Bon dimanche
Buzet-sur-Tarn, dimanche 19 janvier
Léonard aimait ces belles journées d’hiver, au froid vif et au ciel bleu. Un temps parfait pour le golf. Il rangea son sac et son chariot dans le coffre de sa Porsche Macan. La partie avait été plaisante, en dépit de la défection de dernière minute de Lambert, appelé à la clinique pour une urgence. Deux fois par mois, le petit groupe de collègues et amis se retrouvait pour un parcours dans le cadre somptueux du golf de Palmola, généralement suivi d’un déjeuner au club-house. Il était presque quinze heures quand le docteur Léonard Torrès tourna à gauche sur la route de Buzet.
Il n’avait que quelques kilomètres à parcourir, mais il ne put s’empêcher de lancer les trois cents chevaux dans le silence électrique sur la ligne droite, se moquant de la limite de vitesse. Dix minutes plus tard, à une allure plus raisonnable, il s’engagea dans l’allée arborée menant à sa propriété et alla ranger son véhicule dans le grand garage. Il constata avec plaisir que le cabriolet de Camille y était garé.
« Je suis rentré, lança-t-il en déposant ses clés sur la console, dans l’entrée. Je vais me changer. »
N’obtenant pas de réponse, Léonard monta les quelques marches séparant l’espace de vie des pièces de repos. En passant devant l’une des portes, il entendit le bruit caractéristique du tapis de course et la foulée de sa compagne. Il jeta un coup d’oeil et resta quelques instants à contempler la silhouette de Camille, lancée dans une course virtuelle, le casque sur les oreilles. Il la laissa à son effort, continuant son chemin jusqu’à leur vaste chambre à coucher.
Léonard et Camille habitaient une vaste villa conçue dans un style moderne, très épuré, qui avait du faire grincer des dents à plus d’un habitant de la paisible bastide, de l’autre côté du Tarn, lors de sa construction. Léonard s’en moquait, il avait racheté cette maison à un prix très avantageux à son premier propriétaire, un architecte toulousain qui en avait dessiné les plans et dont les affaires en grande difficulté réclamaient l’injection de capitaux frais.
Léonard Torrès était né à Barcelone, au début des années quatre-vingt, juste avant la renaissance de la capitale catalane suivant la période franquiste. Ses parents, son père surtout, faisait partie de l’élite locale, Juan Felip Torrès était propriétaire de vastes domaines agricoles, à la fois en Catalogne et dans le sud de l’Espagne d’où une multitudes d’ouvriers sous-payés alimentaient tout le sud de l’Europe en tomates et oranges. Jacqueline, la mère de Léonard, était française, fille de prospères négociants toulousains. Ne supportant plus la pesanteur de la société traditionnelle, elle avait décidé de rentrer en France avec son jeune fils âgé de cinq ans. Cette fuite avait été la cause d’un scandale retentissant dans la famille Torrès, mais la jeune Jacqueline n’en avait cure. Elle avait choisi de revenir vivre dans son pays, de s’y épanouir et cela avait débuté par la francisation du prénom de son fils. C’est ainsi que le jeune garçon perdit un L et gagna un accent.
Léonard grandit ainsi sous l’autorité d’une mère protectrice, avec un beau-père riche mais peu présent, et tenu éloigné de son père biologique. Le nouvel époux de Jacqueline étant chirurgien au CHU de Toulouse, le jeune homme fut orienté tout naturellement vers les études de médecine où il n'eut aucun mal à s’épanouir, son physique et son charisme attirant vers lui de nombreuses conquêtes faciles. Son seul véritable défi avait finalement été de décider de conserver son patronyme, seul véritable souvenir de sa province natale.
« Tiens, tu es déjà rentré ? s’étonna Camille en pénétrant à son tour dans la chambre.
— Oui, comme Lambert était absent, nous nous sommes contentés de boire un verre après le parcours et donc je n’ai pas déjeuné, il reste quelque chose ?
— Il n’y a pas de problème, le frigo est plein. Je suis passée au drive hier. Je prends une douche et je te rejoins. »
Léonard eut un regard admiratif pour le doux balancement des hanches de la jeune femme, agréablement dessinées sous la tenue de sport ajustée et pour ses longs cheveux blonds descendant bas sur son dos.
« Tu veux quelque chose ? Un verre de vin ? demanda-t-il lorsque sa compagne apparut dans la cuisine.
— Merci, mais je préfère me préparer une infusion détox. On a un peu trop bu hier, non ?
— Plus que d’habitude ? Non, je ne pense pas. D’ailleurs, je n’ai eu aucun mal à trouver la route du retour.
— Ta voiture pourrait la retrouver toute seule.
— C’est presque vrai ! commenta Léonard en riant. Ils étaient mignons ces jeunes que l’on a rencontrés.
— Jeunes ! parle pour toi, je suis sûre qu’ils ont mon âge, elle en tout cas.
— Oui, sans doute, en tout cas, j’ai bien vu qu’elle ne te laissait pas indifférente.
— C’est vrai, j’aimerais bien y gouter, mais tu as vu comment elle a réagi quand j’ai posé ma main sur sa poitrine ?
— C’était leur première fois, elle a été surprise, c’est tout.
— Oui, peut-être. Tu as discuté avec son mari, comment déjà ?
— Thomas. Lui ne t’a pas marquée à ce que je vois.
— Le style geek barbu, c’est pas trop mon genre.
— Bien vu, il est informaticien chez Thales à Labège.
— Bof, ça ne me fait pas rêver, répliqua Camille.
— Ça t’amuserait d’essayer de la séduire ? Elle a bien le profil, non ?
— Pourquoi pas, vous avez échangé vos numéros ?
— Oui, et je dois aussi lui communiquer le lien pour le réseau rose.
— Je te sens déjà en chasse. J’aime quand tu es comme ça ! »
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