oui. Je te remercie de m'avoir incitée à laisser une chance à Arturo, c'est vraiment un homme bien.
- Il ne faut pas se priver de ce qui peut nous faire du bien, surtout en vacances. Les adieux n'ont-ils pas été trop difficiles ?
- Si, un peu. Mais il m'a invité à le rejoindre en octobre, après le départ d’Annabelle.
- Et tu vas y retourner ? Je pensais que tu ne croyais pas aux relations à distance ...
- Je sais, mais tu commences à déteindre sur moi. Revenir me fera du bien après le départ de ma fille. Je vais essayer de ne plus me stresser à me projeter dans un avenir incertain.
- Une bonne résolution ! Tu me surprends.
- Je pense que j'avais besoin de cette histoire pour trouver la force de mettre un terme à mon mariage. Il est temps que j'entame la procédure du divorce.
- C'est un mauvais moment à passer mais ensuite tu te sentiras beaucoup mieux.
- Oui, je me doute que tu as raison... J'avais besoin d'une impulsion extérieure pour tourner la page.
- Une nouvelle aventure et une nouvelle vie, eh bien !
- Oh, pas si vite. Jean a toujours dirigé et il n'acceptera sans doute pas de me laisser partir si facilement. J'aimerais que la séparation se passe bien, mais j'ai quelques craintes.
- Cela va bientôt faire cinq ans que vous vivez sur des continents différents. Cette formalité devrait être vite réglée. Et après, plus rien ne se dressera entre ton amoureux et toi.
- Je ne suis plus prête à lâcher mon emploi pour un homme. Et je n'ai plus envie de déménager maintenant que je suis rentrée au pays. Je crains que notre histoire se termine d'elle-même si je ne trouve pas de moyen de concilier les deux.
- Toi et ton besoin de stabilité financière ! Sur ce point, tu n'as pas changé.
- Et toi Édith, inspirée par une vie professionnelle au soleil ?
- C'est possible. Dès que j'aurai déménagé, je me remets sérieusement à chercher du boulot. Tu vois, toi aussi tu déteins sur moi. Arturo m'a cependant déconseillé le travail de saisonnier, trop mal payé lorsqu'on a un enfant à charge. Mais je tenterai bien un retour en expatriation. Vivre à Maubeuge ne m'enchante pas...
- C'est un beau projet, même si cela veut dire qu'une personne à qui je tiens risque à nouveau de s'éloigner de moi. En attendant, n'oublie pas que tu peux compter sur moi pour t'aider à faire tes cartons et à les défaire.
Les vacances finissaient à peine que la réalité de leur quotidien se profilait déjà à l'horizon. Elles s’apprêtaient toutes les deux à traverser une période difficile, qu'elles avaient trop longtemps repoussée mais elles savaient qu'elles pouvaient compter l'une sur l'autre.
Leur façon de communiquer avait évolué et Annabelle serait surprise de ne plus les entendre se disputer. Elles avaient compris que leurs divergences d'opinions étaient une force bien plus qu'une source de conflit.
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