Chapitre 6 : Jonas Castle ou Perceval Tower ? 2/4

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-Mais cette entrée a dû être ensevelie sous les décombres quand Voldra a ravagé le refuge, avait répliqué Sheamon. Il y a peu de chances que…

-Ils la trouveront, affirma Jonas. Du moins ce type, le Technomancien, la trouvera. Je peux te l’assurer…

-Il a l’apparence d’un humain, mais il est… spécial, confirma Philippa. Je ne l’ai pas vraiment vu en action, mais je sais que ses yeux sont capables de voir à travers le métal et la chair, de distinguer la chaleur d’un être vivant, et de repérer une fourmi ramper à des centaines de mètres de distance… Il trouvera les tunnels au premier coup d’œil.

-Alors nous devrions définitivement condamner cet accès, proposa Meira Lynn.

-Non, s’opposa une nouvelle fois Jonas. Car c’est par ici que la plupart d’entre nous fuiront une fois que le Monolitik sera prêt à être utilisé. Des trois points d’entrée que nous allons protéger ; la crevasse extérieure, l’entrée intérieure du cratère, et le passage vers le repaire… ce dernier est de loin le plus crucial pour notre survie. Nous devons donc être prêts à le défendre à tout prix, d’où l’obligation d’élever autour des défenses suffisamment efficaces pour empêcher des ennemis bien plus nombreux et une artillerie surpuissante de nous balayer.

-Je comprends la logique, admit Liam, non sans conserver un visible scepticisme. Mais tout de même, construire un fort en à peine deux jours est…

-C’est possible ! affirma le devin avec force. Nous avons ce qu’il faut pour y arriver : des manipulateurs de la pierre, experts en bâtiment, et un bon nombre de magiciens pour les aider...

-Je doute cependant qu’ils aient la force nécessaire pour réaliser un tel exploit, et surtout en deux jours, grommela Sheamon. Un fort, ça ne s’improvise pas, devin.

-Nous n’avons pas besoin d’une construction qui dure cent ans, ou qui rivalise de splendeur avec Asdoréa ! rétorqua Jonas avec agacement. Il nous faut juste un abri capable de tenir quelques heures, peu importe s’il s’effondre juste après. Donc quitte à construire, nous nous contenterons du minimum ! Une équipe parmi les plus solides de vos nirgaëns, Gralgir-Khan, s’occupera de creuser la montagne pour en extraire des pierres de toutes tailles, de toutes formes… peu importe ! Elle les empilera ensuite pour former un mur, que ceux qui en sont capables se chargeront de rendre compact. De cette façon ils dépenseront beaucoup moins d’énergie qu’en élevant les murs eux-mêmes, et la construction ira d’autant plus vite ! Capitaine Lynn, ajouta le devin en se tournant vers l’ange. Certains de vos hommes sont capables de manipuler les plantes et de faire pousser des arbres, non ?

-Quelques-uns oui, mais je ne vois pas pourquoi…

- Ils formeront les rampes sur les murailles et renforceront les murs de l’intérieur. Une autre équipe creusera une tranchée et des pièges tout autour pour ralentir nos adversaires quand ils débarqueront dans la montagne pour prendre notre position. L’avantage de ce cratère est que tous ceux qui ne se trouveront pas à l’intérieur de la forteresse seront des cibles faciles. Tandis que les canons s’en prendront aux vaisseaux, nos tireurs feront un véritable carton sur les ennemis à découvert.

-Nos tireurs ? répéta Triss. Nous n’avons pas de…

-Ses camarades, lâcha Jonas en désignant Malny, qui haussa les sourcils avec étonnement. Grâce à la prévoyance d’Evander, nous disposons ici d’une tonne de fusils qui n’attendent que d’être utilisés.

-Mais je… mais aucun d’entre nous n’a jamais appris à se servir d’une arme, et encore moins d’un fusil ! protesta Malny.

-Il y a une première fois à tout, mon ami. Apprendre à tirer à peu près convenablement n’est pas très compliqué, surtout depuis une position protégée contre des adversaires très nombreux qui eux seront à découvert. Je vous enseignerai les bases. Le reste, vous l’apprendrez sur le champ de bataille.

-Je vois… C’est, hum… rassurant.

-Pour en revenir à notre plan, nous élèverons donc le fort ici, reprit Jonas en dessinant un rond au centre du cratère. Mais cela ne sera pas suffisant si nous voulons enrayer leur progression. Nous devrons les prendre en tenaille. Le nombre de vaisseaux qui pourront entrer en même temps dans la montagne sera limité en raison des parois. Ce sera l’occasion pour nos canons de commettre un véritable carnage avant que leur artillerie ne puisse répliquer. L’armurerie d’Evander en contient vingt. Nous les répartirons ainsi, dix sur la forteresse et les dix autres ici, sur le promontoire à l’entrée du tunnel. Comme cette position est en hauteur et bien placée avec un escalier étroit, il sera d’autant plus facile de tirer sur les vaisseaux et de la défendre. Bien entendu, nous devrons également ériger quelques barricades pour préserver l’escouade qui se chargera de sa protection.

Après avoir parachevé son dessin, Jonas se redressa, invitant les autres à examiner de plus près son plan :

-Ainsi quand l’ennemi pénètrera dans le cratère, il sera piégé à la fois par les parois de la montagne et ses propres vaisseaux qui rendront toute manœuvre ou recours à l’artillerie complexes, tandis que nous aurons littéralement le champ libre pour un véritable feu d’artifice…

Si certains avaient toujours de sérieux doutes quant à son plan, personne n’avait soulevé de nouvelles objections devant le devin. Même quand la nouvelle avait été annoncée à leurs camarades, personne, malgré l’incrédulité qui se lisait sur tous les visages, n’avait protesté. Quant aux plus sceptiques, ils n’avaient pas d’alternatives crédibles à proposer.

Chacun avait accueilli en silence la nouvelle et son affectation en vue du siège, puis tous s’étaient mis au travail sans discuter. Les mercenaires nirgaëns et les anges de Meira était déjà habitués au danger et à une rigoureuse discipline… mais une telle soumission de la part des rescapés (qui, pour la plupart, n’avaient jamais tenu une arme de leur vie) étonnait Triss. Elle supposa d’abord qu’ils étaient trop fatigués ou trop désespérés pour protester…

Mais en observant attentivement les visages des personnes qu’elle croisait, la jeune fille se rendit compte qu’elle avait tort. Ce n’étaient pas la peur ou la résignation qu’elle voyait autour d’elle, mais plutôt l’espoir et la détermination. En décrivant leur situation à l’ensemble des défenseurs, Jonas ne leur avait rien caché des dangers qu’ils encouraient. C’est seulement après qu’il leur avait parlé de son plan, avant de leur demander de joindre leurs forces aux siennes pour espérer survivre. Grâce à cela, il leur avait rendu l’espoir. Car si c’était leur seule chance de s’en sortir…

Au moins, ils en avaient une.

Pour ceux qui commençaient à croire que tout était perdu, cette infime chance était suffisante. Chacun donnait donc son maximum pour aider. Même ceux qui étaient trop faibles pour contribuer à la construction ou s’entrainer au combat, participaient néanmoins à leur façon en nourrissant et en rafraîchissant les travailleurs épuisés. Cela faisait dix heures que les travaux avaient commencé, et tous continuaient à donner leur maximum, se reposant seulement quelques heures quand venait leur tour avant de relayer aussitôt ceux qui étaient épuisés.

De ce chantier bien orchestré, Jonas était l’architecte. Il était la tête pensante de cette fourmilière d’activités, et Triss devait reconnaitre qu’il s’en sortait avec brio. Le devin répondait à toute question avec patience, dirigeant avec respect et adresse les différentes équipes tout en entrainant les autres au fusil. La jeune Nocturii était impressionnée par le travail titanesque que le démon abattait.

-Princesse ! l’appela soudain ce dernier, l’arrachant à ses pensées alors qu’elle et Abraham avaient atteint la forteresse.

Intriguée, Triss se retourna tandis que Jonas venait dans sa direction. Elle remarqua alors avec surprise qu’il avait récupéré sa carabine, portée disparue depuis la destruction de Varenn.

-Un moment, Wilson, requit le démon en s’adressant à l’ange avec un sourire d’excuse. J’aimerais vous emprunter la princesse quelques minutes, si possible.

-Faites comme vous le souhaitez… commandant, lâcha Abraham, amusé, avant de les laisser pour aller rejoindre l’équipe qui continuait à tailler le roc devant le mur d’enceinte.

-On avance vite, apprécia Jonas en observant le chantier une fois que l’ange fut partie. Peut-être même plus vite que je ne l’eusse espéré ! Mes tireurs s’améliorent aussi, d’ailleurs. Beaucoup sont capables de viser juste, même s’il leur est encore difficile d’enchainer les tirs et qu’ils n’ont jamais visé des cibles mouvantes en pleine bataille… Mais ils se débrouillent bien ! Comme chacun ici.

-C’est vrai… admit Triss avant de tourner la tête vers le devin pour guetter sa réaction. Mais tout le monde fatigue malgré les relais constants et notre détermination. Je ne suis pas certaine qu’on parviendra à tenir le rythme longtemps...

-Il le faut, et on y arrivera, répondit le devin, impassible. Nous n’avons pas vraiment le choix, princesse… Mais bon ! A vrai dire, je ne suis pas venu te voir pour casser ton moral, ajouta-t-il d’un ton mystérieux.

Le démon plongea alors la main dans sa poche et en ressortit quelque chose qu’il tendit à Triss. Bouche bée, cette dernière lui prit l’objet des mains avec incrédulité. C’était un Horologium… SON Horologium, celui qu’elle avait perdu quand les hommes d’Evander l’avaient capturée ! Elle était persuadée qu’il avait été détruit dans l’incendie de Varenn.

-Comment… articula-t-elle, incapable de finir sa phrase.

-Je l’ai trouvé en aidant à transporter les fusils depuis l’entrepôt jusqu’ici. Comme il a fallu un moment pour déblayer le passage sous l’ancien quartier général d’Evander, j’ai eu tout le temps de fouiller un peu parmi les réserves de Varenn. Je cherchais mon propre fusil, à vrai dire. Je l’ai retrouvé, avec notamment une boite remplie de bijoux de valeur qui avaient l’air très intéressants…

-Vous avez récupéré le reste, j’imagine ? supposa Triss en inspectant ses poignets et ses doigts, s’attendant presque à y trouver des bagues ou des bracelets de valeur.

-J’aurais bien aimé ! regretta le devin. Malheureusement le coffre était trop lourd, donc je les ai partagés entre les survivants de la cruauté d’Evander. Je pense qu’il les avait arrachés à ses anciennes victimes. Ce n’est pas grand-chose, mais au moins cela leur sera peut-être utile pour démarrer une nouvelle vie au cas où ils, hum… survivraient à la bataille. Ils ont eu de la chance que je n’aie pas la possibilité de les emporter. Sûrement leur bonne étoile !

-Pourquoi n’êtes-vous pas un peu plus honnête avec vous-même ? le taquina la jeune Nocturii en esquissant un sourire.

-Je ne vois pas du tout de quoi tu veux parler, princesse. Enfin bref, je me suis souvenu que tu avais ce truc à ton poignet et que tu avais l’air d’y tenir beaucoup, donc… je te l’ai rapporté.

Triss fixa l’Horologium à son poignet, et inspecta le cadran. La grande aiguille pointa vers la l’est du cratère, où Sheamon utilisait sa magie pour extraire des blocs de pierre de la montagne, qu’il réduisait ensuite à la taille de cailloux pour les transporter plus facilement. L’Horologium avait l’air de marcher, constata la jeune fille avec soulagement.

-Merci, dit Triss avec sincérité en levant les yeux vers le démon. Merci beaucoup, Jonas…

-Pas de quoi, princesse… réagit ce dernier avec son habituel demi-sourire, avant de jeter un coup d’œil vers son groupe qui continuait à tirer sur les cibles tracées à la craie. Je ferais mieux d’y retourner. Il faut que quelqu’un encadre l’exercice, sinon on risque d’avoir des blessés. N’hésite pas à passer voir Naru quand tu prendras ta pause… Elle doit se sentir bien seule là-dessous. A plus tard !

Triss le salua d’un geste de la main, avant d’aller porter secours à Abraham et ceux qui creusaient de nouveaux pièges et tranchées autour de la forteresse. Malgré ses pouvoirs, la tâche s’avéra bien plus difficile que la première fois, et surtout plus longue. Epaulée par trois anges, elle réussit néanmoins à creuser une tranchée aussi profonde que la première. Ils laissèrent provisoirement une partie intacte pour permettre à ceux qui transportaient les pierres de déverser leur chargement sur la muraille en construction. Deux soldats de Meira y avaient accolé une rampe de plantes entrelacées, aussi solide qu’un pont de pierre, qui permettait aux ouvriers de passer par-dessus le mur principal pour livrer leur chargement à l’intérieur de l’enceinte.

Triss décida ensuite de donner un coup de main pour transporter les pierres, car c’était probablement le meilleur moyen de mettre sa force à contribution. En suivant la file d’ouvriers jusqu’à la carrière improvisée, elle croisa Syana qui avait une serviette et une gourde à la main.

-Ce n’est pas un peu tôt pour se la couler douce ? ironisa Triss.

-Ce n’est pas pour moi, évidemment, mais pour mon maitre ! répliqua la lamia. Il oublie assez facilement de s’hydrater quand il est absorbé par le travail, alors c’est mon devoir de prendre soin de lui dans ces cas-là. Tu ne l’aurais pas vu, par hasard ?

-Je crois qu’il aidait à transporter les pierres, mais je ne sais pas s’il n’a pas changé de poste depuis, alors…

Soudain, Syana poussa un sifflement aigu qui fit sursauter Triss.

-Oh mon Dieu ! souffla-t-elle en rougissant instantanément d’un écarlate plus pur encore que celui de ses écailles.

A suivre...

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