Chapitre 5 - 1
— Non, mais vous n’êtes pas bien ! s’écria Whélos. Par les Dragons, Karel, morts ou vifs, il ne fallait surtout pas vous faire repérer par ces démons !
Karel soutint son regard et ne cilla pas.
« Nous ne sommes pas de taille contre eux, et tu as raison. Mais laisser un homme se faire torturer sous mes yeux, c’était juste impossible ! »
Il dut inspirer pour contenir sa frustration. Des mots assourdissants, et pourtant inaudibles pour le reste du monde.
« J’ai déjà conçu le moyen de te guérir. Je peux te donner une voix. »
Cet écho d’Œil-de-Sang glaça son être. Karel n’osait imaginer ce que cet homme avait conçu pour lui. Pourtant, ces mots torturaient son âme, en titillant cet espoir un peu trop alléchant, qu’il avait mis tant de temps à refouler au fin fond de lui-même pour en souffrir le moins possible.
« Ce n’est peut-être pas si terrible… »
Il se morigéna. Œil-de-Sang avait manipulé et trahi les Dragons. Il avait n’avait su construire que des machines de l’horreur. Phényxia leur avait dit la vérité. Elle pouvait leur voler leurs pouvoirs.
Karel toisa Whélos.
« Certes, je me suis pris une râclée. Mais au moins, je ne vivrai pas dans le regret de ne rien avoir tenté, et encore moins dans le doute que j’aurais peut-être pu le sauver… »
Il n’aurait jamais pu se le pardonner. Ce poids lui aurait été insupportable. Il avait déjà bien assez avec tout le reste. L’état de Lya, l’échec de ce sauvetage, celui de Ruyô, son ancienne famille sur le point de se faire acculer aux Monts de la Mort.
« Même si tu dois te douter de mes pensées, tu ne peux m’entendre, Whélos… » pensa-t-il avec douleur en se détournant de son ami. « Je voudrais plus que me contenter de ça. Je voudrais être comme vous… »
Détourner son esprit. Vite. Avant de se laisser submerger par cette souffrance qui cherchait à ressurgir. Karel se tourna vers Wil et l’interrogea du regard.
— Tu t’en doutes, Lockran n’est pas devenu Chef pour rien, expliqua-t-il. Mon jeu avait beau être parfait, il s’est douté de l’entourloupe. Il a voulu, comme tout Clan qui se respecte, m’enchaîner à leurs marchés. Je me suis rebellé, enfui, et comme de toute façon, vous tardiez, je me suis douté que quelque chose n’allait pas. Lockran a profité de la situation pour me retenir, le temps pour Phényxia et ses amis de vous prendre en embuscade.
Karel signa.
— Je m’en suis sorti grâce au pouvoir de Vohon’. Sauf qu’ici, il y a pas mal de végétation. J’ai un peu… embrasé les environs. Alors si la chaleur ardente me pose un souci, ça en a davantage pour le Clan de l’Eau. J’ai invoqué des geysers et me suis éloigné pour vous secourir. L’eau est l’équivalent d’un poison violent pour le Clan du Feu. Alors j’ose espérer que je suis au moins parvenu à la mettre à l’arrêt pendant quelques temps.
— Vous êtes vivants, c’est tout ce qui compte, soupira Whélos.
— Ce qui n’est pas le cas de nos amis, intervint Aquilée avec froideur.
La jeune fille était morose depuis leur retour, ce que Karel pouvait bien comprendre. Les yeux violets de son amie s’embuèrent.
— Nous sommes arrivés trop tard pour les sauver, pleura-t-elle.
L’expression de Wil s’assombrit et ses poings se serrèrent. Karel ne savait que faire pour les aider à traverser cette passe difficile. L’émissaire de la tribu d’Aquilée avait seulement la trentaine. L’autre la cinquantaine.
— Qui était cette personne pour toi, Aquilée ? demanda Wil.
— Un jeune combattant fortement engagé dans la cause des Dragons. Il avait effectué beaucoup d’études auprès des Tours dans le but de former les futures personnes qui souhaiteraient tenter leurs épreuves. Lors d’un voyage ici, il vit l’opportunité d’agir, en créant ce projet d’acheminer des vivres régulièrement. Et… toi ?
Wil hésita et jeta un bref regard gêné vers Karel.
« Pourquoi ? »
Il était triste pour cet homme et pour la famille qu’il devait avoir, mais Karel ne connaissait pas ces personnes. Il ne se sentait pas endeuillé comme ses amis. Wil serra les dents, détourna les yeux. Ses poings se serrèrent plus fort.
— Il s’agissait de Roland, l’homme qui devait accueillir Karel et ses parents pour les protéger.
« Je vois… »
Karel n’y avait jamais songé, mais maintenant qu’il y pensait, c’était logique. Avant même sa naissance, plusieurs personnes s’étaient mises à sa recherche. Whélos, Serymar et Œil-de-Sang. L’île de la Tribu de l’Eau aurait été le lieu idéal pour le soustraire à ses ravisseurs.
« Que ce soit aux Monts de la Mort, à la Tribu de l’Eau ou chez les elfes, j’étais destiné à une vie recluse… » soupira-t-il.
Avec des conditions de vie différentes, certes, mais Whélos lui avait confirmé ce fait : Karel aurait été bien traité, mais quand même différemment des autres dans le but de le protéger. Il aurait grandi parmi les apprentis marins et aurait certainement voulu quitter l’île pour voguer les eaux en quête de découvertes du monde. Un privilège qui lui aurait été interdit de par son statut d’Enfant de la Prophétie. Quelle différence avec les Monts de la Mort, au bout du compte ?
Wil prit Aquilée par une épaule.
— Ça te dirait qu’on aille prendre l’air ? Je crois que nous en avons besoin.
Karel fut un peu plus rassuré : Wil avait les bons mots pour essayer d’aider Aquilée qui, en retour, suivait. Ils allaient pouvoir se soutenir l’un et l’autre, d’une manière bien plus appropriée que leurs amis, qui ne pouvaient au mieux que leur apporter un soutien moral.
— « Que pouvons-nous faire pour vous aider ? » leur signa-t-il.
Aquilée lui sourit.
— Ne t’inquiète pas. Nous avons besoin d’être seuls. Si nous souhaitons quelque chose, nous vous le ferons savoir. Promis !
Wil raffermit sa prise sur elle et regarda Karel.
— Exact. Va t’occuper de Lya, lui recommanda-t-il.
Suite ===>
Annotations
Versions