Chapitre 2*
Monts de la Mort.
L’inquiétude gagnait Elma. Serymar n’était toujours pas remis de ses blessures internes liées aux pactes brisés. Il n’en montrait rien, mais elle le connaissait désormais suffisamment pour savoir qu’il avait cette fâcheuse tendance à faire comme si de rien n’était, comme si ce qu’il endurait était aussi bénin qu’une écorchure. Elle ne savait plus quoi faire pour l’aider. Et encore moins à supporter cette torture d’attendre le bon moment pour sauver sa fille. S’il agissait maintenant, il perdrait à coup sûr la bataille et personne ne serait sauvé.
Elle le rejoignit. Son cœur se serra. Il était assis et se tenait immobile, les yeux rivés sur un bout de papier depuis des heures, sans avoir prononcé un seul mot. Le cliché trouvé dans cet horrible rapport.
Elma se plaça derrière lui et se permit de l’entourer de ses bras. Il reposa le cliché, face cachée sous sa main. Il tremblait de colère contenue.
— Il m’a volé jusqu’à ce moment.
Elma demeura silencieuse. Elle n’avait pas les mots. Les doigts de Serymar se crispèrent sur la table.
— Je m’étais formé pour apprendre à assister la vie. C’était moi qui étais censé poser mes yeux sur elle le premier, avant de mettre cette enfant dans les bras de sa mère.
— Tu te fais du mal, lui adressa Elma avec douceur.
Il parut surpris par sa nouvelle capacité à le tutoyer, bien que ce fut imperceptible. Mais Elma l’avait tant observé. Elle connaissait la moindre de ses mimiques, désormais.
Elle le relâcha et le contourna, de manière à se retrouver à son côté. Elma glissa sa main sous la sienne pour subtiliser le cliché d’Aëlys.
— Ce n’est pas en rivant les yeux là-dessus que le temps passera plus vite, déclara-t-elle.
Il se figea. Elma s’assit sur le rebord de table pour lui faire face.
— J’imagine… reprit-elle prudemment. Que cela doit être difficile d’avoir passé un siècle à imaginer à quoi cette petite ressemblerait une fois née.
Serymar releva le regard vers elle et l’analysa.
— Tu as une résilience impressionnante, Elma.
Il marqua un court silence.
— Pardonne-moi. Je ne me suis jamais rendu compte que cet avortement te torturait encore.
Elma n’était plus surprise par ses réflexions. Elle secoua doucement la tête et eut un sourire contrit.
— J’ai eu le meilleur des maîtres en ce qui concerne le fait de cacher ses souffrances.
Serymar resta silencieux. Elma posa sa main sur la sienne.
— Je suis désolée d’avoir infligé ça…
Serymar se retira et lui jeta un regard sévère.
— Tu n’as pas à être désolée. Il n’y avait aucune mauvaise décision, Elma, à partir du moment où tu ne regrettais rien.
— Mais…
— Te voir souffrir de cette façon ne m’a pas laissé indifférent, si c’est ce que tu veux savoir, la coupa-t-il. Je n’en ai rien montré car ce n’était pas le propos. Tu étais très jeune et avais besoin d’une béquille solide sur laquelle t’accrocher. Mes ressentis personnels n’avaient aucunement à interférer.
Il marqua une courte pause, laissant le temps à Elma de comprendre le sens de ses paroles.
— Bien sûr que j’ai songé à ma fille. Mais ce n’est pas cet événement particulier qui m’y a poussé. Je pense souvent à elle, je la voyais au travers de Karel.
Elma se sentit plus rassurée.
— Au risque de me répéter, je ne regrette pas cette décision, s’expliqua-t-elle. Mais depuis, je vis avec ce fichu doute qui me fait encore me demander si j’avais fait le bon choix. Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer à quoi cet enfant aurait ressemblé, quelle aurait été ma vie si je l’avais gardé. Ce malaise s’est beaucoup apaisé avec la présence de Karel, mais il est revenu quelques temps après qu’il nous ait quitté. Je me l’imagine, je le projette malgré-moi, même après toutes ces années.
Si elle l’avait gardé, Serymar n’aurait sûrement pas imposé ce silence et ce mensonge à Karel. Elma garda cette réflexion pour elle. Inutile de lui rappeler son avis à ce propos, Serymar en était plus que conscient, désormais. Elma plongea son regard dans le sien.
— Alors oui… je connais ta douleur.
Un rictus déforma le coin des lèvres de Serymar.
— Tu es vraiment comme Syriana, sur ce point-là.
Cette manie de lui retourner ses propres répliques. Elma lui répondit par un léger sourire, heureuse d’avoir su détourner un tant soit peu son attention.
— Ce n’est qu’un juste retour des choses, après m’avoir sauvée et rendue ma dignité.
— Permets-moi.
— Oui.
Il la saisit par les hanches pour la mener à lui et se pencha sur elle pour sceller ses lèvres sur les siennes et l’embrasser avec un nouvel élan passionné.
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