﴾ Chapitre 7.1 ﴿ : Du sang, de la sueur et des larmes

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Le reflet vivant de l’éther ondulait dans les yeux d’Adrian comme si le plafond lui-même respirait. Les voûtes semblaient s’entrecroiser pour tenir le ciel tout entier en équilibre tandis que chaque pierre vibrait doucement, illuminée par une réverbération azurée qui courait le long des arêtes. En recherchant la source de cette lumière, Adrian inclina toujours plus la tête vers l’arrière de la salle, parcourant la canopée d’un arbre tortueux qui s’étendait majestueusement au-dessus d’eux. Il contrastait en tout point avec la rigueur architecturale des lieux. Ses racines semblaient plonger dans le marbre lui-même et ses feuilles paraissaient translucides au feu des pierres d’éther accrochées à ses branches.

Finalement rattrapé par les chuchotements ambiants, Adrian baissa les yeux, constatant qu’il n’était pas le seul à être impressionné au sein de sa section. Autour de lui, les regards de ses camarades se perdaient dans la contemplation de l’amphithéâtre. Sous leurs pieds, les dalles immaculées s’entrecoupaient de mosaïques d’un bleu lapis, traçant des arabesques évoquant des flots en furie. Leur éclat changeait subtilement à chaque pulsation de l’éther. Aussi légères qu’elles soient, Adrian les ressentait au plus profond de lui comme une chaleur apaisante. Seulement deux places à sa droite, un tapis remontait les marches centrales, coupant la pièce en deux estrades distinctes. Les longues rangées de bancs disposées en arc de cercle formaient une arène érudite, où le bois sombre et dense avait été poli par les générations d’Etherios qui s’y étaient succédées. De discrètes gravures, des étoiles, des noms ou des motifs géométriques parsemaient les rebords, invitant les doigts distraits à les suivre.

Esseulé au centre de la pièce, un grand bureau était une pièce d’art à lui seul. Massif, sculpté dans un bois noble dont les nervures semblaient danser sous la lumière, il était orné de coins métalliques gravés de runes éclatantes. Derrière lui, le triple tableau noir trônait au mur, vierge, mais ses cadres d’or patinés indiquaient qu’il avait vu passé bien des années. Adrian se demanda brièvement combien de secrets sur ce monde avaient bien pu être déchiffrés sur ces surfaces, avant qu’un rayon de lumière ne lui fasse plisser les yeux. A l’extérieur, les nuages laissèrent finalement passer de timides rayons matinaux à travers les grandes fenêtres cintrées qui perçaient les murs de l’étage. De nombreuses bibliothèques en bordaient les balustrades sculptées. Des rangées infinies de livres et manuscrits ceinturaient la salle. L’odeur familière du papier vieilli et du cuir tanné flottait dans un air qui commençait à saturer des effluves métalliques de l’éther, un parfum électrique et minéral qui chatouillait les narines.

Adrian inspira doucement, laissant ces senteurs lui emplir les poumons pour apaiser l’attente dans laquelle toute la pièce était plongée, mais une sensation familière l’en empêcha. Les murmures dans les rangées voisines se firent plus présents, glissant vers eux comme un frisson. Le garçon sentit le poids des regards furtifs avant même d’avoir tourné la tête. Il remarqua les discussions feutrées entre les autres sections qui semblaient les dévisager. Incapable de savoir exactement ce qu’ils disaient, il pouvait toutefois en deviner la nature et, contrairement à d’habitude, Adrian se réjouit que ces messes basses ne l’atteignent pas. Depuis la veille et pour la première fois, le poids qui reposait sur ses épaules lui paraissait un peu moins lourd.

— Je savais que j’étais irrésistible mais là ça devient gênant, les gars !

Fidèle à lui-même, Félix s’étala un peu plus sur le banc, alpaguant le reste des sections. Adrian esquissa un sourire malgré lui.

— On est clairement l’attraction du jour, reprit l’hirondelle d’un air moqueur. Si j’avais su, j’aurais fait payer l’entrée !

— Laisse tomber, lui chuchota Adrian. Tu vas te faire de nouveaux ennemis. Ça en vaut pas la peine.

— Oh, mais j’en ai déjà une liste longue comme le bras, répondit-il. Je compte pas les laisser se foutre de nos gueules impunément. S’ils ont un truc à dire, autant qu’ils viennent me le cracher en face.

— En même temps, qui pourrait leur donner tort ? lança une voix froide derrière eux. Deux Tisseciels et un imposteur au sein de la même section.

Un sourire toujours accroché au visage, Félix releva un œil à l’éclat acerbe vers son nouveau voisin de chambrée, assis à quelques places de là. Jonas l’observait comme un serpent prêt à mordre.

— T’abuse, lui répondit Félix en pivotant lentement vers lui. J’avais presque réussi à t’oublier.

— Je te trouve bien bavard pour un vaurien qui n’a pas même réussi la sélection. Tu ne trouves pas normal que tout le monde ici s’interroge sur le favoritisme dont certains ont clairement bénéficié ?

— Nous y voilà, dit-il doucement tandis que son sourire devenait plus menaçant qu’amusé. Le mot magique. C’est franchement marrant que tu dises ça. T’as déjà oublié grâce à qui t’es encore en droit de l’ouvrir ? Je te rappelle que si t’es là aujourd’hui c’est parce que j’ai bien voulu te sauver les miches. Tu pourrais commencer par me remercier.

Jonas plissa les yeux, une lueur de défi dans le regard mais garda le silence, préférant se rassoir au fond de son siège. Un léger raclement de gorge détourna l’attention. Assise à côté de Jonas, Asha fixait Félix avec un mélange de méfiance et de curiosité.

— Ce n’est pas la première fois que quelqu’un est accepté pour acte de bravoure, fit remarquer la jeune fille à la peau hâlée. Ça ne veut pas dire pour autant qu’il a sa place ici. Sa sélection reste un échec.

Félix la dévisagea à son tour sans broncher avant de répondre calmement.

— La seule raison pour laquelle je n’ai pas obtenu la sphère d’argent, c’est parce que j’ai dû voler à son secours. J’ai passé l’épreuve, comme tout le monde ici.

Sur le siège jouxtant Adrian, Talya déglutit, resserrant les jambes autour de ses mains en observant ses pieds comme si son seul souhait avait été de disparaître sous la table.

— Il dit vrai, intervint Zaresan d’un ton apaisant. S’il a été accepté, c’est qu’il en a été jugé digne. Nous devrions nous réjouir qu’il fasse partie des nôtres.

Adrian le remercia intérieurement de son intervention, mais ces paroles ne le rassurèrent pas pour autant. Il semblait clair que lui et Talya devraient se montrer discrets et faire leurs preuves, davantage qui quiconque.

— Le soldat a raison, ma chère Asha, intervint à son tour Zaïd d’un calme venimeux. Ce n’est pas ça qui devrait t’inquiéter le plus. C’est plutôt de comprendre comment, malgré la difficulté des épreuves, certains ont bien pu réussir, eux.

Son regard glissa vers la frêle Anya, assise en retrait à côté d’Isabella. Elle sursauta légèrement puis se redressa, serrant la mâchoire tandis qu’elle ouvrait la bouche pour répondre. Mais Astrid fut plus rapide et fit corps devant sa protégée.

— Si tu veux tant que ça comprendre, Zaïd, on peut aller régler ça tous les deux, répondit-elle. T’en dis quoi ?

Une flamme brûlait derrière ses mots, une menace qui n’avait rien de déguisée. Elle se redressa, et, même assise, sa stature dominait le reste de la section. Zaïd haussa un sourcil, un sourire glissé au coin des lèvres. Il leva les bras devant lui en signe de paix mais son ton restait insupportablement condescendant.

— Pas besoin d’aller jusque-là. Ce n’est qu’une simple observation.

— Tes observations tu peux te les garder, trancha Astrid sans en démordre.

— Je pense que je ne suis pas le seul ici à avoir un peu de mal à saisir comment je suis censé accepter de placer ma vie entre les mains de quelqu’un qui semble à peine capable de porter la sienne.

— Espèce de…

— Pathétique ! claqua une voix sèche.

Installée un peu à l’écart, Mei n’avait même pas daigné lever les yeux en prononçant ces mots. Elle lissa un pli sur sa manche, l’expression dénuée de toute émotion. Son dédain était palpable, comme si elle s’adressait à des enfants incapables de comprendre les règles d’un jeu qui les dépassait déjà.

— La sélection n’est pas qu’une épreuve de force, ajouta-t-elle, n’importe qui peut la réussir. Elle est conçue pour ceux qui savent utiliser leur tête. Je commence à douter que ce soit votre cas à tous les deux.

Zaïd et Astrid la transpercèrent d’un regard noir avant que Félix ne rompe le silence en éclatant de rire. Il tapota l’épaule de son voisin avec un sourire exagérément amical.

— Une intervention très complète, Mei, franchement. Tu m’as presque ému. Allez, Zaïd, on se détend. Tu sais bien que si on avait tous les mêmes talents, on se ferait chier ici. T’imagine ? Tout le monde avec ton charisme ? Quelle horreur.

L’air mauvais, Zaïd s’apprêtait à répliquer lorsque la porte de la salle s’ouvrit soudain en claquant contre le mur, coupant net leurs échanges et plongeant la salle dans un pesant silence. Une femme élancée, habillée de l’uniforme blanc des Etherios fit son entrée, ses talons percutant le marbre dans un écho presque religieux. Elle rejoignit le grand bureau, y posa un carnet puis se retourna, balayant l’assistance d’un regard glacé. Comme rappelés à l’ordre par une force invisible, les élèves se levèrent comme un seul homme, saluant d’un poing sur le cœur.

— Bien, souffla-t-elle finalement après d’interminables secondes à jauger chaque rangée. Maintenant que vous avez fini vos débats inutiles, nous allons pouvoir commencer. Asseyez-vous.

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