Chapitre 15*
Monts de la Mort.
Elma appréhendait. Elle luttait contre son angoisse grandissante à l’idée de se retrouver face à Phényxia et aux démons. La première et dernière fois lui revenait en mémoire depuis l’annonce de cette attaque prochaine.
La jeune femme jeta un œil à Serymar, concentré à travailler sur l’araignée mécanique et à effectuer divers tests qu’elle était incapable de comprendre, le rapport volé et le livre qu’Orën avait ramené à côté de lui. Elle admirait sa capacité à comprendre aussi vite des sujets qu’il ne maîtrisait pourtant pas. Elma avait jeté un œil au livre par curiosité, tout lui était apparu comme un charabia incompréhensible.
Il se leva, ferma le rapport et une forte odeur de brûlé envahit la pièce. Le projet « Dragons » se consuma jusqu’à devenir un tas de cendres.
« Brûler ce qui appartient au passé, pour tourner la page et avancer. C’est bien son style. »
Cela rappelait à Elma les premières semaines où elle avait été aux côtés de Serymar. Il l’avait forcée à brûler ses guenilles, concluant ce rituel par ces mots : « Désormais, tu es une autre personne. » La jeune femme était soulagée d’avoir retrouvé Serymar comme elle le connaissait au moment de leur rencontre, après ces deux décennies.
Deux mains sur ses épaules la tirèrent de ses pensées.
— Ton appréhension est palpable, entendit-elle. Aurais-tu peur ?
— Bien entendu. Je ne suis qu’une Sans-Pouvoir. Mon dernier affrontement avec Phényxia n’a pas été très glorieux. Je vais te gêner dans cet affrontement à venir.
Serymar demeura silencieux, tira une chaise pour s’installer en face d’elle.
— Tu as réussi pas mal de choses en tant que Sans-Pouvoir.
Elma le regarda dans les yeux.
— Mais… je ne supporterai pas d’autres insultes.
— Te laisser atteindre est déjà la pire erreur à faire, Elma.
— Comment tu fais ?
Serymar haussa les épaules.
— Quand tu passes ta vie à te faire insulter, ces mots perdent de leur impact. Pour moi, il s’agit d’une pathétique tentative désespérée de faire réagir l’autre quand on n’a plus d’idée pour le mettre à mal. Quand mes ennemis en arrivent-là, je sais que j’ai gagné la bataille. En ce sens, il s’agit aussi d’un stratagème que j’utilise pour les pousser à me sous-estimer.
Elma en resta bouche bée. Elle avait beau connaître son côté manipulateur, il arrivait encore à la surprendre. Serymar la dévisagea avec sérieux.
— J’étais comme toi, il y a longtemps. Je prenais les choses à cœur. Il n’y a rien de pire. En prenant du recul sur les choses, j’en ai conclu qu’il s’agissait de la cause principale de toutes mes défaites. Si tu veux survivre à ce combat, Elma, il va falloir que tu saches jouer.
— Je… comment ça ?
Serymar laissa planer un silence, comme il le faisait chaque fois qu’il cherchait ses mots pour clarifier sa pensée.
— L’expérience m’a appris qu’il fallait savoir agir et parler au bon moment. Tu m’as ouvert les yeux, et ce combat, je n’y parviendrai pas seul. J’ai besoin de toi. Mais il faut que tu sois capable de jouer avec moi.
— Affronter autant de démons ne te fait pas peur ?
— Je te l’ai déjà dit, il y a des années. Ces idiots ne peuvent rien contre moi. Même s’ils viennent par centaine.
Il posa sa main sur la table sous ses yeux et révéla trois écailles noires bordées de rouge.
— Avec celle que tu as gardée, il en reste quatre.
— Je tiens à garder celle que j’ai subtilisée, annonça Elma.
Serymar l’interrogea du regard. Elma sortit d’une poche intérieure de sa robe un tissu qu’elle défit, dans lequel elle révéla l’écaille, désormais traversée d’une fine cordelette fabriquée à la main.
— C’est pour Aëlys, expliqua-t-elle.
Il leva les yeux au ciel.
— Toi et ton sentimentalisme… donne-le-moi, nous pourrions en avoir besoin contre ces démons.
Elma resserra son poing, dérobant l’écaille du regard de Serymar.
— Je me souviens de la puissance de ces choses. Trois seront largement suffisant, surtout avec toi comme protecteur en plus. Cette pauvre petite est dans le coma depuis un siècle. J’ignore si ça fonctionnera, mais je tiens à essayer. Le sang de Dragon réagit à l’approche d’un autre. Elle est ton enfant.
Elle marqua une pause, fixant son poing.
— Je me souviens d’un petit garçon qui avait failli mourir entre ces murs, et d’un être qui m’a demandée à quel point je l’aimais. Et à nouveau lorsque ce garçon affrontait des elfes noirs.
Elle vit à l’expression de Serymar qu’il avait compris d’où elle s’était inspirée et où elle voulait en venir. Il lui tendit la main.
— Quand je disais que tu es bien plus capable que tu ne le penses… très bien. Laisse-moi seulement y ajouter une touche personnelle pour parfaire ce talisman.
Elma lui donna le pendentif. Sa main s’attarda sur celle de Serymar. Ses doigts se serrèrent sur la sienne et Elma l’interrogea du regard.
Une lueur vengeresse traversa les yeux impressionnants de Serymar, qui arborait un sourire machiavélique.
— Que diras-tu de prendre ta revanche sur tous ces démons ?
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