Chapitre 20 - 1

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Les patrouilles se faisant nombreuses, il fut décidé que la petite compagnie resterait cachée dans la demeure de Lyrielle et de sa belle-famille, le temps de guetter un moment plus propice pour sortir.

Chacun fit de son mieux pour tenter de s’acclimater avec ces lieux étranges. Lya et Lyrielle se retrouvaient en bonnes amies, en compagnie d’Aquilée, dans un salon confortable. Chacune se racontait sa vie, ses projets, et comment elles en étaient arrivées là.

Sans étonnement, Whélos consultait quelques archives pour apprendre à mieux connaître les lieux et leur histoire. Wil était en compagnie du chef de quai, voulant s’assurer que son navire ne craignait rien.

Karel avait du mal à se reconnaître dans ses nouveaux atours. Il se demandait si cela était dû au fait qu’il s’agissait de vêtements neufs ou si c’était dû à ce style qui était tout à l’opposé de ce à quoi il était habitué. Il avait l’impression d’être un noble en partance pour une simple promenade.

— Cela surprend, n’est-ce pas ? Je l’ai été aussi. Mais on finit par s’y habituer.

Le jeune homme se retourna, surpris, et aperçut Raël, adossé contre l’encadrement de la porte.

Karel ignorait comment réagir. D’un côté, il avait beau savoir que Raël avait été sûrement contraint par les ordres étranges de Serymar, de l’autre… il ne lui avait jamais spécialement tendu la main non plus. Leur relation s’était construite dans une froide cordialité. Raël sembla percevoir son malaise et soupira. Il se redressa et observa Karel dans les yeux.

— Je sais que cela ne rattrapera pas les choses, et que ça va te paraître facile, mais… Vraiment… Je suis désolé. Même si j’aimerai me rappeler pourquoi nous n’avions jamais échangé un seul mot. Dans tous mes souvenirs récupérés, il n’y en a aucun où je t’adresse la parole. Je me souviens même d’un moment qui, je te l’avoue, me fait sincèrement honte. Je ne me pensais pas comme ça, à vrai dire.

Karel ignorait quoi répondre. De toute manière, à quoi cela servirait-il ? Comme les autres, Raël n’avait jamais fait l’effort de comprendre la langue des signes. Karel doutait qu’il avait appris entre-temps.

« Encore une conversation à sens unique. Ça ne m’intéresse pas », décida-t-il en gardant une expression froide.

Son problème lui revenait en pleine figure et Karel haïssait cette sensation. Peut-être ne s’était-il pas ouvert au monde, finalement. Raël le mettait en échec. Avait-il passé tout ce temps à travailler sur lui-même pour rien ? N’avait-il jamais avancé ?

Les barreaux invisibles de sa prison interne devinrent à nouveau palpables et Karel eut l’impression d’étouffer. Il redoutait ces abysses desquels il pensait s’être extirpé. Au contraire, elles le menaçaient, l’attendaient patiemment et Karel s’accrochait désespérément à ses amis pour ne pas y replonger.

Le cœur serré, Karel envoya un regard lourd de reproches à Raël. Ses souvenirs d’enfance fusaient, notamment ceux qu’il avait désiré oublier.

« Elma était elle aussi contrainte au silence, et pourtant, elle avait fait l’effort de comprendre ma langue ! » ragea-t-il.

S’il n’en voulait pas aux serviteurs de Serymar de ne jamais lui avoir dit la vérité, se doutant qu’ils devaient être aussi contraints par le Mage, il ne se sentait pas encore capable de pardonner cette solitude imposée. Karel ne comprenait pas pourquoi les autres n’en avaient pas fait autant qu’Elma. À l’époque, ils étaient des adultes. Lui, un simple enfant.

Un étau invisible lui comprimait les côtes. La frustration de ne pouvoir cracher ces mots à Raël le torturait. C’était toujours pareil. Les autres pouvaient s’exprimer. Lui ne pouvait qu’écouter sans que personne ne se doute de la détresse émotionnelle qui le submergeait de l’intérieur, sans s’afficher sur son visage.

— Je ne comprends pas, hésita Raël. Je te revois enfant, me demandant quelque chose. Et… Et moi je…

Il baissa le regard. Karel demeura de glace. Il voyait à quel moment Raël faisait référence. À ce jour où, paniqué d’avoir vu Serymar disparaître après avoir absorbé sa maladie, il avait imploré les serviteurs de l’aider à le retrouver. Chacun avait ignoré sa détresse de petit garçon. Lorsque Karel avait demandé à Raël de lui venir en aide, il l’avait mis à la porte. Au lieu d’avoir été rassuré, il avait récolté une peine supplémentaire qui n’avait fait qu’amplifier son angoisse.

— Je me conduis comme un hypocrite. Je fais semblant de te comprendre, et t’ai mené vers la porte de la pièce, te laissant seul dans ce couloir sombre. C’est… méprisable. Finalement, je me demande si cela vaut le coup que je retrouve mes souvenirs.

« C’est lâche ! » gronda Karel.

C’était trop facile. Renfrogné, il ajusta le col de la chemise que Lyrielle lui avait prêté et se détourna de Raël après lui avoir jeté un regard noir. Il était las d’être ce déversoir pour les autres.

La colère animait Karel face à tant de lâcheté. Ces gens l’avaient laissé à sa solitude, à une période de sa vie où il avait besoin de se sentir sécurisé. Et aujourd’hui, cet homme devant lui ne voulait pas assumer ? Karel avait du mal avec les gens qui n’affrontaient pas leurs problèmes en face.

« Je ne peux pas parler. Cela ne signifie pas que je suis obligé d’écouter. Moi aussi, j’ai le droit de choisir les conversations qui me plaisent. Mon silence n’est pas toujours synonyme d’assentiment ! »

Les nerfs le submergèrent et Karel abattit son poing s’abattit contre le mur. Il jeta un regard furieux à Raël, lui tourna le dos et s’apprêta à partir.

— Attends ! implora Raël. Karel… Je t’en prie.

Karel s’immobilisa, mais ne se retourna pas, main suspendue sur la poignée de porte. Pour le moment, il n’avait pas encore la force de passer au-dessus de tout ça.

« Il est si aisé de me confier vos repentirs… C’est si pratique, la mutité ! Au moins, vous ne risquez pas d’être déçus, puisque je suis muselé à l’intérieur de moi-même, sans aucun moyen de vous dire vos quatre vérités, je ne risque pas de vous blesser ! Il est si facile de m’octroyer des pensées que je n’ai pas, de traduire mes silences comme vous l’entendez, en fonction de ce qui vous arrange ! Et je ne supporte plus ces étiquettes sur mon front ! »

C’était ce qui, d’après ses observations, avait tendance à rebuter les gens à présenter des excuses à autrui : la crainte de ne pas être pardonné. De l’entendre. Alors on allégeait sa conscience, en se moquant pas mal des conséquences sur la sienne. Karel avait décidé qu’il ne voulait plus subir cette situation. Plus maintenant alors qu’il avait goûté au respect de soi auprès de ses compagnons.

— Je n’ai jamais dit que je n’avais pas l’intention de le faire.

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