Chapitre 18 - 1
Karel retint sa main prête à brandir son épée. Ce n’était pas le but de l’exercice.
« Allez. Je peux le faire. »
Il tendit à nouveau la main, puis la seconde, comme s’il soulevait quelque chose. Une bouée de secours flotta à quelques mètres de lui sous le regard avisé de Whélos, qui réajusta ses lunettes.
— Bien. Maintenant, essaie de la soulever plus haut. Concentre-toi.
En temps normal, avec son artéfact, Karel aurait fait ça comme si de rien n’était. Sa magie pulsait dans ses veines et Karel luttait pour qu’elle ne déborde pas. Avisant sa difficulté, Whélos lui posa une main sur un bras.
— Calme-toi. Arrête de penser que tu vas forcément perdre le contrôle de tes pouvoirs. Tu augmentes tes chances d’y parvenir.
Karel cessa brusquement d’utiliser ses pouvoirs. Il était essoufflé. Whélos lui offrit une expression bienveillante.
— Prends ton temps. Essaie de te souvenir de ce que t’a appris Eleyra pour apaiser tes pensées. Tu vas en avoir grandement besoin, si tu veux parvenir à maîtriser tes pouvoirs sans artéfact.
Karel hésita.
— « Je ne suis pas sûr d’être prêt, finalement », signa-t-il.
— Oh si, tu l’es, contra Whélos. Le peu de fois où je t’ai surpris à utiliser la magie sans ton épée, tu le faisais avec une certaine aisance, même si ça restait encore perfectible. Car tu étais concentré sur l’action, comme lorsque nous essayions d’empêcher que l’orbe de ce navire se brise. Essaie de prendre du recul : souviens-toi de la manière dont tu t’y es pris, ce que tu as ressenti, comment ça s’est passé au moment où tu as transformé ce tabouret.
« Je n’avais même pas réfléchi ! »
Karel garda sa réflexion pour lui. Whélos avait raison : quand son esprit n’était pas encombré de pensées parasites, il y parvenait. Ces situations d’urgence nécessitaient tant d’attention qu’il ne s’était pas rendu compte de la facilité avec laquelle il avait lancé ses sorts.
— Comme lorsque tu utilises ton artéfact, imagine tenir cet objet dans ta main. Visualise-le bien et soulève-le par télékinésie, exactement comme tu le ferais d’habitude. Et pour mieux oublier cette crainte de perdre le contrôle, focalise ton attention sur quelque chose qui t’apaise. Et coupe-toi du reste du monde.
Karel acquiesça. Il ne put, malgré-lui, s’empêcher de comparer les méthodes de Whélos à celles de Serymar. Avec Whélos, si Karel faisait une erreur, le chercheur ne le blâmait pas.
— Est-ce que quelque chose, dans ce qui nous entoure, parvient à te détendre ? le questionna Whélos.
Karel prit le temps de réfléchir avant de désigner d’un signe du menton l’immense étendue d’eau autour d’eux. S’il n’avait jamais vu la mer de près jusqu’à cette année, Karel en avait toujours entendu les ressacs au loin, derrière les Monts de la Mort qu’il voyait depuis la fenêtre de sa tour. Souvent, enfant, il passait du temps à se laisser bercer par ces sons, surtout le soir, en rêvant d’aventures au-delà de cette muraille naturelle et sombre.
— Très bien. Ferme donc les yeux et prends le temps de te laisser prendre par le son des vagues.
Le jeune homme obéit. Il mit de longues minutes avant de parvenir à se couper de tout. Le chant des vagues l’atteignit et envahit sa mémoire. L’apaisement le gagnait. C’était comme si le poids sur ses épaules s’allégeait.
Parfait. Maintenant, imagine que tu tiens cette bouée entre tes mains. Ne pense pas à tes pouvoirs. Visualise seulement.
Karel obéit, à nouveau. Il imagina avoir la bouée entre ses mains. Soudain, Karel tendit brusquement une main vers l’avant pendant que son autre main se refermait comme s’il tenait fermement quelque chose. Un son mouillé se fit aussitôt entendre.
— Je te félicite, mon garçon !
Karel ouvrit les yeux et aperçut la corde tendue à quelques mètres devant lui. L’étonnement déforma ses traits. Il croisa le regard de Whélos, qui lui souriait.
— Parfait. Plus tu pratiqueras, et moins tu auras besoin de temps pour te concentrer. Tu verras, ça finira par venir, laisse-toi juste le temps. Et si tu essayais de ramener cette bouée ?
Galvanisé par sa victoire, Karel bascula son bras vers l’arrière. Sa magie lui échappa quelque peu et la bouée revint à une vitesse vertigineuse, si vite que la bouée lui percuta la figure, lui faisant perdre l’équilibre.
Karel se redressa en se frottant le nez. Whélos le fixait, impassible… du moins en apparence. La petite étincelle dans ses yeux bleus et sa main cachant sa bouche comme s’il réfléchissait ne trompaient pas : il avait envie de rire.
— Hum, fit-il en remarquant Karel. Pardonne-moi. V… vraiment.
Karel lui sourit en guise de réponse pour lui dire qu’il comprenait.
— « Pour ma part, je trouve amusant de te voir lutter pour ne pas te laisser submerger par ce fou rire incontrôlable qui te ronge », se moqua-t-il.
— Dis donc, c’est moi ou tu as gagné en confiance depuis le jour de notre rencontre ?
Karel se releva et réajusta sa tunique.
— « Nous sommes quittes », signa-t-il.
— Je crois que l’on va arrêter pour aujourd’hui.
Karel acquiesça et s’éloigna pour laisser de l’espace à son ami. Il rejoignit Wil à la barre à roue.
— Nous accosterons bientôt, le renseigna-t-il.
— « As-tu déjà eu l’occasion d’aller chez les Avancés, Wil ? »
— Non, je suis comme vous, c’est la toute première fois que je mets les pieds dans cette région. J’ai déjà acheminé des marchandises, mais jamais dans ce coin-là. Je découvre en même temps que vous. Heureusement, j’ai pu quand même étudier les protocoles portuaires des Avancés.
« C’est déjà bien mieux que de ne rien savoir du tout au tout. »
Le paysage changeait radicalement de ce qu’il avait toujours connu : au loin se découpaient non pas des murailles ou des toits en chaume ou en tuiles, mais des bâtiments parfaitement alignés de tailles variées et aux contours strictement réguliers. D’épais nuages de vapeur s’émanaient de la ville débordante d’activité. Les couleurs rappelaient toutes les variantes de métal.
Karel sursauta en apercevant une masse dans le ciel qui ne ressemblait en rien à un oiseau ou à un Dragon. Cela ressemblait à une barque géante reliée à des fils sur un ballon géant de forme ovale.
« Par les Dragons, ça existe donc vraiment ? »
— Bienvenue au pays où les rêves deviennent réalité ! se moqua Wil.
Il tourna le gouvernail.
— Nous devons accoster. Nos réserves de nourriture ont beaucoup diminué depuis l’Archipel. De toute façon, la Tour de la Terre est inaccessible en bateau. Nous pourrions en profiter pour acheter de quoi franchir ces montagnes plus facilement.
Karel afficha une moue inquiète.
— Ne t’en fais pas, répondit Wil. D’après mon oncle, les méthodes de surveillance des Avancés sont beaucoup plus efficaces qu’ailleurs sur Weylor. Il est très difficile d’usurper l’identité de quelqu’un.
Karel acquiesça.
— Nous serons bientôt contactés, je vais devoir communiquer. J’espère que je vais m’en sortir convenablement… Tu veux bien me passer le poste, Karel, s’il te plaît ? Je t’aurais bien appris ça aussi, mais ce n’est pas encore à l’ordre du jour, plaisanta Wil avec un rapide clin d’œil.
Karel hocha la tête, et alla chercher une boîte en métal qui servait à envoyer des messages au loin. Il la donna à Wil.
« Merci mon ami, mais tu sais, je crois que cet espoir de parler ne me sera jamais permis », songea-t-il en guise de réponse.
Il descendit du gaillard d’arrière en vue de préparer les cordes pour amarrer le navire, à l’écoute des prochaines directives de leur capitaine.
Ses compagnons étaient aussi en poste. Karel entendit déjà des sons déformés par un micro quelconque provenant de l’appareil de Wil. Ce dernier y répondait, mais Karel était trop loin pour l’entendre avec précision.
Suite ===>
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