Chapitre 18 - 3

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— Par les Dragons, peut-on enfin avoir une explication à ce qui se passe ? s’énerva Whélos. Nous n’avons pas de temps à perdre !

Une ombre passa sur le visage du chef de quai.

— En effet. C’est pire que ce que j’imaginais. Par les Dragons, si j’avais su…

Il aida Raël à s’asseoir dans un fauteuil et fixa Karel.

— Visiblement, vous vous connaissez, tous les deux. Tu pourras peut-être nous aider. Nous avons trouvé ce garçon évanoui sur notre terrain, amnésique. Nous ignorons par quelle magie il est arrivé ici.

— Karel, qui est cet homme ? lui demanda doucement Lya.

« Et dire que je viens d’apprendre son prénom… »

— Ne me dis pas que… ?

Karel hocha légèrement la tête pour répondre à sa question silencieuse. Lya perdit des couleurs à son tour et dévisagea Raël qui émergeait enfin. Le chef de quai lui apporta un grand verre d’eau, mais Raël fut bien incapable de s’abreuver : il fixait Karel avec de grands yeux surpris, et lui non-plus ne semblait pas savoir quelle conduite tenir.

— Raël, comment te sens-tu ? s’inquiéta son patron.

— Je… Bien, je vous remercie.

« Évidemment, lui aussi, il parle », releva Karel avec rancœur. « N’y avait-il vraiment personne comme moi dans ce vieux château ? »

Il avait beau avoir fait son deuil, cette blessure était restée profondément gravée en lui. Il avait toujours eu du mal à accepter cette idée que tout le monde avait participé à ce mensonge. Des personnes qui s’étaient peut-être moquées de lui, voir même méprisé, au vu de l’attitude de beaucoup à son égard : évitement, réactions froides, quand elles n’étaient pas fuyantes, donnant la désagréable impression à Karel, à l’époque, de toujours déranger, de ne pas être à sa place. Autrefois, il n’avait pas les moyens de comprendre. Aujourd’hui qu’il connaissait la vérité, il comprenait. Et il ne cautionnait absolument pas. Raël avait fait parti des moins pires, mais Karel ne se souvenait pas d’avoir eu le moindre échange avec lui non-plus, à part peut-être en lui demandant une fois ou deux dans sa vie où se trouvait Elma ou Serymar.

— Où est ton Maître ? interrogea Lya avec colère. Dis-lui de sortir, nous allons en découdre maintenant !

— Que… Je vous demande pardon, mademoiselle ?

— Non, mais il se moque de nous, en plus ! cria-t-elle.

Wil et Karel la retinrent avant qu’elle ne se jette sur Raël. Il fit signe à son employeur, qui s’était positionné devant lui pour le protéger. Le chef de quai s’écarta mais resta à ses côtés.

— Je ne vous dis que la vérité, répondit Raël avec un calme surprenant. Mon chef dit vrai, je ne sais pas par quelle magie je suis arrivé ici. Visiblement, je semble avoir des origines de l’autre côté des montagnes, tout comme vous. Je suis amnésique, et je viens de retrouver quelques souvenirs à la vue de votre compagnon. C’est assez troublant, d’ailleurs.

Serymar ne semblait effectivement pas être là.

« Il attend donc vraiment les Clans de pied ferme », comprit Karel. « Si Raël est vivant, c’est qu’il n’a pas trahi son Maître. »

Karel serra les poings.

« Et Elma ? Où est-elle ? L’a-t-il gardée, ou lui a-t-il fait subir la même chose ? L’a-t-il elle aussi abandonnée quelque part, comme Raël et moi ? »

— Tu es incapable de parler, n’est-ce pas ? intervint le chef de quai.

Karel se figea et fixa l’homme.

— Quelqu’un de normal aurait déjà réagi aussi vivement que cette demoiselle, dans cette situation. Je vois bien que, depuis tout à l’heure, tu es mal à l’aise. Et pas qu’à cause de cette situation tendue. C’est comme si tu essayais de cacher quelque chose.

Karel ne cilla pas. La colère l’en empêchait.

— Installez-vous. Je vais vous expliquer ce qui se passe. La situation est vraiment devenue dangereuse. Nous devons faire vite.

Le chef de quai s’éloigna de quelques pas, soupira, las. Il parut soudain plus vieux que ce qu’il était.

— Un groupe radical profite du fait que les Dragons ne peuvent relâcher leur vigilance sur Onyx pour semer la terreur. Ils imposent des blocus de partout, et les navires non Avancés sont surveillés. Particulièrement ceux de la Tribu de l’Eau. C’est pour ça que nous l’avons aussitôt rendu invisible.

Il marqua une courte pause. Toute la petite assemblée attendit la suite.

— Nous avons beau être plus nombreux qu’eux, ils sont terriblement puissants, peut-être plus que les Clans, je dirai. Alors depuis, et ce malgré les risques que nous encourons, nous essayons d’avertir tout voyageur venant de l’autre côté, afin qu’ils puissent repartir le plus rapidement possible. Croyez-moi que cela nous coûte : nos liens avec l’autre côté nous sont chers. La majorité de notre nourriture et de nos matières premières viennent de chez vous, la ville de Sheyral nous aide beaucoup. Nous vous devons beaucoup. Et ces refus de marchandise à répétition commencent à se faire sentir. Mais nous préférons perdre de l’argent et nous priver de nourriture plutôt qu’accepter que des gens soient torturés ou pire.

— Quel rapport avec votre employé et Karel ? demanda Whélos, même s’il semblait déjà se douter de la réponse.

— Cette maudite secte s’en prend particulièrement à vos peuples, répondit le chef de quai avec colère. Et plus encore, étrangement, à des personnes comme Raël : il circule une rumeur comme quoi on aurait trouvé plusieurs cas comme lui simultanément, à plusieurs endroits de Weylor.

— Quel rapport avec le fait que Karel ne parle pas ? demanda Lya. Vous connaissez la Prophétie ?

— Malheureusement non. Mais cette secte a des délires pas possibles : ils sont à la recherche d’une personne muette, plus encore que ces personnes amnésiques apparues de nulle part. Une différence pareille, ça ne court pas les rues ! Voilà pourquoi je disais que la situation était grave !

Le chef de quai fixa Karel.

— Si nous pouvons vous aider en changeant votre apparence, je ne vois pas comment tu pourras faire illusion avec ce problème, mon garçon !

Karel comprit mieux. En effet, le chef de quai prenait beaucoup de risques. Il disait donc la vérité. Il lui serait plus simple de les dénoncer, et le plus logique aurait été de le faire directement plutôt que de leur expliquer la situation. Surtout en voyant Œil-de-Sang.

— Le fait qu’ils vous recherchent ne doit pas être une coïncidence, n’est-ce pas, Raël ? fit le chef de quai.

L’ancien serviteur baissa le regard avant de le relever.

— En effet. J’ai connu ce jeune homme alors qu’il n’était qu’un enfant. Je m’en souviens, à présent. Nous vivions sous le même toit.

— Avez-vous un lien de parenté ?

— Pas à ma connaissance.

— Mh.

Lya fulmina. Elle avait bien envie de lui dire les quatre vérités, mais une main de Whélos sur son épaule l’en dissuada.

— Je pense comprendre, à présent. Le chef de cette secte radicale cherche en réalité à attraper une autre personne, dont nous ne pouvons révéler l’identité ici.

Il avait dit ceci en regardant Raël dans les yeux, qui brûlait de savoir qui était ce Maître mentionné plus tôt par Lya.

— Ces deux jeunes gens ont été lié à cette personne pendant quelques années, expliqua Whélos. Une personne qui ne se laisse pas capturer aisément. C’est certainement pour cette raison qu’elle a effacé la mémoire de ceux qui la servaient et les a éparpillés aux quatre coins de Weylor, pour brouiller les pistes. Mais c’est sans compter l’intelligence de l’auteur de cette tyrannie. Il a déjà deviné la supercherie. Au moins, la manœuvre de cette personne commune a le mérite de lui faire perdre du temps.

— Cette personne, supposa Raël. Il s’agit donc du maître auquel vous aviez fait référence, n’est-ce-pas ?

Karel acquiesça d’un mouvement sec et froid.

— Donc, j’étais bel et bien au service de quelqu’un. Je me demande bien pourquoi. Je ne suis qu’un Sans-Pouvoir ordinaire. Cette amnésie est vraiment frustrante, même si j’en comprends les raisons. Je me demande si je m’entendais bien avec cette personne. Je ne peux m’empêcher de ressentir une certaine tristesse que je n’explique pas, par contre.

— Laisse-toi du temps, conseilla le chef de quai. Tes souvenirs finiront par revenir. La présence de ce garçon a déjà défait une partie du sortilège. Et si j’en suis sincèrement ravi pour toi, malheureusement, cela te met en grand danger. Tout comme vous autres.

En effet. Si Raël tombait entre les mains ennemies, ils n’hésiteraient pas à fouiller dans ses souvenirs retrouvés pour débusquer le Mage et Karel.

— Que proposez-vous ? s’enquit Whélos.

— Nous vous montrerons un passage qui mène vers la ville, reprit le chef de quai. Mais d’abord, vous devez vous fondre dans la masse. Vos vêtements dénotent bien trop ici, et vu la situation, mieux vaut être prudent. Je suis vraiment navré de vous accueillir ainsi.

— J’ai l’impression qu’au-delà de votre aversion pour leurs projets, il y a une autre raison qui vous pousse à prendre autant de risques, releva Aquilée.

Un court silence s’abattit sur la petite assemblée. Il était vrai que le chef de quai avait ce regard assombri depuis le début de l’échange. Comme pour confirmer les dires d’Aquilée, ses poings se serrèrent et il détourna la tête, comme pour ne pas montrer une peine qu’il avait de plus en plus de mal à contenir.

— En effet. Ces fous furieux ont vendu mon fils au Clan du Feu, révéla-t-il avec douleur. Ils sont ensuite venus m’annoncer froidement qu’il avait été tué, soi-disant parce qu’il avait trahi cette cause à laquelle il n’avait jamais adhéré. Cette femme… Elle m’a montré ce qu’il en restait : une simple âme dans une fiole ! Ils ont détruit mon fils, et je n’ai rien pu faire. Alors si je peux éviter à bien d’autres gens de subir le même sort, croyez-moi que je le ferais. Jusqu’à ce que quelqu’un vienne nous sauver en libérant les Dragons. Ma belle-fille vous y aidera.

Suite ===>

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