Chapitre 1

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Karel se réveilla avec de nombreuses courbatures. Mais il n’en eut que faire. Son esprit était focalisé sur une seule et unique personne.

« Lya ! » paniqua-t-il.

Il aurait hurlé son nom s’il l’avait pu. Angoissé, il repoussa la couverture avec ses pieds et se tourna aussitôt vers la couche de Lya, juste à côté de lui à même le sol. Son cœur se serra à sa vue : encore inconsciente et le corps recouvert de compresses et de bandages contenant des onguents puissants pour soigner ses brûlures. Sa respiration était faible. Son frère n’était pas habitué à la voir aussi immobile, elle qui était toujours une vraie boule d’énergie. Il se sentait incomplet. Lya était devenue celle qui lui donnait la force nécessaire pour sortir de ses tendances à s’isoler, au même titre qu’il était celui qui l’apaisait lorsque la situation l’exigeait.

« Lya… »

Le souvenir d’elle surgissant des flammes du Dragon s’était imprégné dans sa mémoire. Jamais il ne l’avait connue si féroce et obstinée.

« Pourquoi payer un prix si fort pour avoir été honnête ? » songea-t-il avec douleur.

Combien de fois l’avait-il consolée, enfant, parce que le monde la pointait du doigt de ne pas oser adhérer à ce qui devait être pensé ? Karel trouvait injuste que sa sœur paie aussi cher sa sincérité.

Il s’en doutait, elle ne se remettrait pas facilement d’une telle confrontation. Il la connaissait bien au-delà de sa façade. Elle avait toujours souffert des séquelles de la naissance de son frère.

Karel jeta un œil à ses cheveux roux foncé et cuivrés. Les flammes ne les avaient pas épargnés. La plupart de ses longues mèches raides avaient brûlé, dévoilant un mélange grossier de mèches courtes et longues désordonnés. Karel soupira de tristesse en regardant sa sœur : il savait que c’était le seul attrait qu’elle considérait comme féminin chez elle, à tort selon lui, et qu’elle avait longuement patienté avant de les avoir aussi longs. Lorsqu’elle les détachait, ils lui arrivaient en temps normal un peu au-dessus de ses reins.

« Dommage. Je n’aurais plus l’occasion de te coiffer pour te montrer à quel point tu es magnifique, bécasse. »

Karel ne comptait plus toutes les fois où il avait essayé de faire comprendre à Lya qu’elle était une fille magnifique qui n’avait rien à envier aux autres, à chaque fois qu’elle s’était confiée à lui sur ses complexes. Lya n’avait jamais souhaité se plier à ces standards, surtout sous le seul prétexte qu’elle était une fille. Au moins, Karel était reconnaissant envers leurs parents de l’avoir laissée libre d’être elle-même et d’assumer sa différence.

Karel soupira.

« Je te vois venir. Tu te montreras forte à ton réveil, comme si cette blessure émotionnelle illustrée par ces plaies ne te faisait rien. Sauf que je te connais. »

Elle se sentirait effondrée. Karel n’avait aucune idée de la manière dont il allait gérer cette situation. La soutenir et la rassurer lui apparaissait cette fois insuffisant.

Son regard glissa sur sa main droite. Karel grimaça en voyant l’anneau qu’il lui avait offert avait partiellement fondu sur sa chair abîmée.

« Elle doit tellement souffrir… »

Whélos lui avait administré des remèdes pour l’endormir, pour s’assurer qu’elle ne souffrirait pas le martyr en se réveillant. Entre ses blessures et le don de Vohon’ qui transformait son être, Lya avait de quoi hurler de douleur.

Ne pouvant rien faire d’autre pour l’aider, Karel décida de s’occuper du bijou incrusté dans la chair de Lya. Délicatement, il lui souleva la main, frissonnant de la sentir inerte dans la sienne.

« Qu’ils sont loin, nos réveils en fanfare à Var… » soupira-t-il, mélancolique.

Tenant la main de Lya avec une infinie douceur, il ferma les yeux et appela sa magie. Karel prit le temps de ressentir les moindres points de contact de la main de Lya prisonnière à plat entre les siennes. Il dirigea son pouvoir sur l’anneau, prit le temps de le parcourir pour en visualiser sa nouvelle forme. Karel rappela à lui les souvenirs des enseignements de Phaïstos. Le jeune homme découvrit le don de Vohon’ en lui. Il fit venir une étincelle.

Karel s’attaqua à la structure de l’anneau par la chaleur, dans le but de l’inciser. Cela fait, il passa à l’étape la plus délicate : retirer le bijou de la chair dans laquelle il était incrusté. Karel prit son temps pour ne pas causer plus de souffrances que nécessaire à sa sœur. Il ne sut combien de temps il mit, mais l’objet tomba enfin dans sa paume.

Le jeune homme rouvrit les yeux et cessa d’utiliser la moindre magie. Il relâcha la main de Lya. Son doigt était en sang, mais au moins, il pourrait cicatriser correctement. Karel rangea précieusement l’anneau dans ses affaires : il ferait en sorte de le réparer. Il savait que Lya y tenait beaucoup. Depuis qu’il le lui avait offert, elle ne s’en était jamais séparé, même pour dormir.

Au moment où Karel déposa une étoffe humide sur le front de sa sœur, un mouvement attira son attention.

— Eh bien, elle a vraiment pris cher, grimaça Wil.

Il entra et s’installa à ses côtés.

— J’imagine qu’elle n’a pas encore montré de signe d’amélioration ?

Karel répondit doucement par l’affirmative sans quitter sa sœur du regard.

— Tu as l’air fatigué, comme si tu n’avais pas dormi de la nuit. Tu devrais te reposer un peu, Karel. Vraiment. T’angoisser ne va pas l’aider à guérir plus vite, même si je peux comprendre. Te reposer non plus. Donc autant le faire quand même, tu ne penses pas ? Tu as souvent tendance à te détruire quand tu n’es pas bien, peut-être sans en avoir conscience.

Karel ne répondit pas. Oui, malgré cette nuit, il était encore épuisé de la journée précédente. De leur affrontement, étouffé par ses inquiétudes. Sans compter tout ce qu’avait provoqué ce long voyage. Pour répondre, Karel ouvrit ses paumes vers le haut qu’il remua de l’intérieur vers l’extérieur, désigna Wil, puis tendit son index gauche en faisant mine de retirer quelque chose dessus.

— Comment je fais ? répéta Wil pour s’assurer d’avoir bien compris. Tu peux préciser ?

Karel épela le prénom d’Uriel.

— Ah…

Son ami mit un long moment avant de répondre, les yeux rivés sur Lya.

— Je ne sais pas. Puis ce n’est pas comparable : je te rappelle qu’Uriel a tué notre père et a tenté de faire pareil avec moi. J’ai encore du mal à lui pardonner, c’est trop récent pour ça. Mais pour répondre à ta question… je ne peux pas m’empêcher, comme toi envers Lya, de m’inquiéter pour lui. C’est pour ça que j’aimerai le retrouver, et lui expliquer le fond de ma pensée. Qui sait, peut-être pourrai-je le ramener à la raison.

Il se tourna vers Karel.

— Donc, non, je n’ai pas de solution à t’apporter, et tu devrais vraiment faire une pause, ou tu n’arriveras à rien, surtout avec les casseroles que tu te traînes dans cette histoire. N’oublie pas que maintenant, tu as des amis de confiance sur qui compter pour ce genre de chose. Alors va me reposer ce cerveau en roue-libre qui n’arrive jamais à s’arrêter de penser ! ajouta-t-il en toquant sur la tête de Karel.

« Je m’en sens incapable. Mais tu as raison. Merci. » consentit-il.

Ce fut au tour d’Aquilée de débarquer, la mine grave à la vue de Lya. Elle s’approcha.

— Je suis heureuse de vous voir remis sur pied. Venez, nous sommes appelés.

Karel se releva à regret, suivi de Wil. Il jeta un dernier regard vers sa sœur avant de sortir. La Tour au loin n’était plus aussi menaçante avec son manteau de flammes. Raech les rejoignit.

— Mes amis ! Vous nous avez sauvé ! Nous vous devons tous la vie !

— Que se passe-t-il ? questionna Aquilée.

— Modonoka vous attend avec Whélos et Ruyô.

L’expression des trois Sorciers se déforma par la surprise, de manière parfaitement synchronisée.

— Il s’est repenti. Il a l’air de sincèrement regretter ce qu’il a fait. Il a participé à protéger notre peuple. Cela ne suffira pas à effacer tout ce qu’il a fait, mais en attendant, il est prêt à nous aider pour retrouver les émissaires. Suivez-moi.

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