Chapitre 14
Karel rejoignit le gaillard d’arrière où Wil barrait le navire. Le marin détourna vite le regard, comme s’il ne sut plus où se mettre. En temps normal, Karel l’aurait rassuré, mais il avait quelques petits comptes amicaux à régler avec lui. Ce n’était pas souvent qu’il pouvait avoir le dessus sur qui que ce soit, surtout avec des personnalités comme celle de Wil. Karel comptait bien en profiter un peu. Il lui prenait sa sœur. Il n’allait pas s’en sortir aussi aisément.
Le Sorcier s’avança et se posta juste à côté de son ami. Ce dernier ne pipa mot.
« Pas de remarque ? Tu ne me chambres pas ? » s’amusa Karel. « Tu es plus inspiré, d’habitude ! »
— Mh. Tu connais les bases de la navigation, déclara Wil. Alors là, c’est simple, tu suis cette direction, d’accord ?
Il s’effaça pour laisser sa place et Karel saisit la barre.
— Parfait. Maintenant, je dois aller vérifier quelques trucs. À plus tard !
Karel remua les doigts et des racines s’enroulèrent autour des chevilles de Wil, le faisant trébucher dans un bruit sourd.
« Pas si vite, mon ami. »
Wil s’assit tant bien que mal en essayant de défaire vainement les lianes.
— Bon, grommela-t-il. Tu es donc au courant.
« Et comment. Une simple annonce m’aurait contenté. »
Karel hocha la tête et continua à naviguer comme si de rien n’était. Presque. C’était fou ce que le silence avait tendance à perturber les gens. Le jeune homme l’avait appris plutôt récemment. Lui qui avait toujours considéré son silence comme une faiblesse, aujourd’hui, il commençait à découvrir qu’il pouvait en faire une force.
— Et ? questionna Wil, abrupt.
La même réaction que Lya. Karel sourit en coin et réprima un rire.
— Quoi ? s’énerva Wil. Ta sœur a raison, tu n’as pas à dicter…
Karel leva une main pour le couper dans son élan. Il était temps de s’expliquer. Jouer un peu, c’était amusant, mais les blagues les plus courtes restaient les meilleures. Il décida de mettre fin à sa petite séance de torture, enclencha le pilotage automatique comme Wil le lui avait appris pour avoir les mains libres. Il signa.
— Désolé, je ne comprends pas tout.
« C’est parce que tu n’es pas assez concentré. Mais je ne peux pas t’en vouloir. »
Et pour cause. Karel s’agenouilla face à son ami et répéta ses signes beaucoup plus lentement.
— Pardon, vraiment. Mais ceux-là, vous ne nous les avez pas appris.
Karel inspira. Il décida de faire plus simple : il utilisa le signe marin pour signifier que tout allait parfaitement bien, une lueur amusée dans son regard et un rictus menaçant de le faire exploser de rire s’il le pouvait. Le visage de Wil se décomposa lorsqu’il comprit qu’il avait été mené par le bout du nez.
Un rire nerveux lui échappa, une main se grattant l’arrière du crâne comme chaque fois qu’il était mal à l’aise.
— Ce n’est pas sympa ! se plaignit-il. Je peux savoir pourquoi tu m’as fait marcher ?
Karel se releva, et signa. Mais à nouveau, Wil ne comprit pas.
« Il va falloir étoffer un peu cet apprentissage. »
Karel désigna Wil, puis lui-même. Il exécuta ensuite un petit arc vers le haut avec sa main comme s’il imitait un plongeon, et termina en désignant les garde-fous du navire.
« Ça t’apprendra à nous jeter par-dessus bord ! »
— Ah. D’accord. Mais ce n’était pas pareil ! C’était pour vous apprendre à nager ! se défendit Wil. En plus, ce n’est pas comme si je vous avais laissé couler !
Karel désintégra ses lianes.
« Maintenant, nous sommes quittes. »
— Pff, tu es vraiment rancunier, railla le marin.
« Complètement », lui sourit Karel en guise de réponse.
Wil se releva, désormais rassuré et retrouvant ses expressions espiègles habituels. Karel le préférait ainsi.
— Bon. Je suis rassuré. Je pensais que tu m’en voudrais.
Karel le regarda droit dans les yeux en affichant cette fois une expression sincèrement ravie.
— « Tu me prends ma sœur. Je ne pouvais pas te laisser faire sans rien dire ! »
— Désolé…
Karel secoua la tête, gardant son expression joviale.
— « Non, Wil », signa-t-il. « Merci à toi. Grâce à toi, Lya pourra enfin apprendre à s’occuper d’elle-même. »
— Je… je suis vraiment dingue d’elle, tu sais.
Karel aurait éclaté de rire s’il avait eu une voix. Il fixa Wil avec sérieux.
— « Je te crois. Je suis bien placé pour savoir pourquoi on ne peut que l’aimer. Tout ce que je souhaite, c’est que la personne avec qui elle décidera de partager sa vie soit d’une personne à sa hauteur. »
— Oh, ça, je pense que tu y veilleras ! plaisanta Wil. Je ne donne pas cher de ma peau si je me conduis mal avec elle !
Karel sourit en guise de réponse. Une lueur faussement machiavélique anima son regard, accompagné d’une expression carnassière.
— « Je n’aime pas la viande, mais je me demande quel goût ça a, les attributs amphibiens de la Tribu de l’Eau. »
Wil éclata d’un rire franc.
— J’ai peut-être mal choisi la femme à aimer. Tu es le pire potentiel beau-frère qui soit !
— « Tu n’es pas mal non plus dans le genre », signa Karel en désignant son ami.
— Alors à qui de nous deux sera le plus insupportable ! déclara Wil en lui présentant son poing.
Karel imita son geste et leurs phalanges se touchèrent.
Son cœur était en liesse. Depuis le temps qu’il attendait que Lya s’épanouisse et cesse de se conditionner à son sentiment d’infériorité… Wil lui donnerait ce que lui-même ne pouvait pas. Jamais Karel ne s’était senti aussi bien, depuis longtemps.
Il posa une main amicale sur l’épaule de son ami et tout, dans son expression, traduisit ses pensées.
« Prends soin d’elle, c’est tout ce que je te demande. »
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