Chapitre 17 - 1

5 minutes de lecture

Sheyral.




La tension était à son paroxysme. Jamais la ville n’avait connu un tel climat. Même les oiseaux semblaient avoir déserté les lieux, donnant un état figé sur cette ville normalement débordante de vie. Les activités marchandes s’étaient toutes interrompues, les étalages vidés accentuaient cet effet d’abandon.

Dans l’avenue principale de la ville, Valkor faisait face à Œil-de-Sang, de toute sa hauteur. Ses associés Mages, Sorciers et soldats étaient massés derrière lui, prêts à en découdre.

Valkor n’était pas un adepte de la loi du plus fort, comme chez les tribus vivant à l’état sauvage. Son peuple prônait la bienveillance et le savoir, et Valkor désirait perpétuer ces valeurs. Mais dans cette situation, il se devait d’utiliser tous les moyens à sa disposition, dont les deux grandes épées croisées dans son dos, rappelant qui il avait été dans sa jeunesse passée. Valkor profita de sa grande taille, exacerbée par la longueur de son corps et ses grands bois majestueux, pour dominer son interlocuteur de toute sa hauteur. Le visage fermé, il ne laissa pas une once de sentiment s’afficher sur son visage. Il n’aurait aucun scrupule à user de son statut si cela permettait de protéger l’avenir du pays. Enfin, il pouvait mettre un visage sur la personnalité mystérieuse qui avait bouleversé le pays plusieurs fois.

À l’annonce de son arrivée, Valkor avait tout de suite deviné de qui il s’agissait. L’homme qui avait déclenché des guerres civiles entre porteurs de magie et Sans-Pouvoir, pour mieux berner les Dragons avec sa promesse alléchante. Le Traître qui les avait ensuite trahis, ainsi que son propre peuple. Valkor ne pourrait jamais le lui pardonner. Il espérait que Karel était parvenu à déchiffrer son avertissement caché. Si c’était bien Sang-Mêlé qui l’avait élevé, alors il y avait de bonnes chances pour que cela soit le cas.

Valkor se maîtrisa pour refouler sa colère profonde envers son interlocuteur. L’état critique dans lequel il avait trouvé son ancien Apprenti s’imposa à sa mémoire. Valkor se souvint de toute la patience qu’il avait dû fournir pour gagner sa confiance et le soigner, tant son corps que son esprit brisé. Tout ça pour qu’il finisse consumé par sa colère et sa peur. S’il le pouvait, Valkor écraserait son interlocuteur sur-le-champ. Mais il ressentait un certain pouvoir de sa part. Un pouvoir dangereux, qui pourrait se retourner contre lui à la moindre manœuvre malheureuse.

Les créatures mécaniques qui entouraient Œil-de-Sang ne lui disaient rien qui vaille. Des êtres humanoïdes sans visage, avec un bandeau noir en verre en guise d’yeux. Enfin, Valkor le supposait. Il était soulagé d’avoir fait évacuer la ville à temps. Les habitants se dirigeaient vers les Monts Onyx. Sheyral était tout à l’opposé de la Tour de la Terre, les habitants y seraient en sécurité. Valkor et ses alliés n’étaient ici que pour leur faire gagner du temps.

— Les légendes concernant votre peuple sont parvenus jusqu’à moi, déclara Œil-de-Sang sur le simple ton de la conversation. Elles sont admirables.

Le son de sa voix était désagréable. Mi organique, mi superficiel. Un être digne des plus sombres cauchemars. Œil-de-Sang le toisa de son œil vide qui lui avait valu son surnom.

— J’admire vos prouesses, Valkor. Vous méritez bien l’appellation de Maître. Avoir développé une ville marchande grâce à la sagesse et aux connaissances de votre peuple, en plus d’avoir instauré un climat de paix entre Sorciers et Sans-Pouvoirs, de manière totalement pacifique en fondant cette prestigieuse Académie… voilà qui est impressionnant.

Cet homme jouait donc de l’hypocrisie. Valkor décida de faire de même.

— Les rumeurs à votre sujet sont toutes aussi impressionnantes, répondit-il d’un ton neutre. Je suis étonné qu’une humble petite ville comme Sheyral ait pu attirer votre attention.

— Il est surprenant de voir, en effet, une ville marchande, la plus proche de notre côte, avoir gagné en réputation sans avoir bénéficié du confort et des moyens que nous avons à offrir, alors que la capitale en utilise.

« Nous y voilà. »

Valkor comprit aussitôt le jeu d’Œil-de-Sang. Il ne changeait jamais de stratégie. Sous couvert de bonnes intentions, se montrant comme une personne à l’âme généreuse de vouloir tirer les autres vers le haut, il implantait sa domination. Ces êtres derrière lui n’étaient là que pour les surveiller et agir en cas d’impair. La malédiction était presque résorbée, sans qu’Œil-de-Sang ne s’en inquiète outre-mesure. Cela signifiait qu’il s’était donc préparé à cette issue et que ses projets étaient sur le point d’aboutir. Valkor était conscient d’avoir contrarié les plans de cet homme plusieurs fois, il était un obstacle. En un sens, il était soulagé d’être une cible. Au moins, Œil-de-Sang ne s’en prenait pas à des innocents.

— Nous ne comptons pas faire de concurrence, répondit tranquillement Valkor. Cette ville a pour simple but de constituer un point d’échange entre les villages isolés. Kyrma a fait son choix. Nous avons fait le nôtre. Le jour où nous ressentirons le besoin de nous inspirer de vos vies, nous le ferons. La beauté de de ce pays réside dans sa diversité, il serait fort dommage qu’elle se perde.

Valkor toisa son interlocuteur dans les yeux, d’un air entendu.

— D’autant plus que vous-mêmes utilisez la magie. N’êtes-vous pas venu ici par un sort de téléportation ?

Œil-de-Sang se tendit, mais demeura silencieux. Il avait compris le sous-entendu.

— Aussi, nous ne voyons pas l’utilité, pour le moment, d’utiliser vos hommes mécaniques, conclut Valkor avec froideur.

Ces créatures lui donnaient la nausée. Ses associés en étaient effrayés. Certains d’entre aux affichaient sans crainte leur antipathie.

— Restez calmes, leur transmit-il par télépathie. Analysez ces choses pour trouver leur point faible. Ils doivent bien en avoir un.

Il comptait bien gagner du temps pour le leur permettre. Il ne pouvait pas lâcher des yeux Œil-de-Sang, sous peine de trahir sa supercherie.

— Pourtant, la dernière attaque d’un Clan a laissé cette ville dans un triste état, d’après les dernières nouvelles, nota Œil-de-Sang avec un sourire mauvais. Cela ne démontre-t-il pas un besoin d’assistance plus poussé pour contrer leurs menaces ? Une assistance qui ne risquera pas la vie des Mages qui défendent cette ville. Avec mes Inquisiteurs, vous saurez même à l’avance qui fomente en ville, vous pourrez donc l’appréhender avant même qu’il n’attaque !

« Ces êtres vides savent donc lire dans les pensées. »

Valkor ignorait comment un tel prodige pouvait être possible sans magie, mais il savait que son interlocuteur ne mentait pas.

« Ainsi, l’attaque de Phényxia avait été préméditée, elle aussi, pour venir à ce moment », comprit-il.

Œil-de-Sang était un vai Maître dans ce type d’orchestration. Mais Valkor refusait de céder. Il avait vu juste. Depuis le début.

« Cher Karel, prends garde à toi. Que les Dragons te protègent. »

— Je comprends. Et je vous remercie pour votre sollicitude…

Valkor se rapprocha et domina son interlocuteur de sa grande taille, plongeant son regard de serpent dans son œil valide.

— … mais nous nous en passerons, déclara-t-il d’un ton impérieux et empreint de menace.

Valkor se redressa et imposa une certaine distance, toisant Œil-de-Sang.



Suite ===>

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Eylun ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0