Chapitre 4 - 1
Ruyô les mena au travers de la jungle qui avait retrouvé ses couleurs d’origine grâce aux pouvoirs de Vohon’, désormais libre.
Whélos était resté au village pour veiller sur Lya et surveiller ses blessures. Ce qui rassurait Karel, conscient qu’elle était entre de bonnes mains. Raech préparait la défense du village avec Modonoka, pour se préparer à rallier toutes les autres Tribus pour vaincre Œil-de-Sang, comme prévu par le Conseil de la Tribu de l’Eau.
Wil fut bien content de ne plus avoir besoin de protéger ses attributs aquatiques. Il avait l’expression déterminée, mais Karel savait qu’il gardait sa colère sous contrôle, révolté à l’idée que l’un des siens ait pu subir des atrocités. Aquilée affichait une mine plus soucieuse, mais résolue.
« C’est vrai qu’ils se connaissent tous les uns les autres… »
Il n’osait imaginer leur angoisse. Peut-être s’agissait-il d’un meilleur ami ou d’un parent. La révélation de Ruyô l’inquiétait. Ainsi, Phényxia avait dit vrai en affirmant qu’elle pouvait leur voler leurs pouvoirs.
Ils arrivèrent dans une zone dégagée où des falaises se dressaient. Ruyô leur fit signe de s’arrêter et leur fit face.
— Je ne sais pas combien ils sont. Mais leurs sens sont acérés. Mieux vaut mettre de la distance pour le moment. Je vais accaparer leur attention pour vous permettre de vous faufiler jusqu’aux émissaires, et de les libérer. Essayez de faire vite. J’ignore combien de temps je pourrais occuper Phényxia.
La gêne s’empara de Karel. L’horreur de cette situation le dégoûtait. Et il ne pouvait rien y faire. Pour l’instant. Il se contenta d’un simple hochement de tête.
— Bonne chance.
Ruyô leur tourna alors le dos et disparut derrière une végétation dense. Les yeux d’Aquilée se transformèrent, Karel et Wil n’osèrent plus respirer de crainte de les faire repérer.
Au bout de quelques minutes, Karel crut bien que Wil allait exploser. Heureusement, Aquilée cessa d’utiliser son pouvoir.
— C’est bon, il est avec eux, indiqua-t-elle. Phényxia est bel et bien là. Il y a aussi d’autres personnes… Une bonne dizaine, je dirai.
Le trio emprunta le chemin indiqué par leur amie. Lorsque les premiers échos de voix leur parvinrent, Karel et Aquilée usèrent du don de Némésis pour se rendre invisibles. Wil préféra rester en retrait pour le moment, prêt à intervenir.
Ils avancèrent à pas feutrés, essayant de faire le moins de bruit possible. De loin, Karel aperçut Ruyô de dos. Il faisait face à Phényxia et un homme du Clan de l’Eau, plutôt imposant dans sa carrure aux allures reptiliennes. Le jeune homme remarqua un détail qui ne collait pas… ce démon ne semblait pas être là de son plein gré, au vu de sa mâchoire crispée et de ses yeux qui fixaient intensément Phényxia comme s’il souhaitait l’anéantir sur place.
— Tiens donc, regarde qui vient nous rendre visite, mon cher Lockran, sourit Phényxia, hautaine.
Aquilée se crispa de colère. Karel posa une main sur son bras pour l’aider à contenir sa colère. Il resta impressionné par l’attitude de Ruyô. En dépit de sa situation peu flatteuse, il se tenait droit et la tête haute. Tel un chef qui n’aurait pas été brisé pour préserver son peuple.
— Vohon’ a été libéré de la malédiction, annonça-t-il posément. Vous n’avez plus aucune raison de maintenir la pression sur mon peuple, désormais.
Phényxia éclata d’un rire sonore et se plaça à sa hauteur en caressant les os de sa mâchoire d’un geste sensuel. Ruyô se retint de se crisper.
— Tu n’es pas en position de me demander quoi que ce soit, « sous » chef. Mais… nous pouvons en discuter en privé, si tu veux. Qui sait, si tu me satisfais, je pourrai peut-être accéder à une de tes demandes.
Pendant que Karel insultait Phényxia de toutes les vulgarités qu’avait pu lui apprendre Lya tant ces manières le révoltaient, Aquilée attira son attention.
— Il y a des gardes, là-bas. Comment allons-nous faire pour traverser ? Même invisibles, nous risquons de nous faire voir.
— Laissez-moi faire, je m’en charge, assura Wil.
Ses pupilles se fendirent et son corps se déforma. Ses traits devinrent ceux d’Uriel avec un sourire malicieux.
« Malin. » pensa Karel. « Un peu risqué, mais malin. »
Wil leur fit un clin d’œil. Ruyô garda son attention sur Phényxia pour faire diversion.
— Vohon’ est de retour, et ne va pas vous tolérer bien longtemps sur ses terres. Si vous voulez continuer vos manigances, vous allez avoir besoin de moi. Négocier les termes de notre marché me semble, au contraire, tout à fait approprié.
Karel demeura impressionné par son attitude pleine de sang-froid.
— Et en quoi pourrais-tu y changer quoi que ce soit, misérable ? demanda Phényxia. Je suis celle qui peut te donner plus de pouvoirs que tu n’en possèdes, pour être digne d’assister ta chère sœur !
— Je reste un Chef de Tribu en dépit de tout. Maintenant que Vohon’ est libre, il sera en mesure de m’écouter. Au pire, il me tuera si je ne parviens pas à cacher nos véritables intentions. Vous êtes gagnante dans tous les cas, Phényxia.
— Mh…
— Mais il y a des oreilles indiscrètes ici, continua Ruyô en fixant Lockran avec froideur. Accédons déjà à votre demande, à cet entretien… privé.
Phényxia étira son sourire carnassier.
— Soit. J’ai besoin d’un moment de détente. Et de profiter d’un visage et d’un corps agréables à regarder.
Elle claqua des doigts et le visage haineux de Lockran se tordit de douleur, sa peau écailleuse fumante. Phényxia lui adressa un sourire faussement bienveillant, s’approcha de lui en roulant des hanches et lui caressa sensuellement le visage.
— Soit sage, mon grand, ton tour va venir. Pas de bêtise, en mon absence. Ou tu sais ce qui arrivera à ton Clan.
— Tu paieras chaque humiliation que tu nous infligeras, Phényxia, gronda Lockran.
Phényxia étira plus largement son sourire.
— Quand tu veux, mon cher. Quand tu veux. Mes garçons ont besoin de se défouler.
Les trois Sorciers attendirent qu’ils disparaissent dans une galerie.
— Bon, allons-y, inspira Wil.
Il sortit des fourrés et rejoignit Lockran. Les muscles d’Aquilée et de Karel se tendirent d’appréhension.
Lockran fut surpris de voir un membre de la Tribu de l’Eau. Wil imita l’expression suffisante de son frère, droit, les poings sur les hanches, l’attitude hautaine.
— Eh bien, si j’avais su ! Et moi qui pensais que vous réussiriez à mettre une râclée à cette garce !
— Qui es-tu ? gronda Lockran.
Wil sourit d’un air suffisant.
— Un ami de Phényxia. Je suis venu conclure un marché avec toi.
— Toi ? se moqua Lockran. Jamais. Phényxia t’aurait tué si tu l’avais doublée !
Wil haussa les épaules avec nonchalance.
— Faut croire que non. En même temps, elle a une bonne raison pour ne pas m’étriper… pour l’instant.
Karel en resta bouche bée. S’il n’avait pas vu son ami se transformer, il se serait laissé tromper.
— Que cherche-tu à me dire, petit rat ? s’intéressa soudain Lockran.
— J’ai des informations à propos du Pouvoir Universel que Phényxia cherche à acquérir.
— Et pourquoi me donnerais-tu cette information ? Nos peuples ont toujours été ennemis, avorton.
— J’ai trahi les miens en m’étant moi-même mis en quête de ce pouvoir, répondit Wil. Je n’y suis plus le bienvenu. Je ne peux rien contre Phényxia, un jour ou l’autre, elle me tuera. Et toi, tu veux te venger. Si je t’aide à la piéger, tu seras libre.
— Je suppose que tu veux que je dise à mon Clan de faire une trêve avec ton peuple ? ricana Lockran. Non. Je ne veux pas avoir de dette avec un membre de la Tribu de l’Eau, fut-il banni !
Wil haussa les épaules.
— Tant pis… Tu resteras là jusqu’à ce que cette garce le décide, sans lui mettre la râclée qu’elle mérite. Je vais trouver un autre moyen. Comme… demander au Pouvoir Universel.
Lockran le retint.
— Tu le connais réellement ?
— Bien sûr. Je pourrai te mener à lui.
— Bah. J’imagine qu’il vaut mieux épargner vos bateaux minables pendant quelques temps. Phényxia compte attirer son détenteur pour lui voler ses pouvoirs. Tu vas m’aider à les lui subtiliser juste avant qu’elle ne les obtienne.
« Vous pouvez toujours courir. Il ne se laissera jamais piéger. » gronda Karel, furieux. « Tel que je le connais, il doit déjà s’en douter ! »
La colère l’animait. La même qu’il pouvait ressentir lorsque l’on s’en prenait à Lya. Celle qu’il éprouvait envers une personne de sa famille.
— Marché conclu, obtempéra Wil avec la nonchalance de son frère. Et si nous allions en parler… « loin des oreilles indiscrètes » ?
— Entendu. Par ici.
Wil disparut avec Lockran.
« Pourvu qu’il s’échappe à temps », s’inquiéta Karel.
Suite ===>
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