Chapitre 4 : Les découvertes de Naru 2/3

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Jonas ouvrit à nouveau les yeux, s’extirpant du long état de transe dans lequel il était plongé depuis près de trois heures. Il était assis en tailleur sur un plateau escarpé surplombant le désert qui s’étendait face à lui. Ses muscles endoloris protestèrent violemment quand il essaya de les remuer, et le devin ne put s’empêcher de grimacer. Il se leva néanmoins et s’étira pour soulager son corps engourdis.

  • Tu es resté si longtemps immobile que je t’ai cru mort, commenta Voldra derrière lui.

Véritable montagne d’écailles, de muscles et de chair, le dragon, roulé en boule à la manière d’un chat, occupait à lui seul la quasi-totalité de l’espace disponible sur le plateau rocheux. Près de sa tête reptilienne se trouvait la carcasse parfaitement nettoyée de ce qui avait dû être une créature terrestre assez impressionnante, mais dont Voldra n’avait fait qu’une bouchée.

Jonas se permit un sourire.

  • Allons, mon ami, ne parle pas aussi froidement de ma mort, ironisa-t-il. Qu’aurais-tu fait, dis-moi, si cela avait été le cas ?
  • Je t’aurais mangé, répondit le dragon, impassible. Et puis je serais parti loin d’ici rappeler au monde que Voldra le Flamboyant mérite d’être craint et vénéré.

Le sourire de Jonas se fana quelque peu.

  • Quelle froideur… maugréa-t-il. Ce n’est pas étonnant que les dragons aient une aussi mauvaise réputation si tous tes congénères agissent de la même manière.
  • Nous sommes au sommet de l’évolution, démon… et il semblerait d’après ce que tu m’as dit que le monde l’ait oublié. Je suis resté trop longtemps enfermé ici. Maintenant il est plus que temps que je retrouve ma liberté, et que le reste de mon peuple se rassemble pour faire à nouveau entendre notre rugissement dans toutes les contrées.
  • Eh bien bonne chance pour cela, mon ami, répondit Jonas. Tu le sais déjà, mais la plupart des vôtres ont été exterminés par les trois factions. S’il y a d’autres dragons encore en vie, ils ont dû choisir de se cacher pour éviter un tel destin et voir votre race disparaitre…
  • Ils reviendront d’eux-mêmes quand le temps de combattre sera venu. Et il approche, je le sens… Ta venue ici, et le fait que tu m’aies enfin libéré de ce maudit enchantement n’ont rien d’un hasard. Tu m’as dit que ce Dracula était l’Empereur-Dragon Ecarlate, et qu’il régnait en maitre sur une partie du monde. C’est le signe que notre temps approche à grands pas.
  • Eh bien, c’est vrai qu’il est l’un des quatre Seigneurs Primordiaux. Je ne le connais pas personnellement, mais on dit de lui qu’il possède une ambition démesurée, et qu’il n’est rien qu’il ne puisse obtenir…
  • Cela lui ressemble bien, sembla approuver Voldra. C’était un puissant chef de guerre lors de la Grande Guerre. Ma sœur…
  • Attend, tu as une sœur ? s’étonna le devin.
  • Elle est morte pendant la Grande Guerre.
  • Oh… Je suis désolé.
  • Ne le soit pas, répliqua Voldra. C’est moi qui l’ai tuée.

Jonas, qui s’abreuvait à sa gourde avec avidité, en recracha la moitié d’étonnement.

  • Pardon ? balbutia-t-il entre deux hoquets d’étouffements.
  • C’est arrivé après que cette vipère de Gabriel nous ait amené ce fichue coffre… Le chaos que cette chose a apporté avec elle a divisé notre race. Nous étions en train d’écraser nos ennemis… Et puis nous avons commencé à nous entretuer. Notre peuple s’est scindé en deux. Moi j’ai pris le parti du Rouge… Elle a choisi le Blanc. Au début, nous nous sommes évités. Il y avait bien assez de sang à faire couler de chaque côté. Et puis, elle a tué ma compagne. Alors je l’ai retrouvée…
  • Et tu l’as tuée…
  • Dans le cas contraire, je serais mort. Elle était redoutable. J’ai appris ensuite que le Blanc et le Rouge s’était entretués aussi, et que la guerre s’était transformée en mêlée générale. Quand vous autres insectes ailés avez rassemblés vos forces pour nous attaquer, l’issue était déjà claire. Nous nous sommes détruits nous-mêmes.

Le devin choisit de rester silencieux, comprenant que Voldra s’adressait plus à lui-même qu’à son interlocuteur. Le dragon paraissait plongé dans ses souvenirs.

  • Mais notre race doit renaitre de ses cendres… reprit-il finalement. Je me demande si ce Dracula sera à la hauteur de son prédécesseur… S’il l’est, il méritera alors que je lui apporte mon soutien.
  • Tu veux rejoindre Dracula ? s’étonna Jonas. Je croyais que tu te considérais sans aucun maitre ?
  • Les Empereurs-Dragons sont différents, démon. Ce sont des chefs de guerre, pas des maitres. Si nous autres dragons sommes bien plus puissants que vous, eux sont les enfants d’Orphis. Il n’y a pas de honte à les servir, du moment qu’ils méritent notre loyauté en prouvant leur force. Ce Dracula semble être celui qui rendra à notre peuple sa véritable place. Et s’il est à la hauteur, je l’aiderai avec joie à faire trembler le monde. Mais s’il n’en est pas digne, je le tuerai. C’est ainsi que nous, dragons, vivons.

Jonas faillit répliquer que c’était aussi parce qu’ils s’étaient battus entre eux que les dragons avaient été finalement décimés pendant l’Aube Ecarlate, mais il s’abstint de tout commentaire… Ce qui était sûrement plus prudent.

  • Eh bien je te souhaite bonne chance dans ta quête, mon ami… déclara-t-il en ramassant son fusil qu’il avait laissé au sol. Mais n’oublie pas je t’en prie qu’il te reste encore une promesse à tenir.

Ce faisant, il leva son bras de façon à montrer à Voldra la marque de ce dernier qui scellait leur marché. Elle s’était un peu effacé depuis cette fameuse nuit… Cependant sa vue suffit à irriter le dragon.

  • Je ne trahirai pas mon engagement, démon, gronda-t-il. Même si je ne comprends pas comment ton temps n’a pas déjà expiré…
  • Oh, eh bien je t’ai juste demandé de nous protéger pendant que nous sauvions Triss… Quand nous avons réussi à quitter le refuge et que tu as continué à tout détruire en massacrant les vampires, c’était de ta propre volonté. Je ne t’ai jamais ordonné de commettre ces actes. Du coup cela ne compte pas.

Un souffle ardent s’échappa des naseaux du dragon, signe inquiétant de son agacement.

  • Tu joues sur les mots, maudit démon…
  • Peut-être… mais si notre marché tient toujours, c’est que j’ai raison, non ?

Le dragon l’observa quelques secondes, puis les muscles de sa mâchoire semblèrent s’étirer pour former ce qui pouvait être un sourire.

  • J’apprécie ta répartie… déclara Voldra avec un semblant d’amusement dans la voix, avant d’ajouter d’un ton plus perfide. Mais il te reste à peine une heure à utiliser… Crois-tu que cela sera suffisant pour tes projets ?
  • Je dirais que oui, estima Jonas, réprimant un frisson rien qu’au souvenir des horribles épreuves qu’il avait dû endurer en scrutant l’avenir. Il m’a fallu un peu de temps, de calme et de concentration pour aboutir à une conclusion disons… satisfaisante. J’ai traversé plus de mille avenirs différents pour trouver un moyen de nous sortir de cette situation difficile avec, hum, les moyens du bord. Et pour cela, une heure de ton temps devrait suffire. De toute manière, il est inutile de te demander gentiment de nous aider de ton plein gré, n’est-ce pas ?
  • Parfaitement inutile, approuva Voldra avec une pointe de satisfaction. Votre combat ne m’intéresse pas. J’avoue que l’idée faire couler le sang me plaît bien, mais je ne m’attarderai pas une minute de plus que nécessaire dans cette maudite contrée. Cela fait trop longtemps que j’ai été privé de ma liberté, contraint de survoler encore et toujours ce territoire ridicule en jouant les laquais… Non, démon, rien ne pourrait m’empêcher de reprendre la liberté qui me revient de droit. Pourtant…

Le dragon leva la tête et envisagea Jonas de la tête aux pieds, comme s’il l’observait d’un œil neuf.

  • Je dois avouer que pour un insecte, tu me plais beaucoup, reconnut Voldra avec amusement. Tu n’es pas aussi puissant que l’ange déchu ou la fille de la nuit, mais à ta manière, je trouve que tu es plus intéressant…
  • … Merci.
  • Je te propose quelque chose, une offre que je ne ferai qu’à toi seul, reprit le dragon. Nomme-moi un endroit où tu veux aller, et je te promets de t’y emmener quand tu le désireras. Personne ne m’arrêtera, et toi tu échapperas à une mort quasi certaine ici. Je te permettrai même de m’accompagner pendant mon voyage si tu le veux. Tu me distrairas avec tes histoires et tes prédictions, et tu raconteras au monde entier mes exploits. Car j’ai bien l’intention que les Enfers n’oublient pas mon passage, cette fois ! Peut-être même ferai-je de toi un seigneur… si, bien sûr, tu t’assures de me traiter avec le rang qui m’est dû.

Jonas émit un sifflement impressionné.

  • J’imagine que tu ne dois pas proposer ce genre de chose à chaque personne que tu croises, n’est-ce pas ? lança le devin.
  • C’est la première fois, démon. Il y a mille ans de cela, je t’aurais dévoré sans plus de considération. Cependant, quand tu m’as libéré de ce sortilège, j’ai été forcé de reconnaitre que même un insecte a son utilité… et qu’il peut être plaisant d’en avoir un à ses côtés.
  • Je vais choisir de prendre ça comme un compliment…
  • Qu’en penses-tu alors ? le pressa le dragon.

Le devin esquissa un sourire amusé. Il avait déjà vécu ce moment, sept fois pour être précis. Il avait vu les différentes possibilités que lui offrirait la solution de fuir avec le dragon. Avec sa puissance et sa rapidité, ils briseraient sans difficulté le barrage d’ennemis que le Comte Sanglant avait construit autour d’eux. Le dragon et le devin pourraient alors s’enfuir loin des griffes du nosferatu. Jonas n’avait pas vu assez loin dans l’avenir, mais il s’imaginait sans peine un futur où il pourrait acquérir ce qu’il avait toujours voulu ; richesse et puissance... et suffisamment de pouvoir pour donner une leçon à son monstre de père.

Cependant sans l’appui de Voldra et ses pouvoirs de devin, les autres rescapés dans la Montagne Décapité ne pourraient jamais s’en sortir… Lui survivrait, mais leur triste sort serait définitivement scellé.Une part de lui était tentée d’accepter cette offre, Jonas ne pouvais le nier… Pourquoi devrait-il risquer sa vie dans ce conflit qui ne le concernait en rien ? N’avait-il pas déjà suffisamment donné pour les autres ? N’avait-il pas déjà réglé ses comptes ? Il ne devait rien à Sheamon, ni même à la sorcière ou à la princesse. C’était leur problème, pas le sien.

Et pourtant… Il ne put s’empêcher de penser que Triss aurait catégoriquement refusé une telle proposition. La jeune fille l’avait par deux fois aidé à s’enfuir, s’exposant ainsi à de terribles souffrances. Elle n’avait pas hésité à se rebeller contre les sorcières de Qaltra pour provoquer leur chute, alors que personne avant n’avait osé les défier. Lui trouvait ce monde injuste et cruel… mais il n’avait absolument rien fait pour l’améliorer, car il était tout de même bien plus simple de se plaindre que d’essayer de changer les choses. Et pourtant cette gamine qui n’était jamais sortie de son univers sécurisé auparavant se battait déjà contre cette injustice qui voulait que les plus forts écrasent toujours les plus faibles…

Jonas poussa un soupir vaincu. Peut-être était-il bien un idiot finalement.

  • C’est une proposition alléchante, mon ami, reconnut-il. Mais, vois-tu, si je m’enfuyais avec toi, je perdrais toute crédibilité en tant que futur Roi-Démon. Que dirait-on du grand Perceval, s’il a fui au moment où on avait le plus besoin de lui ? Ce serait une tâche immonde sur ma légende.
  • Toi, tu veux devenir le Roi-Démon ? releva le dragon avec une pointe de surprise.
  • Ça te pose un problème ? grommela Jonas, avant de se corriger aussitôt. Enfin sans offense, ô Grand Seigneur de la Montagne. Bref, ce que je veux dire, c’est qu’il y a ici une gamine assez naïve, sacrément puissante, qui est la fille d’une véritable dictatrice sanguinaire… et qui pourtant est une personne assez formidable. Elle va marquer le monde de son empreinte, j’en suis convaincu. Moi, je ne suis qu’un simple devin, un arnaqueur qui se contente de vivre comme il le peut. Les quêtes héroïques, le sauvetage du monde… ce n’est pas mon genre. Mais pourtant… j’ai envie de voir le futur que les valeurs de cette princesse dessineront.

Le devin haussa les épaules.

  • Tu peux me traiter d’idéaliste, de rêveur, mais Triss me pousse à donner le meilleur de moi-même, à me battre pour autre chose que ma propre considération. Jusqu’à présent, je pensais que ma vie n’avait presque aucun sens. Mais je crois maintenant que j’ai trouvé le mien… Non, j’en suis même certain. Si j’ai rencontré la princesse qui marche sous le soleil, c’est parce que le destin estime que j’ai un rôle à jouer dans son histoire. Et j’ai bien l’intention de le jouer jusqu’au bout.
  • Alors, tu déclines ma proposition… résuma le dragon d’une voix menaçante qui, il y a peu, aurait fait trembler Jonas… mais qui maintenant le laissait de marbre.
  • Avec tout le respect que je te dois, oui, Dragon Flamboyant, répondit Jonas avec une pointe d’humour.

Voldra l’observa longuement dans un silence total. Puis un éclair d’amusement sembla passer dans son regard.

  • Tu es définitivement très intéressant, démon, déclara le dragon. Je respecterai ton choix, bien que je ne comprenne pas qu’une forme de vie inférieure puisse refuser l’immense honneur que lui accorde un dragon…
  • Si je n’étais pas idiot, j’aurais sans aucun doute accepté, ironisa Jonas en passant son fusil en bandoulière. Je pense qu’il est temps pour moi de rentrer à la montagne. Les autres vont bientôt se rassembler, et arriver en retard ne serait pas très sérieux…

Il sortit de sa poche une montre à gousset qu’il ouvrit pour vérifier l’heure. Le temps filait si vite quand on n’y prêtait pas attention… C’en était presque effrayant. Il referma la montre et la glissa dans sa poche en chassant ces sombres pensées. L’heure n’était plus à tergiverser.

Il était temps pour lui de passer à l’action.

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