Chapitre 5 : Une porte de sortie ? 1/2
Le groupe suivit donc la sorcière qui les entraina vers la cathédrale souterraine. Mais au lieu de s’enfoncer dans un autre couloir, la sorcière se dirigea vers le grand escalier menant aux portes d’acier situées au fond de la salle. Tandis qu’elle montait, Triss remarqua soudain que Jonas s’était arrêté un instant pour examiner le bas des marches devant lui, comme s’il y voyait quelque chose d’invisible pour les autres.
- Jonas ? l’appela Triss. Tout va bien ?
Le devin tressaillit et parut reprendre conscience du monde autour de lui. Son expression étrange disparut et il adressa un sourire insouciant à la jeune fille.
- Tout va bien, princesse ! assura-t-il avec son habituel ton mi-sérieux mi-moqueur. J’ai juste eu un moment d’égarement… Rien d’important !
- D’accord… laissa tomber Triss.
Ils s’aperçurent alors que le groupe les avait distancés pour passer entre les deux portes entrebâillées. Le devin et la jeune fille s’empressèrent de les rejoindre.
- Je ne vous ai pas vraiment remercié pour votre aide, déclara soudain Triss. Naru et Philippa m’ont raconté que, sans vous, mon sauvetage aurait échoué. Cela fait deux fois que vous me sauvez ainsi…
D’abord surpris, Jonas émit un rire léger.
- Tu n’as pas vraiment à me remercier, princesse, lui répondit-il sincèrement. Cela fait aussi deux fois que tu me couvres pendant que je m’enfuis… A croire que ça devient une habitude ! Je n’ai fait que rembourser une dette, et encore je n’ai joué qu’un rôle très secondaire en somme. Remercie plutôt Sheamon et son chat, ainsi que ton amie l’espionne et la sorcière. Ce sont eux qui ont fait le vrai boulot.
- Mais sans vous, ils auraient échoué, reprit Triss. C’est votre plan qui leur a permis de me récupérer saine et sauve. Et sans votre aide à Lutécia et Qaltra, nous n’aurions jamais pu arriver jusque-là…
La jeune fille s’arrêta alors devant le devin, forçant ce dernier à l’imiter.
- Et malgré la situation… difficile dans laquelle nous sommes, vous n’avez pas voulu vous enfuir avec le dragon, reprit-elle.
L’étonnement se peignit sur le visage de Jonas.
- Comment sais-tu que…
- Il est évident que l’idée vous a effleuré, non ? Tant que le dragon vous écoute, vous pourriez forcer le barrage ennemi sans courir le risque d’être rattrapé ou poursuivi… Vous ne présentez aucun intérêt pour Forlwey, donc il ne se donnera même pas la peine de vous traquer. N’importe qui dans votre situation y aurait songé. Mais vous avez quand même décidé de vous battre avec nous. Je ne sais pas combien d’individus auraient opté pour ce choix… mais je sais en revanche qu’ils n’auraient pas été nombreux.
Triss inspira profondément.
- Je vous ai dit lorsque nous étions dans la faille que vous étiez quelqu’un de bien, même si vous prétendez le contraire, déclara-t-elle d’une voix vibrante. J’aimerais ajouter quelque chose : malgré vos manières quelquefois très agaçantes, vous êtes le digne héritier de Perceval. Et vous avez gagné tout mon respect…
D’abord stupéfait, le visage de Jonas se fendit alors d’un large sourire dénué d’assurance ou d’arrogance. C’était un sourire simple, mais naturel.
- Merci, princesse, lui répondit-il, sincèrement reconnaissant. Merci beaucoup…
Il jeta alors un coup d’œil derrière elle, puis ses yeux retrouvèrent son éclat malicieux.
- Il semblerait que nos camarades n’aient pas jugé bon de nous attendre, remarqua-t-il. Nous devrions les rejoindre rapidement, non ?
- Je suis d’accord… répondit Triss en réprimant un frisson quand elle posa ses yeux sur la statue divine derrière eux.
Ils passèrent alors les portes en fer et rejoignirent leurs compagnons qui venaient manifestement de s’apercevoir de leur absence.
- Où étiez-vous ? leur demanda aussitôt Sheamon avec inquiétude.
- Nous examinions les portes… expliqua Triss avant d’enchainer par une nouvelle question afin d’éviter d’être interrogée davantage. C’est étrange, non ? Tout a l’air d’avoir été ravagé, mais contrairement aux premières ces portes-là sont restées intactes…
- Je suis contente que tu soulèves ce point, Triss ! lança Naru en sautant sur l’occasion. Lors de notre premier passage ici, nous avons remarqué qu’il y avait des traces d’affrontement laissant penser qu’une bataille avait eu lieu. Je n’ai pas pu fouiller la totalité de ce temple, mais je pense en avoir vu assez pour affirmer ceci : à part les armes entreposées par Evander, il n’y a absolument plus rien ici. Grimoires, potions, parchemins, artefacts... Tout a été détruit par un grand incendie, comme si on avait voulu effacer toute trace des sorcières, ou que celles-ci auraient sciemment provoqué ce désastre pour repousser un ennemi qui les aurait complètement dépassées… Peut-être même y a-t-il un peu des deux…
- Nous n’avons pas trouvé de cadavres, objecta Sheamon.
- Exact, mais en fouillant parmi les débris au sol, j’ai trouvé plusieurs fragments de sceptres de sorcières. Même brisés, ils sont difficiles à détruire complètement, et les morceaux peuvent facilement survivre à la mort de leur propriétaire. Les cadavres ont dû être réduits en cendres, ou se décomposer avec le temps... Ce qui est certain par contre, c’est qu’il y a eu un affrontement acharné. Mes consœurs ont été repoussées au cœur de la montagne, contraintes de se retrancher ici, puis de s’enfuir.
- De s’enfuir ? s’étonna Meira Lynn. Alors qu’elles étaient coincées ici, littéralement au fond du gouffre ? Comment auraient-elles pu s’échapper…
- J’y viens, répondit Naru avec patience, tandis que Triss remarquait soudain que le tunnel devant eux commençait à s’élargir de plus en plus. Au fur et à mesure de mes recherches, j’en suis venue à une conclusion : ce temple n’était pas qu’un simple repaire d’Alliance Sorcière. C’était une véritable place forte. Il a été construit pour protéger quelque chose d’important. Une chose pour laquelle les sorcières qui vivaient ici se sont battues avec acharnement et qu’elles n’ont dû abandonner qu’en dernier recours.
Le tunnel déboucha brusquement sur une immense grotte, deux fois plus grande que la cathédrale souterraine. Mais alors que cette dernière conservait une forme plutôt rectangulaire, cette salle-là ressemblait plutôt à un immense amphithéâtre circulaire. De titanesques piliers de pierre semblaient soutenir cette impressionnante structure, mais il s’en dégageait un tel sentiment de grâce et d’élégance que Triss doutait qu’ils aient pu être construits autrement que par magie. Des orbes de cristaux enchâssés dans les murs illuminaient la salle. Toutefois contrairement à la cathédrale souterraine, cette dernière était totalement vide… à l’exception d’une étrange structure au centre, composée de cinq pierres de cristal pointues de couleur rouge sang, frappées chacune d’un symbole différent. Elles étaient disposées en étoile et reliées entre elles par des lignes gravées formant un pentagramme.
Intriguée, Triss l’observa attentivement. En s’approchant davantage, elle remarqua que le centre du pentagramme était occupé par une grosse sphère de cristal totalement transparente, à moitié enfoncée dans le sol et couverte d’autres runes aussi mystérieuses pour elle que le reste des arcanes de la sorcellerie. Cette structure lui inspira aussitôt la même méfiance que la statue de la déesse dans la cathédrale souterraine, bien qu’elle ignorât de quoi il s’agissait. Mais Triss se rendit compte en envisageant l’expression de ces camarades, que tel n’était pas le cas de tous…
- Cette chose… c’est un Monolitik, n’est-ce pas ? lâcha soudain Meira Lynn avec révulsion.
- En effet, répondit posément Naru.
Manifestement Sheamon, Zelrinn, Abraham et Liam avaient l’air d’en connaitre tout autant sur le sujet, mais ils ne semblaient pas désireux d’en dire plus. En fait, ils se contentaient de fixer la structure avec la même expression méfiante que la capitaine de l’Eglise.
- Cela ne vous embêterait pas d’éclaircir ce mystère pour ceux d’entre nous qui n’ont aucune idée de ce qu’est un Monolitik ? s’agaça soudain Syana.
- Tu as raison, désolée, s’excusa alors Naru avant d’expliquer. Un Monolitik est un point de contact naturel qui se forme lorsqu’une infime partie de la Déesse s’est manifestée dans un endroit et l’a imprégné de sa puissance, en changeant parfois radicalement son apparence. Je ne serais pas étonnée d’ailleurs que cette montagne ait été formée ainsi. Il y a très peu de Monolitiks dans le monde, et nombreux sont ceux qui se sont battus pour en garder le contrôle… alors même que la plupart n’ont aucune idée de comment s’en servir !
- Parce qu’on peut s’en servir ? s’étonna Syana.
- Bien sûr ! Ces endroits possèdent une puissance incroyable. Nous autres sorcières les utilisons comme des autels sacrés pour prier la déesse et ressentir l’énergie qu’elle y a laissé. Mais nous pouvons aussi utiliser cet endroit de bien d’autres manières : comme pour régénérer nos forces, multiplier nos capacités et accroitre notre perception du monde... Un Monolitik peut aussi servir de portail magique pour se téléporter jusqu’à un autre, peu importent la distance ou les enchantements qui auraient été installés pour en bloquer l’effet. Ils sont liés par un liens que nulle magie ne saurait altérer… du moins c’est ce que prétendait Cassandra.
Triss redressa aussitôt la tête.
- Attends une seconde ! s’écria-t-elle, sentant un infime espoir revenir en elle. Cela veut dire qu’avec ça, on peut se téléporter partout dans le monde instantanément ? Donc…
- Calme ton enthousiasme, petite, lui conseilla Abraham. Ces choses-là sont très anciennes, et on ne sait que très peu de choses à leur sujet. Les meilleurs enchanteurs de notre peuple les ont étudiées sans parvenir à en percer les mystères…
- Parce que vous cherchez plutôt à détruire tout ce qui est en rapport avec la Déesse et les arcanes de la sorcellerie plutôt que d’essayer d’en comprendre toutes les capacités, répliqua Naru. Nous autres sorcières, grâce à notre lien direct avec Elle, sommes capables d’utiliser au mieux les dons qu’elle nous a légués ! Mais je ne pense pas que ce Monolitik soit en état de fonctionner…
Elle s’approcha de la structure et effleura avec son sceptre l’un des six cristaux écarlates, lequel s’illumina faiblement à son contact.
- Comme je vous l’ai dit, un Monolitik est censé regorger d’une puissante énergie… Or ici, on dirait que la source s’est épuisée et qu’il subsiste à peine une petite étincelle. Je ne pensais pas que c’était possible, mais on dirait que quelqu’un s’est servi de celui-ci jusqu’à pratiquement le siphonner… J’ignore pourquoi il nécessitait autant de puissance, mais le fait est que ce Monolitik est aussi utile qu’un navire qui prend l’eau…
Triss sentit ses espoirs s’évanouir d’un coup.
- Autrement dit, on est revenus au point de départ… grommela Syana, résumant parfaitement sa pensée.
- Pas nécessairement, intervint Liam avant de s’adresser à Naru. N’est-il pas possible de lui redonner de l’énergie nous-mêmes pour le réactiver ? En s’y mettant tous, je pense que nous devrions pouvoir…
- Je n’en suis pas certaine, objecta la sorcière en secouant la tête. Il faudrait tout de même une puissance monumentale pour pouvoir le redémarrer. Sachant que de nombreuses victimes d’Evander souffrent encore d’anémie et de malnutrition, il serait dangereux de leur enlever de l’énergie… Et même en prélevant le maximum de forces sur tous ceux qui peuvent le supporter, je pense qu’il serait nécessaire de répéter le processus au minimum deux fois pour enclencher sa réactivation. Or si on calcule le temps qu’il faut à un individu pour récupérer complètement après un tel effort, sans oublier que certains mettront plus longtemps que d’autres… Il nous faudrait au moins quatre à cinq jours pour obtenir des résultats… en espérant que cela suffise.
- Ce qui veut dire également qu’en cas d’attaque, la majorité d’entre nous serait incapable de combattre… rappela Malny, sombrement.
- En effet, ce n’est pas une option envisageable, approuva Abraham avant d’avancer une autre idée. Et si nous demandions au dragon de nous aider ? Avec l’énergie qu’il possède, nous devrions être capables de…
- Cela ne marchera pas, répondit Jonas en secouant la tête. Justement parce qu’il est un dragon, n’est-ce pas sorcière ?
- En effet, confirma Naru. Un Monolitik est empreint de l’énergie de la Première Déesse, dont nous tous, ici présents, sommes issus de près ou de loin. Voldra descend quant à lui du Premier Dragon, Orphis, l’autre Fondateur. Son énergie est trop… différente pour qu’elle puisse servir à alimenter le Monolitik. Et puis, je doute qu’il accepte…
- Je pourrais en prendre sur les animaux et les plantes de la région avec l’aide de ma magie, proposa alors Sheamon.
- Avec le peu de végétation et d’animaux présents dans le coin, il te faudrait des semaines pour arriver à quelque chose, objecta Liam.
Le silence s’installa, personne n’ayant d’autres idées à suggérer. Le moral du groupe, qui avait remonté en flèche lorsque Naru avait annoncé sa découverte, était de nouveau aussi bas qu’à leur arrivée. Peut-être même pire encore, car après l’espoir suscité par la découverte du Monolitik, ils étaient de nouveau brutalement confrontés à l’impasse dans laquelle ils étaient acculés depuis le début.
- En résumé… déclara soudain Philippa. Si nous avions suffisamment d’énergie pour le faire redémarrer, le Monolitik serait en état de fonctionner ?
- Je ne peux l’affirmer à cent pour cent, mais c’est fort probable, répondit Naru.
- Et dans ce cas, tu serais capable de faire fonctionner ce… Monolitik, sorcière ? l’interrogea Gralgir-Khan.
L’atmosphère se tendit. Naru réfléchit pendant quelques secondes, hésitante, incertaine… consciente de la pression et des attentes qui pesaient sur elle.
- Eh bien… manipuler un Monolitik n’est pas à la portée d’une simple débutante, finit-elle par lâcher à contrecœur. Cassandra y serait sans doute arrivée, mais moi, je n’ai lu que très peu de textes à ce sujet, et ma maitresse ne m’en a pas vraiment parlé… si ce n’est pour m’en décrire brièvement les capacités et me préciser qu’il n’en existe que très peu. Cependant je l’ai assistée dans de nombreux rituels difficiles, et je pense qu’avec mes connaissances des arcanes et mes capacités de déduction…
- Réfléchis bien, sorcière, la mit en garde Meira. Je ne souhaite pas t’effrayer, mais ta réponse a de fortes chances de déterminer notre plan d’action. Si tu surestimes tes capacités et que tu t’avères incapable de l’activer le moment venu, tu nous condamnerais tous à mort. Aussi pense bien à ce que tu vas dire maintenant, car tu as nos vies à tous entre les mains…
Naru déglutit avec difficulté mais ne recula pas pour autant ; elle inspira profondément avant d’assurer d’une voix légèrement tremblante :
- Je… je pense qu’avec l’aide de mes grimoires, il serait possible pour moi d’arriver à l’utiliser d’ici une semaine.
Sa déclaration aurait probablement asséné un coup au moral du groupe, si Jonas n’avait aussitôt repris la parole pour l’achever :
- Tu as deux jours pour y arriver, l’informa-t-il d’un air impassible.
A suivre...
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