Chapitre 30 : Un avenir possible ?

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Ingrid détestait conduire en centre-ville, surtout lorsqu'elle ne connaissait pas les lieux. Son GPS l'avait conduite à l'adresse enregistrée, mais elle tournait encore à la recherche d'une place. Heureusement qu'elle était prévoyante et qu'elle était partie en avance sur l'heure du rendez-vous. Elle finit par trouver une place, un peu éloignée mais sans trop de manœuvres à effectuer. Le temps doux encourageait à la balade et un peu de marche la détendrait. Cependant, pour éviter de se perdre dans cette ville qui lui était inconnue, elle avait préféré indiquer le chemin, sur son smartphone cette fois, pour atteindre facilement sa destination.

Arturo lui avait communiqué l'adresse d'un bar au centre de Maubeuge et, non seulement elle était arrivée à temps mais lui ne donnait toujours pas de signe de vie malgré le dépassement du quart d'heure académique. Quand le serveur avait voulu prendre la commande, Ingrid avait répondu qu'elle préférait attendre. Et pour ne pas trop penser à celui qu'elle avait involontairement blessé, elle regardait la liste des cocktails, hésitant entre un Mojito fraise et un Sex on the beach en souvenir de l'été. Lorsqu'elle le vit approcher, son visage habituellement joyeux était fermé et il s'assit en face d'elle sans l'embrasser.

  • Comment se sont passées les retrouvailles avec ton mari ? la questionna-t-il sans préalable.
  • Ce n'était pas des « retrouvailles » mais nous avons discuté longuement. J'aurais sans doute dû te contacter avant de me coucher hier, mais la rencontre a été perturbante, comme tu dois t'en douter.

Arturo resta muet, une ombre voilant son regard à chaque fois lumineux lorsqu'il la regardait.

  • Édith m'a dit que tu nous avais observés depuis la place et que tu avais eu l'impression que nous nous enlacions. Tu as dû partir trop vite car sinon, tu aurais remarqué que nous valsions.

Ce nouveau silence donnait l'impression à Ingrid qu'elle s'enfonçait encore un peu plus avec ses explications. Essayant de faire taire sa culpabilité, elle recommença au début pour essayer de le faire sortir de son mutisme.

  • J'ai été aussi surprise que toi par l'arrivée de Jean, il aurait dû passer le week-end avec Annabelle avant de rentrer en France. Je ne savais pas comment réagir et je me suis peut-être montrée un peu froide, comme à chaque fois que je suis mal à l'aise. Je te remercie de nous avoir laissé seuls pour discuter.

Arturo demeurait taciturne mais il l'écoutait attentivement.

  • Jean m'a dit qu'il voulait que nous nous donnions une nouvelle chance et que son départ pour la Roumanie lui semblait le moment idéal. Jean n'aime pas perdre, alors perdre sa femme …

Le serveur approcha pour prendre les commandes. Arturo choisit une bière et elle un jus pommes-cerises. L'ambiance n'était pas aux cocktails.

  • Lorsque tu as regardé vers ma fenêtre, tu as dû te rendre compte que j'étais immobile. C'était à la fois de la stupeur et un besoin de me protéger.

Arturo déverrouilla légèrement ses bras, ce qui encouragea Ingrid à poursuivre.

  • Il a joué sur la corde de la famille et du souvenir. Il a même essayé de m’entraîner dans une valse pour me rappeler nos galas à l'ambassade. Jean m'a toujours encouragée à me montrer digne et responsable pour me tenir à ses côtés. Mais il n'a pas oublié que j'était une femme sensuelle au moment de notre rencontre. Il a obtenu l'effet inverse.

Arturo s'enfonçait un peu plus sur son siège et Ingrid tenta de le ramener vers elle en lui révelant ses sentiments intimes.

  • Mon corps me criait qu'il ne voulait plus être qu'avec toi, cet été m'a rendu l'accès à mon corps et à mon cœur. Pour la première fois depuis longtemps, j'ai envie que mon cœur prenne le pas sur ma raison.

Le serveur revint avec les boissons et Arturo bu quelques gorgées de sa bière avant de prendre la parole.

  • J'ai peut-être mal interprété ce que j'ai vu mais cela n'excuse pas le fait que tu ne m'aies pas donné de nouvelles de la soirée.
  • Jean m'a appris la diplomatie et j'espérais avoir le courage de commencer à négocier les clauses de notre divorce. Cela m'a demandé beaucoup d'efforts de rester calme et, lorsqu'il est parti, j'étais morte de fatigue et je me suis couchée. Malheureusement pour moi, j'ai eu un sommeil agité avec tous les événements de la journée et je me suis levée tard ce matin. Je pensais que tu comprenais mon besoin de prendre du recul, d'avoir un peu de temps pour moi. Mais Édith m'a dit que tu étais prêt à mettre un terme à notre histoire, comme si Jean avait déjà gagné.
  • Je ne pourrai jamais t'offrir le luxe et le faste auxquels tu as été habituée, grogna-t-il en se reculant contre le dossier de sa chaise.
  • Je n'ai pas choisi cette vie, elle s'est imposée à moi avec la venue d'Annabelle. Le luxe et les privilèges n'ont jamais compensé l'éloignement, sans parler des obligations de représentations qui avaient pour principale fonction de me distraire un peu de mon isolement. J'ai dit à Jean que je ne voulais plus de cette vie, que je m'étais reconstruit une vie ici. C'était plus facile que de lui dire que je ne voulais plus de lui.
  • En disant cela, tu lui laisses croire qu'il a la possibilité de te reconquérir…
  • Non, aucune chance. Il a bouleversé ma tête, mais mon cœur te réclame. Je t'ai déjà raconté que Jean est un homme puissant. Il peut transformer notre séparation en enfer si je n'arrive pas à le convaincre que cette séparation est bonne pour nous deux.

Desserrant ses bras, il appuya ses coudes sur la table.

  • Puisque tout s'explique si facilement, pourquoi ne m'as-tu pas simplement demandé de te rejoindre chez toi ? l'accusa-t-il.

Cette fois, c'était à Ingrid de se reculer sur sa chaise.

  • J'avais besoin du temps du trajet pour penser à nos possibilités d'avenir. Ce que j'ai dit à Jean est également valable pour toi qui vit en Algarve. Je ne veux plus quitter mon pays, je suis restée loin trop longtemps. Mais je suis prête à prendre des risques pour nous offrir un avenir tous les deux, même si cela va être difficile pour moi de me répéter que tu n'es pas comme Jean. J'ai envie de te croire quand tu me dis que, tant que tu seras avec moi, il n'y aura personne d'autre. Cela ne sera pas facile mais je suis maintenant prête à prendre le risque. Le bonheur que je ressens quand je suis avec toi vaut la peine que je prenne des risques. Mais j'ai aussi besoin que tu me comprennes et que tu me laisses avancer à mon rythme.
  • Et moi, je ne suis pas sûr de vouloir une telle vie avec une personne fuyante et qui ne me fait pas confiance. Édith est accueillante, son canapé l'est beaucoup moins. J'aurais pu comprendre si tu m'avais envoyé juste un petit message, mais rien...

Sur ces paroles, il se leva, laissant Ingrid seule avec un grand froid qui le soleil ne pouvait pas réchauffer.

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