Chapitre 7
Karel soupira bruyamment. Une des rares expressions audibles dont il était en mesure d’effectuer. Il passa ses mains dans ses cheveux et essaya de réorganiser ses pensées. L’ambiance n’était pas au beau fixe. Une bataille se préparait, et leur petite compagnie commençait à être éprouvée après tout ce qu’ils avaient découvert et les récents événements.
C’était sans compter son inquiétude grandissante à propos de Lya. Il avait le sentiment d’avoir perdu cette jeune femme pleine d’entrain et toujours prête à en découdre pour aider son prochain. Elle se murait derrière ses façades en faisant comme si rien ne l’affectait.
« Je suis celle qu’on ne peut briser ! » lui avait-elle révélé avec force. Pourquoi se sentait-elle obligée d’être aussi exigeante envers elle-même ?
« Parce que nous souffrions tous autour d’elle et aucun de nous n’étions capables d’afficher une expression rassurante », comprit-il. « Alors elle a été conditionnée malgré-nous à tout porter sur ses épaules pour nous encourager… Bon sang… »
« Parce que je t’aime », lui avait-elle signé, étranglée par l’émotion.
Karel se demandait quoi faire pour l’aider. Faire comme elle serait une mauvaise idée. Le jeune homme regarda les vagues se briser contre la coque du navire en mouvement. Une vision qu’il trouvait magnifique dans sa signification.
« Ça te correspond bien. » songea-t-il.
À tous ces problèmes s’ajoutait Phényxia. Karel redoutait toujours une rencontre avec Serymar, mais ne pas pouvoir le prévenir le rendait fou. Il ne pouvait pas solliciter un membre de la Tribu du Vent quelque part dans une ville ou un village. Les routes n’étaient pas sûres, et Phényxia les surveillait. Karel s’en voudrait de causer la mort de qui que ce soit. Serymar restait caché pour de bonnes raisons, et bien que Karel le redoutait encore, il ne tenait pas à le mettre plus en danger qu’il ne l’était déjà. Être capable d’y surmonter n’était pas une raison valable pour lui en rajouter. Même Valkor lui avait écrit une lettre neutre en apparence.
« À ce propos… »
Karel avait l’impression d’avoir manqué quelque chose. À ce moment-là, il ne détenait pas assez d’éléments sur la situation pour comprendre, mais aujourd’hui…
Le Sorcier se remémora leur entretien et se souvint que l’homme-serpent lui avait dit.
« Je soupçonne que tous ces événements ont mené à cette malédiction. Cela te permettra, je l’espère, de mieux identifier tes ennemis. »
Karel s’arracha de sa contemplation et rejoignit la cale pour y être tranquille. Une fois descendu de l’échelle métallique, il se retira dans la cabine qu’il partageait avec Wil et Whélos. Le jeune homme se dirigea vers son hamac et fouilla sa sacoche à la recherche des lettres de Valkor, qu’il trouva rapidement.
Cela fait, il partit s’installer dans un coin de la pièce, sur des coussins moelleux disposés à même le sol autour d’une petite table basse sur laquelle il étala les feuillets. Karel saisit la lettre à son égard.
Karel,
Je te lègue ici une partie de l’Histoire de Weylor qui a été effacée des mémoires, au même titre que l’on a voulu anéantir toute trace de l’existence de mon ancien Apprenti. J’ai beaucoup réfléchi à la situation ces dernières années, et quelque chose me dit que tous ces éléments sont liés.
« Tout est lié… Maître Valkor, contre quoi cherchez-vous à m’avertir ? »
Karel se sentait idiot de ne pas y avoir pensé plus tôt. Il était vrai que sur le coup, à la première lecture, il n’avait pas compris en quoi savoir que les Monts de la Mort se nommaient autrefois Evenlya lui aurait été utile dans sa quête.
« Parce que ce n’était pas le but. Cette histoire n’est que la façade. »
Valkor était malin. Il n’avait pas pris le risque que sa missive tombe entre de mauvaises mains. Karel ne pouvait s’empêcher de penser que Valkor avait aussi prévu l’attaque de Phényxia, ce qui devait expliquer pourquoi il y avait eu si peu de morts et seulement des briques cassées. Karel ne se souvenait pas avoir vu un seul civil tué, seulement des Mages, Sorciers de soldats qui avaient défendu la cité. Cela avait dû demander une sacrée organisation et un plan d’attaque bien précis. En conséquence, Valkor n’aurait pu écrire cette lettre et prendre le temps de chercher cette légende oubliée au dernier moment. L’Apokeraos avait pris quelques coups d’avance.
« Ça me rappelle quelqu’un », songea Karel avec ironie.
Une preuve que Serymar avait vraiment été l’Apprenti de Valkor. Qui, à son tour, avait appris cette manière de réfléchir à Karel. Il n’était pas étonnant que l’Apokeraos ait été troublé le jour où il avait admis Karel dans son Académie. Même si s’imaginer Serymar obéir à quelqu’un, plus encore à une personne considérée comme un héros, lui était très difficile. Au contraire, plus la personne était haut placée, plus Serymar se faisait un plaisir à l’humilier si cette dernière lui en donnait l’occasion. Il avait bien contrarié Œil-de-Sang et les Dragons.
Courage. Tu es beaucoup plus capable que tu ne le crois.
Karel demeurait encore touché par cette dernière ligne à son égard. Il se promit de remercier en personne l’Apokeraos quand tout ceci serait terminé. S’il s’en sortait vivant avec ses amis…
Le jeune homme remisa la lettre dans sa sacoche. Il savait qu’il en aurait peut-être encore besoin dans ses moments de faiblesse. Il ne pouvait pas baisser les bras en dépit de tout ce qui l’accablait. Ils avaient un allié de poids qui ne les abandonnerait pas.
« Voyons voir », pensa-t-il en plaçant la légende sous ses yeux.
Karel passa le début décrivant les Apokeraos : de redoutables combattants férus d’érudition, et qui n’hésitaient pas à partager leurs savoirs avec le reste de Weylor, au point d’être considérés comme les émissaires des Dragons.
Un jour, pourtant, naquit un Apokeraos Sans-Pouvoir. Il devint inventeur et créa de nombreuses ingénieries qui compensèrent son absence de pouvoir. Nombre de ses inventions furent acclamées et encouragées.
« L’apparition des Avancés, donc. »
Un jour, l’Apokeraos Sans-Pouvoir disparut sans laisser de traces.
Son château fut fouillé afin d’élucider le mystère de sa disparition et le choc secoua le peuple des Apokeraos. Les enquêteurs découvrirent avec horreur que leur comparse se livrait à des expériences terrifiantes en découvrant un sous-sol transformé en salle de torture.
Karel se figea, gelé dans le moindre de ses os, en voyant son esprit s’emballer, n’osant croire ce qu’il commençait à comprendre. Ce dont Valkor avait cherché à l’avertir.
« Non. Non, non, non. Ça ne peut pas être possible ! »
Ce totem mécanique cachant une vaste salle de torture, plus poussée que celle des Monts de la Mort. Et leur créateur, mutilé au niveau des jambes, d’un bras, et au-dessus de la tête. À l’endroit où pouvaient pousser des bois majestueux.
Trois siècles plus tard, Weylor sombra dans le chaos et Evenlya mourut. La magie des Dragons contenue en elle explosa et emporta le peuple des Apokearos.
« C’est le moment où les Dragons ont été maudits ! »
Les lettres glissèrent de ses doigts figés pour retomber sur la table. Implacables. Tout était écrit depuis le début. Karel abattit ses poings dessus avec force, luttant contre son angoisse grandissante. Encore une nouvelle qui venait rajouter du poids à toute cette pression que ses compagnons et lui portaient sur leurs épaules. Tout était clair, à présent.
« Dîtes-moi que ce n’est pas vrai ! Cet Apokeraos Sans-Pouvoir, c’était Œil-de-Sang ! »
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