Chapitre 13 - 2

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Malheureux, Karel peinait à se défaire de son entrevue avec Serymar. Il se demandait s’il devait regretter de s’être donné du mal pour l’avertir. Il avait cru avoir enfin accepté son passé, que ce moment aurait apaisé ses démons. Pourquoi avait-il osé croire, ne serait-ce qu’un instant, que Serymar n’était pas celui qu’il avait cru découvrir le jour-même où il avait compris qu’il n’était qu’un pion à ses yeux ? Cette pensée lui était douloureuse. Il aurait peut-être mieux fait de continuer à souffrir dans sa colère contre lui, comme il l’avait fait ces dernières années avant de découvrir son passé.

Karel ne supportait plus son ambiguïté. Serymar s’était montré froid, pour ensuite lui exprimer par un sous-entendu qu’il avait très bien progressé, et qu’il acceptait de le laisser devenir ce qu’il souhaitait. Le jeune homme ne comprenait pas. Quelle était la position de Serymar vis-à-vis de lui ?

Il se détourna de la proue pour rejoindre les cabines sous le pont. Il avait besoin de solitude. Lorsque Karel arriva en direction de la trappe y menant, des éclats de voix lui parvinrent. Il leva les yeux au ciel en reconnaissant les voix de Lya et Wil.

« Ils n’arrêtent jamais… »

Karel pivota alors en direction du gaillard et se figea en surprenant Lya saisir vivement Wil par le col, lui hurler dessus et l’embrasser. Et Wil en profiter avec une passion certaine.

« Je n’ai rien vu ! »

Il se détourna aussitôt, sincèrement pris par surprise. Karel mit une main en visière sur le côté de son visage pour se détacher de cette scène plutôt intime et avança d’un pas rapide. Son esprit avait encore beaucoup de mal à déterminer s’il venait de rêver ou non. Il ne vit que trop tard la trappe et chuta dans le vide avec fracas.

Sonné, le dos et les côtes douloureuses de s’être cogné contre l’échelle métallique avant de rencontrer le sol, Karel eut du mal à se relever.

« Et zut… » jura-t-il en entendant des pas précipités au-dessus de sa tête.

Comme pour mieux l’embarrasser, la douleur l’empêcha de se relever.

« J’ai l’air fin, tiens ! » maugréa-t-il.

— Karel ! Ça va ? s’écria la voix d’Aquilée.

Des bras se placèrent sous ses épaules pour l’aider à se redresser pendant qu’il signait qu’il allait bien.

— Faut arrêter de se perdre dans ses pensées comme ça, mon garçon ! envoya Whélos en le relâchant.

« Oui, bon, ça va ! »

D’autres pas précipités les rejoignirent. Lya sauta plusieurs échelons et atterrit aussitôt à côté de son frère, inquiète.

— Karel ! Que s’est-il passé ? Tu n’as rien, au moins ?

Karel détestait être au centre de cette situation ridicule. Il se voyait bien mal expliquer pourquoi il venait de se casser la figure.

— Rien de cassé ? intervint Wil en haut de la trappe. Sérieusement, comment tu t’es débrouillé ?

« Non, mais vous allez me ficher la paix, oui ? » s’impatienta Karel. « On ne va pas en faire toute une histoire ! »

Au moins pouvait-il se réfugier derrière l’excuse d’être mué. Agacé, gêné de se retrouver dans une situation aussi stupide, Karel se releva avec raideur et s’enferma dans l’une des cabines en claquant la porte qu’il verrouilla.

Il rejoignit un matelas à même le sol sur lequel il se laissa tomber en soupirant. Assis dos contre le mur, Karel savoura le calme qui planait enfin autour de lui. Il se sentait un peu honteux et se promit de s’excuser auprès de ses amis.

« Encore un malentendu parce que je ne peux parler. »

Il n’avait pas pu informer les autres qu’il avait simplement besoin d’espace et de calme. Quelqu’un de normal aurait crié à tout le monde d’arrêter. Le seul moyen que Karel avait alors trouvé pour s’échapper et imposer sa demande avait été de couper court en s’enfermant dans une pièce.

Karel ne sut combien de temps se passa avant que le silence ne soit brisé par le léger grincement de la porte qui se referma aussitôt. Lya le rejoignit et s’installa juste à côté de lui. Elle étala devant eux quelques biscuits emballés dans un linge.

— Tu en veux ? lui proposa-t-elle gentiment. Ça vient de la Tribu de l’Eau. Ils ont un goût un peu spécial, mais ils ne sont pas mauvais. Tu partages avec moi ?

Lya revenait-elle enfin de son humeur sinistre depuis la Tour ? Karel s’en sentit sincèrement soulagé. Il n’était pas dupe, il savait qu’elle se sentait encore mal à l’aise, mais au moins semblait-elle avoir retrouvé la force de s’en remettre.

« Je te vois venir, petite sœur, tu vas chercher à me cuisiner. »

Malgré ça, il décida de céder à sa proposition : voilà plusieurs heures qu’il n’avait rien avalé. Cela lui donnerait une bonne excuse, temporaire, de ne pas pouvoir répondre, vu qu’il aurait au moins une main occupée. Il prit donc un biscuit sablonneux et mordit dedans. Un goût iodé lui rappelant le goût de ces algues avec lesquelles la Tribu de l’Eau accompagnait la majorité de leurs plats s’étala sur sa langue.

« En effet, c’est spécial. Mais pas mauvais. »

Le silence regagna sa place lors des premières minutes.

— Karel… grâce à toi, j’ai appris à traduire le moindre silence. Tu me caches quelque chose.

« Tu peux parler ! » pensa-t-il dans un rictus silencieux.

Qu’il regretta aussitôt.

— Eh, c’est quoi, cette réponse ?

Karel se tourna vers elle.

— « Alors, c’était comment, cette première ? » la provoqua-t-il.

Lya rougit et eut un mouvement de recul avant de détourner le regard.

— Je… Ça fait longtemps. Je veux dire… que je me questionne sur nous et… et…

Elle s’interrompit. Lya serra soudain les poings et le fixa avec une lueur de défi dans le regard.

— Oui, je me suis rendue compte que je suis amoureuse de lui. Ça te pose un problème ? gronda-t-elle.

Karel manqua de s’étouffer avec une soudaine envie de rire, heureux d’enfin la retrouver telle qu’il la connaissait. Il secoua la tête, accompagné d’une lueur amusée dans ses yeux, et lui décocha un sourire gentiment moqueur.

— « Absolument pas. »

Cela eut le mérite de couper net Lya, qui ne sut plus comment réagir. Elle baissa à nouveau le regard, mal à l’aise. Karel en aurait ri à gorge déployée s’il en avait été capable. À défaut, il releva délicatement Lya par le menton, l’entoura d’un bras autour de ses épaules pour l’amener contre lui et colla son front au sien. Il s’incrusta dans ses pensées.

— C’est bien mal me connaître. Je n’ai pas à diriger ta vie, Lya. Mais tu es ma sœur. Bien sûr que j’ai envie de te protéger et que je m’inquièterai toujours pour toi, comme tu le fais pour moi.

Il sentit Lya sourire contre lui et se détendre, soulagée de ne pas s’être trompée à son sujet.

— Wil est vraiment quelqu’un de bien. Je suis sincèrement heureux pour vous deux ! C’est juste que je ne m’y attendais tellement pas que ça m’a juste surpris. C’est complètement idiot, mais au moins, on en rira plus tard, et quand j’y pense, au final, ce n’est pas si mal. J’ai vraiment agi de manière puérile, tout à l’heure. Je suis désolé pour ça.

Il coupa sa magie et Lya s’appuya contre lui.

— Merci, Karel. Je suis soulagée de le savoir.

Karel se dégagea pour se libérer les mains.

— « Je ne comprends pas comment tu peux te laisser influencer par un hypothétique avis de ma part. Ou de qui que ce soit. »

— Ton avis comptera toujours pour moi. Pourtant… je ressens quelque chose qui me met un peu mal à l’aise à ton égard.

— « Je t’ai toujours souhaité le meilleur, Lya. Ça inclut ce genre de chose. »

Malgré ça, il ne pouvait pas s’empêcher de ressentir un pincement au cœur à l’idée de voir sa sœur s’éloigner un peu.

— Oh, Karel…

Lya se jeta soudain à son cou et le serra dans ses bras.

— Tu feras toujours parti de ma vie. Je ne veux pour rien au monde que tu en disparaisses. Je ne pourrai jamais m’y résoudre.

Karel lui rendit son étreinte avec affection avant de plonger ses yeux dans les siens avec un sourire.

« Je suis sincèrement heureux pour toi, Lya. Tu le mérites tellement ! »

Ils restèrent ainsi durant quelques instants, et Lya finit par se défaire de lui.

— Tu ferais mieux de parler à Wil. Il est dans tous ses états, tu sais. On le connaît, il fait en sorte de ne rien laisser paraître, mais à l’intérieur, il bouillonne. Il a en plus un complexe d’infériorité envers toi qui m’agace un peu, alors si tu pouvais lui recadrer deux ou trois choses, ça me rendrait service.

Karel fut pris d’un rictus amusé, une lueur machiavélique dans ses prunelles. Il acquiesça d’un petit signe de tête.

« Oh que oui. Je ne vais pas te louper, Wil. »

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