Chapitre 7 : La dernière nuit avant la tempête 3/4

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  • Tu arrives enfin ! s’exclama Naru quand elle la vit franchir la salle du Monolitik. On se demandait si vous n’aviez pas fini par dégainer les armes pour vous affronter en duel !
  • Désolée, cela a été un peu plus long que prévu… lâcha Triss, pensive. Mais je vous rassure, je ne me suis pas battue.
  • Je voulais aller te chercher, grommela Philippa, assise en tailleur près du Monolitik, testant le fil de l’épée qu’elle avait récupérée sur une pierre lisse pour l’affuter. Mais la sorcière refusait de me laisser partir. Et puis, l’exorciste est arrivé…
  • Sheamon ?
  • Non, l’autre, Liam Jeagan. Il venait voir la sorcière.

Triss tourna un regard étonné vers Naru qui se mit à rougir.

  • Oui, il voulait savoir si j’avais avancé dans la manipulation du Monolitik, expliqua-t-elle avec un regard fuyant qui laissait penser qu’elle lui cachait quelque chose. Je lui ai fait part de mes découvertes, et…
  • Pas seulement, intervint l’ancienne espionne. Il lui a beaucoup parlé de…
  • Ce n’est pas vraiment important pour le moment ! la coupa Naru en lui lançant un regard noir. Bon, si ça ne vous dérange pas, j’aimerais qu’on s’attelle à nos expériences rapidement afin que je puisse me pencher à nouveau sur le Monolitik…

Philippa haussa les épaules d’un air impuissant. Triss aurait aimé savoir ce dont Liam et Naru avaient discuté ensemble, mais les yeux de la sorcière lançaient des éclairs, alors elle jugea préférable de ne pas insister. De toute manière, Philippa n’avait pas l’air de s’en alarmer.

  • Comme tu voudras, obtempéra Triss avec docilité. On commence par quoi ?
  • Donne-moi ton bras, répondit simplement Naru en lui montrant sa seringue.

La sorcière ne préleva qu’une petite quantité du sang de la jeune fille. Elle ajouta ensuite une simple goutte du liquide vermeil à l’élixir qu’elle avait déjà préparé en avance dans un autre flacon, puis secoua le tout fermement avant d’en examiner le contenu d’un œil critique.

Ce fut ensuite au tour de Philippa d’être auscultée scrupuleusement par Naru, qui passa son sceptre au-dessus d’elle, le front plissé par la concentration. La sorcière lui fit enlever sa tunique pour examiner son corps et les marques noires incrustées dans sa chair. A leur vue Triss serra les dents de rage. Mais la jeune fille remarqua que si les symboles palpitaient toujours, ils n’avaient plus l’air de s’étendre sous sa peau comme s’ils cherchaient à la recouvrir entièrement. Philippa semblait mieux.

Naru releva son sceptre et fit signe à Philippa de remettre ses vêtements. Puis lorsque cette dernière fut rhabillée, elle lui donna le flacon d’élixir que l’ancienne espionne avala d’un trait.

  • C’est incroyable, avoua Naru. Votre corps se remet d’une façon surprenante. Il y a peu, j’aurais craint que vous ne surviviez pas, mais on dirait que vous avez passé le seuil critique.
  • Tu veux dire qu’elle est guérie ? s’étonna Triss.
  • Bien sûr que non. Nous en sommes encore très loin. Je te l’ai déjà dit, il faudra plusieurs mois pour qu’elle puisse espérer s’en remettre, sans parler des autres sortilèges que nous devrons extraire. Mais au moins maintenant, elle a regagné suffisamment de forces pour être momentanément hors de danger. Et comme elle a survécu à la première extraction, cela nous laisse envisager que sa condition ne peut que s’améliorer.

Soulagée, Triss sentit un grand poids s’ôter de ses épaules.

  • Tu entends ça ? lança-t-elle à Philippa, d’un ton réjoui. On dirait que finalement le destin te réserve encore des surprises.
  • Oui, acquiesça Philippa, avec un léger sourire. Et c’est grâce à toi, Triss.

Elle lui tendit la main et Triss, heureuse, la prit délicatement entre les siennes.

  • Je suis tout de même surprise que Philippa ait réussi à s’adapter aussi rapidement à ton sang, Triss, reprit toutefois Naru en examina la fiole dans laquelle elle avait versé le reste du sang prélevé à la jeune fille. Même si ce n’est qu’une goutte, il s’agit quand même du sang d’une Nocturii…
  • Je pense pouvoir répondre à cela, intervint alors Philippa en se tournant vers sorcière. J’y ai réfléchi après ce que tu as expliqué l’autre fois, sur la façon dont le sang d’un vampire supérieur pouvait faire évoluer quelqu’un ou le tuer s’il était incapable d’en supporter la transformation… Je me suis souvenue qu’avant de graver ces enchantements dans ma peau, Forlwey m’a personnellement préparée pendant des mois à entrainer mon corps pour le rendre le plus résistant possible. Et parfois, il s’entaillait la paume pour me faire boire un peu de son propre sang.

Philippa marqua une pause, et sur son visage passa une ombre de colère, liée aux sombres souvenirs qui envahissaient son esprit. Inspirant avec force, elle continua d’une voix plus tendue :

  • Au début, je me rappelle avoir ressenti une douleur terrible dans tout mon corps, comme si on essayait de m’en arracher les os. Je croyais que c’était simplement le contrecoup des efforts auxquels Forlwey me soumettait…
  • Tu veux dire que Forlwey t’aurait donné son sang pour te changer en nosferatu ? s’étonna Triss.
  • Je ne crois pas qu’il souhaitait aller aussi loin, rectifia Philippa en secouant la tête. Même si c’est un psychopathe de la pire espèce, Forlwey reste quelqu’un de rusé. Il n’aurait pas pris le risque de faire de moi son égale, de peur que je n’arrive à me libérer de son joug pour le détruire.
  • Ce qu’il souhaitait probablement, c’était rendre votre corps plus résistant que celui des autres servilis pour que vous puissiez supporter l’opération, avança Naru, pensive. Ceci explique pas mal de choses ! Cette résilience hors du commun par exemple… Je commençais à croire que vos capacités d’adaptation et de régénération étaient dues à un pouvoir magique qui se développait en vous. Il a donc fait de vous une sorte de demi-nosferatu…
  • J’en doute ! ironisa Philippa. Je suis peut-être plus forte et plus résistante qu’un simple vampire, mais même avec le pouvoir des sortilèges qu’il a gravés en moi, je suis encore très loin d’être une nosferatu. Vous n’imaginez pas à quelque point ils sont puissants, surtout Forlwey…

Triss et Naru échangèrent un regard incertain, ne sachant que dire.

  • Et je me suis rappelée autre chose : j’ai déjà gouté au sang de Triss.
  • QUOI ?! s’exclamèrent les deux jeunes filles avec stupeur.
  • Inutile de vous exciter, grommela Philippa. C’est assez récent en fait. En fuyant Lutécia, j’avais récupéré l’épée de Marco… Celle avec laquelle il t’a…

Philippa ne termina pas sa phrase, et baissa les yeux en évitant le regard de Triss. Cette dernière sentit une écharde glacée lui transpercer le cœur quand elle se rappela Marco et ses autres amis d’enfance … ainsi que leur mort des mains de Philippa. Cependant elle prit sur elle et s’obligea à redresser la tête. Naru l’interrogea du regard, mais elle l’ignora.

  • L’épée avec laquelle il m’a transpercé le flanc, acheva-t-elle d’une voix neutre.
  • Oui… A ce moment-là, nous venions de quitter Lutécia et votre vaisseau était déjà hors de vue. Alors pour ne pas perdre ta trace, j’ai ingéré une partie du sang qu’il y avait sur l’épée pour…
  • Beurk… grimaça Naru avant de pâlir quand Philippa la fusilla du regard. Désolée, continuez…
  • Donc, j’ai utilisé ton sang pour stimuler mon instinct afin de te retrouver. C’est une faculté basique que tous les vampires ont à un degré plus ou moins élevé, expliqua-t-elle à Naru. Cela nous permets de repérer la proie dont nous avons déjà bu le sang, comme une sorte de sonar naturel. Ce n’est pas très précis, et l’effet est proportionnel à la quantité de sang ingéré. Cependant cela permet à un vampire de traquer une personne à distance. C’est pourquoi la plupart des vampires ne donnent leur propre sang qu’à ceux en qui ils ont réellement confiance.
  • On peut faire ça ? s’étonna Triss, surprise.
  • Bien sûr, une fois que ton corps de vampire sera entièrement développé.
  • Ce qui veut dire une fois que j’aurais mordu quelqu’un… grommela la jeune fille.
  • Je ne comprend pas vraiment, signala Naru.
  • Un vampire ne finit par développer tous ses pouvoirs qu’une fois qu’il a mordu quelqu’un et qu’il a aspiré son sang, lui expliqua Philippa. Pour ça, il faut attendre que ses canines soient entièrement matures, ce qui arrive entre neuf et douze ans environs. Tant que le vampire n’a mordu personne, il continue à grandir… Lorsqu’il mord quelqu’un pour de bon, il cesse de vieillir et développe alors son « potentiel ». La première leçon que les parents vampires ne cessent de répéter à leurs enfants quand ils atteignent l’adolescence, c’est de ne pas mordre quelqu’un avant d’avoir atteint un âge adulte. Sans cela il restera éternellement coincé dans un corps d’adolescent.
  • Je croyais qu’un vampire gardait l’apparence physique qu’il avait lorsqu’il a été mordu.
  • Ça, c’est pour les hybrides, les personnes transformées à cause de la morsure d’un vampire. Dans ce cas oui, s’ils survivent à la mutation, ils gardent leur apparence éternellement. Mais pour les vampires nés, c’est ainsi que cela se passe.
  • Oh, je vois…

Triss envisagea l’épée de l’ancienne espionne tout en réfléchissant aux révélation de Philippa. Cela expliquait comment elle avait pu réussir à les retrouver depuis Lutécia alors qu’elle était censée avoir perdu leurs traces. Et Forlwey n’avait alors plus eu qu’à se servir de la position de Philippa pour les localiser à son tour. Si elle avait su cela…

  • Existe-t-il un moyen d’éviter d’être repéré même si quelqu’un a bu notre sang ? demanda-t-elle à tout hasard.
  • En fait oui. De ce que je sais, l’instinct vampirique se base sur l’activité cardiaque et cérébrale de la cible. C’est pourquoi il est plus difficile de traquer une personne endormie qu’une cible en mouvement, où encore quelqu’un d’effrayé plutôt qu’un individu calme. Une proie capable de réduire au minimum ses fonctions vitales sera pratiquement invisible.
  • Et tu as réussi à me traquer pendant tout ce temps ? s’étonna Triss, ébahie. Alors que j’étais en vaisseau, et toi à pied ?

L’ancienne espionne rougit quelque peu.

  • Eh bien… J’ai toujours été douée pour ça… Même Forlwey en était étonné, avoua-t-elle. Il a reconnu que dans ce domaine, je le surpassais. C’est la raison pour laquelle il m’envoyait souvent en mission à la Surface… Je parvenais toujours à mettre la main sur ma cible.

Philippa lui lança un sourire amusé.

  • Quand nous serons sorties d’ici, je t’apprendrai comment faire, si tu veux, lui offrit-elle.

Triss hocha la tête avec joie, heureuse d’entendre Philippa parler comme si elle avait envie d’un nouvel avenir. Elle n’oubliait pas que seulement quelques jours plus tôt, l’ancienne espionne souhaitait mettre fin à ses jours…

  • On s’éloigne un peu du sujet, intervint Naru. Si vous avez déjà ingéré du sang de Triss, en plus d’être bien plus résistante qu’un vampire normal, cela explique probablement pourquoi vous avez pu vous en accommoder aussi rapidement… Je vais travailler là-dessus et tenter d’élaborer une version plus forte du remède pour vous aider à contrer l’effet des sortilèges. Mais je pense qu’il vaut mieux que nous nous contentions d’une goutte par élixir pour l’instant. Sans d’autres informations sur les effets que cela pourrait provoquer, ce serait trop dangereux d’augmenter la dose.
  • Je suis d’accord, approuva Philippa. J’aimerais éviter de mourir.
  • En voilà une surprise, ricana la sorcière en rangeant ses fioles. Jusqu’à présent j’étais persuadée que c’était ce que vous cherchiez !

Naru se redressa alors, jetant un regard décidé au Monolitik.

  • Bon, maintenant que j’ai terminé, il va falloir que je me remette au travail.

Les deux vampires tournèrent la tête vers le Monolitik, qui projetait sa douce lumière autour de lui.

  • On dirait qu’il est un peu plus lumineux… remarqua soudain Triss.
  • Juste un peu, admit Naru avant de désigner de la tête quelque chose près de l’un des cristaux écarlates du monument. J’ai utilisé cette chose pour recharger… enfin plutôt essayer de recharger, le Monolitik.

Triss remarqua alors un eyra de couleur bleue, auquel étaient reliés des câbles métalliques qui semblaient avoir été arrachés. Curieusement, elle se souvenait avoir déjà vu cet objet auparavant…

Philippa lui fournit la réponse.

  • Le cœur de Tuesday… murmura-t-elle.
  • C’est ça ! s’exclama Triss, se rappelant alors que ce cristal d’eyra provenait de la poitrine de la monstrueuse androïde. Mais comment l’as-tu récupéré, Naru ?
  • Sur son… corps, armure, exosquelette ? Je n’ai aucune idée de comment définir cette chose… Bref, j’avais déjà supposé quand je l’avais vue que ce « cœur » devait contenir une immense quantité d’énergie pour faire fonctionner une machine pareille. Et quand Jonas nous a parlé de son plan pour alimenter le Monolitik, je me suis demandé s’il ne serait pas possible que le corps de Tuesday contienne encore de l’énergie. J’ai pensé que cela valait le coup de vérifier. Alors ce matin quand on a envoyé une partie de l’équipe combler la porte de la crevasse, je les ai accompagnés et j’ai fini par retrouver le corps de la valkyrie en dégageant quelques pierres. Comme vous le voyez, son eyra était presque intact.
  • Et tu l’as ramené ici dans l’espoir de t’en servir pour redémarrer le Monolitik ? résuma Philippa.
  • Je n’étais pas si optimiste, non. Il faudrait trois cristaux débordant d’une pareille énergie pour espérer réussir. Celui-là n’avait presque plus rien en lui ; à peine suffisamment pour que le Monolitik y réagisse quand je lui ai transmis ce qu’il en restait. On est encore loin du compte, ceci-dit. Si je devais l’exprimer mathématiquement, je dirais que le Monolitik est actuellement à environ dix pour cent de ce qui lui serait nécessaire pour se réactiver…
  • C’est déjà un début, j’imagine, soupira l’ancienne espionne.
  • Et tu as réussi à déchiffrer son fonctionnement ? enchaina Triss.

Naru esquissa un sourire fatigué.

  • Oui, enfin si on peut appeler cela une réussite. Approchez.

Curieuses, les deux vampires suivirent la sorcière qui les conduisit au centre du pentagramme, devant la sphère transparente. Triss remarqua qu’à l’intérieur même du cristal, de minuscules éclairs d’énergie écarlate semblaient rebondir sur les parois, comme s’ils cherchaient à s’en échapper…

  • Regardez bien la surface de la pierre, leur indiqua Naru.

Triss suivit son regard et s’aperçut que des signes translucides apparaissaient et disparaissaient sur le cristal à chaque fois qu’un éclair rebondissait sur la paroi.

  • On dirait une sorte… d’alphabet… murmura-t-elle.

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