Chapitre 5 - 2

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Plus tard, Karel rejoignit la hutte de Raech, dans laquelle reposait sa sœur. L’émotion le submergea de la voir enfin réveillée. Assise sur sa couche, le regard perdu, comme plongée dans ses réflexions, Lya s’aperçut à peine de sa présence. Nombre de ses bandages avaient été retirés, et Karel put constater à quel point les connaissances de Whélos étaient efficaces : si sa peau était encore un peu rougie, elle était redevenue lisse, et son visage fin n’était pas déformé. En revanche, ses si jolis cheveux…

Karel s’agenouilla à ses côtés et attendit patiemment qu’elle lui parle.

— Ah, tiens, tu es là. Contente de te voir.

Son sourire forcé ne trompa pas son frère. Comme il l’avait prévu, Lya se murait derrière sa façade habituelle.

Lya tourna la tête dans sa direction et lui tendit une étoffe colorée.

— Tiens ! C’est Modonoka qui me l’a donnée. Peux-tu m’aider, s’il te plaît, à me l’attacher ? demanda-t-elle avec une légèreté qui sonna faux pour Karel. J’ai envie de changer de style… mais tu le sais bien, je suis une vraie quiche pour me coiffer correctement.

Son regard s’abaissa.

— Et puis… ça nous rappellera notre vie à Var, bien avant toute cette aventure, quand tout était à peu près tranquille, en dépit de cette malédiction, ajouta-t-elle timidement. J’aimerai me replonger un peu dans nos meilleurs souvenirs.

Ceux qu’ils avaient passé ensemble. Karel savait qu’elle chérissait beaucoup ces moments de complicité entre eux. Ne sachant quoi dire, il lui prit le tissu, signe de son assentiment et se déplaça dans son dos pour plus de facilité. La tension des muscles de sa sœur ne lui échappa pas. Karel se sentait mal pour elle.

« Si seulement tu te voyais comme je te vois… »

Si Var était un village indéniablement paisible, les esprits étaient quelques peu étriqués à son goût. Mis à part leurs parents, les habitants se méfiaient beaucoup de ce qui les dépassait. Tous étaient des Sans-Pouvoirs. Sauf eux deux. Méfiance exacerbée depuis sa naissance. Si d’un côté, Karel pouvait un peu comprendre, de l’autre, il avait du mal à pardonner le conditionnement dans lequel Lya avait été obligée de se construire.

« Il n’est pas étonnant que tu aies autant de complexes… »

Tous les deux se réfugièrent dans le silence. Seul le crépitement du petit foyer central se faisait entendre.

Comme lors de ces quelques occasions, Karel passa ses doigts dans les cheveux de sa sœur. Sauf que cette fois, ils n’étaient pas doux et lisses, mais horriblement secs et cassants. Karel craignit de les lui faire perdre. Le crâne de la jeune fille était désormais visible par endroits. Le cœur du Sorcier se serra.

Il rassembla les mèches doucement puis les enroula dans le tissu, de manière à lui entourer la base de ses cheveux. Déterminé à aider sa sœur à affronter son image, à voir quelle femme forte elle était, Karel décida de ne pas cacher ses mèches. Au contraire, il les mélangea avec les deux longues extrémités du tissu pour faire l’illusion d’une chevelure. Ainsi attachés, cela permettait de recouvrir les parties de son crâne dénudés.

Lorsqu’il la relâcha, Lya se crispa.

« Bon sang, elle pleure… »

La connaissant, il décida de ne pas bouger de sa position. S’il lui épargna le fait d’affronter son regard, Karel ne la laissa pas seule : il l’entoura de ses bras et la ramena contre lui dans une étreinte réconfortante.

« Je suis là. »

Il ne lui transmit pas cette pensée. Son geste parlait pour lui. Lya le savait. Elle se débattit.

— Non, s’il te plaît… ou je vais craquer…

« Alors craque. »

Il renforça sa prise. Non, il ne la lâcherait pas. Jamais.

— Tu es vraiment pénible !

« Moi aussi, je t’aime. » répliqua-t-il.

Le corps de Lya fut secoué de sanglots. Karel se montra patient et resta à sa disposition le temps dont elle avait besoin. Il espérait seulement que personne ne viendrait briser cette intimité. Lya ne le supporterait pas. Elle ne se permettait cet effondrement que face à lui. Karel souhaitait que Lya vide son sac. Elle en avait réellement besoin. Ce n’était pas le moment d’être dérangés.

— Je dois faire tellement pitié, hoqueta Lya. J’ai toujours fait en sorte de me montrer forte ! Et voilà à quoi je suis réduite ! Comment puis-je… Comment puis-je montrer encore de l’assurance en ayant l’apparence de mes blessures internes montrées au grand jour ? Je suis celle que l’on ne peut briser ! Je n’ai pas le droit de… de pleurer ! Je ne veux plus ! Je…

Karel posa une main sur sa bouche pour l’interrompre. Il obligea sa sœur à le regarder dans les yeux. Son expression se fit sérieuse, et Karel établit un lien télépathique.

— Lya, arrête. Tu n’as pas changée à ce niveau-là. Tous les plus grands guerriers du monde ne s’en sont pas sortis sans blessures et cicatrices, et les plus admirables versent des larmes. Ce sont même ces blessures qui leur ont permis de grandir ! Tu es forte, Lya, tu l’as toujours été. Prends en conscience, bon sang !

Lya ne répondit rien, surprise par le ton employé par son frère, dont il usait rarement. Karel inspira pour se calmer. Elle se détruisait sans s’en rendre compte. Il raffermit sa prise et lui octroya un regard sévère.

— Lya. Tu as assumé une blessure que même nos parents n’ont su surpasser, alors que tu n’étais qu’une petite fille. Tu as grandi avec, et te connaissant, je suis certain que tu as joué à l’enfant joyeuse pour les aider, pour cacher ta propre douleur ! Tu n’avais que 11 ans lorsque tu m’as tendu la main, alors que tu ne me connaissais même pas. Quand tu as appris que j’étais ton frère, tu as réagi avec une maturité impressionnante pour une enfant de cet âge ! Tu aurais pu être jalouse. Tu aurais pu me détester, même en ayant conscience que ce n’était pas de ma faute ! Encore une fois, tu n’as pas pensé à toi d’abord : tu voyais là une occasion de rendre le sourire à nos parents, et d’avoir cette vie de famille heureuse dont tu as toujours rêvé !

Karel marqua une courte pause, surveillant les réactions de Lya. Elle était figée, surprise qu’il ait compris avec autant de profondeur ce qu’elle ressentait depuis toujours. Tout ce qu’elle avait tu et caché derrière ses grands airs.

— Tu m’as appris à parler, tu m’as aidé avec une patience que personne d’autre n’aurait pu avoir. Tu t’es mise en danger pour me retrouver, et enfin… bon sang, Lya, tu as libéré un Dragon maudit, et tu as survécu à son attaque ! Ose me dire que ce n’est pas un miracle, ça !

Toujours aucune réponse. Karel la toisa un long moment encore, laissant le temps à sa sœur de se rendre compte du poids de ses actes. Vertigineux, selon lui. Il soupira, le temps de reprendre son calme.

—Tu as été impressionnante face au Dragon. Je te vois encore surgir de ses flammes qui auraient pu te tuer… malgré tes blessures et ta souffrance, tu te tenais toujours aussi droite et fière. Tu n’as rien à envier à tous ces héros que l’on admire. Et le pire, c’est que je sais que tu ne l’as même pas fait pour toi… encore une fois.

Lya se mura dans son mutisme, les joues ruisselantes de larmes. Son expression répondit à sa place : oui, elle avait fait ça pour lui. Pour le sauver. Elle posa son poing contre lui, la tête basse, la mâchoire crispée. Incapable de prononcer un mot en l’état, elle désigna son frère puis serra ses poings en croisant les bras contre elle.

« Parce que je t’aime. »

— « Je sais. »

Elle s’appuya à nouveau contre lui. Karel lui caressa le dos.

« Je l’ai compris, maintenant. Je ne pourrai jamais t’empêcher de te mettre en danger pour moi. » soupira-t-il en pensées avec douleur.

Lya était capable d’aller très loin pour préserver ses proches. Trop, selon Karel. Il refusait de revivre ce moment où il avait cru la perdre. Il reprit son regard sérieux, mais cette fois avec une certaine forme d’autorité qui ne tolérait aucune contradiction.

— Fais-moi une promesse, Lya, exigea-t-il en s’introduisant dans ses pensées.

Elle ne répondit toujours pas. Un imperceptible hochement de tête se fit sentir.

— Dès que toute cette histoire sera terminée, jure-moi de t’occuper de ta propre vie.

Lya se raidit contre lui.

— Je veux que tu t’occupes de ton propre bonheur, pour une fois, et non de celui des autres. Je veux que tu te dévoues à toi-même.

Lya se figea. Contrarié, Karel la saisit plus vivement qu’il ne l’aurait souhaité, les doigts serrés sur les bras de la jeune femme.

— Jure-le moi !

Ses doigts tremblants le trahissaient. En se donnant autant aux autres, elle avait failli perdre la vie. Pour Karel, ce n’était plus acceptable. À ses yeux, s’il y avait bien une personne qui méritait d’être heureuse, c’était bien sa petite sœur.

Karel inspira et se força à desserrer sa prise. Mais il était encore incapable de la lâcher. Sa disparition dans les flammes lui tournait en boucle dans ses pensées, avec l’idée d’avoir cru la perdre à jamais. Il s’était senti détruit, brisé, vide. Les larmes lui revinrent à ce souvenir atroce.

— Je t’en supplie, Lya. Promets-le-moi.

Lya lui offrit une expression gênée.

— Je… je ne sais pas faire… J’ai toujours été comme ça… C’est dans ma nature.

Karel se radoucit, lui offrit un léger sourire en lui caressant la joue.

— Te dévouer à toi-même ne t’empêchera jamais d’aider les autres.

Lya hésita un long moment. Enfin, elle le regarda dans les yeux en lui rendant son sourire.

— D’accord. Je te le promets. Merci Karel. Merci d’être là pour moi.

— Je serais toujours là pour toi, Lya.

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