Chapitre 10
Forêt de la Nuit.
Œil-de-Sang recula d’un pas et observa, satisfait, sa dernière œuvre. Une machine humanoïde sans visage. La moindre différence était néfaste. Pour faire en sorte que plus personne ne soit opprimé, tout le monde devait se ressembler. Et sa dernière création en serait l’exemple parfait.
Une large flaque de sang s’allongeait sous les pieds de sa machine. Un simple dommage collatéral.
Il ne redoutait plus rien. Bientôt, il pourrait quitter cette maudite forêt de dégénérés. Les Dragons n’étaient pas en mesure de l’attaquer sans se retrouver maudits à nouveau. Œil-de-Sang savourerait leur frustration lorsqu’il marcherait vers la ville de Sheyral. Le symbole qui allait à l’encontre de tout ce qu’il souhaitait bâtir. Il frapperait un grand coup pour marquer les esprits. Les peuples de Weylor s’inclineraient devant lui. Il avait déjà vaincu les Dragons sous leurs yeux. Ne restait plus qu’à abattre la personne qui représentait un symbole fort pour tous et prendre sa place.
Le gourou le rejoignit.
— Honorable Guide, le peuple vous attend.
D’un geste lent, Œil-de-Sang se retourna et se dirigea vers la sortie du totem. Sa véritable œuvre. Cette arme déguisée qui réformerait le pays, lorsqu’il aurait le Pouvoir Universel entre ses mains. Cette fois, il disposait du moyen de briser sa volonté indomptable.
Les elfes l’attendaient, leurs yeux fanatiques brillants d’admiration aveugle. Œil-de-Sang sourit. Ces imbéciles feraient encore n’importe quoi pour accomplir ses quatre volontés, même les pires. De la main d’œuvre malléable à souhait. Et un des nombreux peuples à éradiquer du pays. Il ferait d’une pierre deux coups. L’Enfant de la Prophétie deviendrait une extension de lui-même, son émissaire attitré pour imposer son autorité dans tout le pays. Un outil doté de plusieurs pouvoirs draconiques, de deux auras de magie et de sang de Dragon. Ce garçon deviendrait un atout non-négligeable, et Œil-de-Sang comptait bien posséder cette nouvelle arme en puissance.
Le gourou ordonna le silence d’un grand geste théâtral. Œil-de-Sang s’avança de sa démarche lourde et mécanique. Grâce à ses jambes de métal, il ne ressentait plus la fatigue. Son ancien corps de serpent aux écailles rouge sang ne lui manquait pas. Le seul élément qui lui restait de sa première apparence était son œil valide, dont la couleur claire faisait ressortir sa pupille noire fendue.
— Mes chers frères, annonça-t-il d’une voix claire. Bientôt viendra l’heure de la bataille, ce moment que vous attendez tous. Votre rêve de domination est enfin sur le point de se réaliser !
Des ovations firent trembler la forêt, sous ce totem qui les dominait tous. Œil-de-Sang analysa le gourou. Ses yeux brillaient de la même détermination aveugle, fier de voir que leur Guide tenait la parole qu’il leur avait donnée depuis plusieurs siècles.
— Qu’il se montre ! ordonna-t-il.
La bouche du totem s’ouvrit dans un concert de cliquetis sinistres, révélant sa dernière œuvre. Cette dernière s’avança et se plaça aux côtés d’Œil-de-Sang.
— Je vous avais promis le pouvoir de vaincre vos ennemis, le voici. Gourou, veuillez faire une démonstration.
Le gourou s’avança et sortit son poignard, une lueur machiavélique dans ses yeux fous. D’un geste précis et rapide, il trancha la gorge de la création, mais sa tête demeura intacte. Le choc fut si intense que le poignard échappa de la main de son propriétaire. Aucune rayure n’avait entamé le métal constituant le pantin. Œil-de-Sang laissa l’effet de surprise se répandre sur les elfes.
— Grâce à ceci, vous serez insensibles aux blessures. Vous résisterez à la moindre attaque ! Je les ai nommés… les Inquisiteurs.
Des hurlements de joie secouèrent la forêt toute entière. Œil-de-Sang leur tourna le dos et rejoignit le totem, dont les dents se refermèrent derrière lui, comme une divinité disparaissant après avoir rendu visite à ses fidèles.
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