Retour à l’Herm
L’Herm, vendredi 14 février
Ce n’est que le vendredi, en début d’après-midi, que les gendarmes de Gaillac et la substitute Marques, purent se retrouver devant la propriété des Delcasse à l’Herm. Maïté Langlais représentait Muret. Elle était accompagnée d’un serrurier mandaté pour ouvrir la porte d’entrée. Le matin, Keller et ses adjoints s’étaient fait ouvrir l’atelier de Stéphanie Delcasse à Portet. La visite du local ne leur avait pas appris grand-chose, c’était surtout un endroit dans lequel elle entreposait des ouvrages prêts à être expédiés et des esquisses inachevées. Le lieu n’était meublé que d’une grande table à dessin, sur laquelle était encore fixée une planche en cours de retouche et d’un bureau sur lequel était installé un ordinateur muni d’un grand écran et de divers accessoires graphiques. Une armoire contenait quelques instruments de travail, pinceaux, stylos, flacons de couleurs et outils de découpe. Aucun document comptable ou commercial, pas plus que de correspondance, ne se trouvaient sur place. Comme indiqué par le voisin, Stéphanie Delcasse devait mener ses affaires depuis son domicile. Les gendarmes avaient emporté l’ordinateur pour en examiner le contenu, sans grand espoir d’y trouver beaucoup d’explications. Il était toutefois clair que l’occupante n’avait pas planifié de quitter le bureau ou d’y cesser son activité. Interrogée à ce sujet, la société propriétaire avait confirmé que le loyer continuait d’être payé régulièrement, par un virement mensuel.
Lorsque la porte de la villa fut ouverte, les policiers furent saisis par l’impression d’abandon qui régnait sur le lieu. Le froid d’abord, la chauffage était de toute évidence à l’arrêt, chose après tout normale, si on considérait que les occupants avaient disparu en été, l’humidité ensuite. Une odeur désagréable s’était également répandue dans toutes les pièces. Les quatre gendarmes se dispersèrent dans le rez-de-chaussée. Marchand, qui avait été désigné pour la cuisine, identifia la source du problème. Le frigo, toujours en fonctionnement, était plein d’aliments dont un bon nombre paraissaient totalement décomposés. La poubelle sous l’évier, à demi remplie de déchets nauséabonds, contribuait aussi à la puanteur ambiante. Il y avait de la vaisselle sale sur le plan de travail. Une bouteille presque vide ainsi que deux verres étaient restés sur la table.
L’adjudant Keller et Laura Marques avaient choisi de débuter par le grand salon. La pièce était meublée dans un style classique, correspondant bien à l’architecture du bâtiment. Un canapé de velours ainsi que deux fauteuils étaient disposés face à une grande cheminée. De part et d’autre du foyer, les murs étaient occupés par des rayonnages couverts d’ouvrages, certains anciens, d’autres plus récents. On y retrouvait les centres d’intérêt des propriétaires de la maison. Beaucoup de livres consacrés aux arts graphiques d’un côté, des histoires de la conquête spatiale et des traités d’astronomie de l’autre. La substitute s’arrêta sur une section de reliures plus anciennes, le Marquis de Sade, Giovanni Boccaccio, Pierre Louÿs, mais aussi Pauline Réage, Anaïs Nin ou Henri Miller. D’autres auteurs moins connus dans des éditions de poche étaient également largement représentés.
« On dirait que nos disparus aimaient la littérature érotique, commenta la magistrate.
— Pas que la littérature, ajouta Keller, qui venait d’ouvrir un meuble bas, contenant un lecteur de DVD et un antique magnétoscope, accompagnés de nombreux disques et cassettes aux jaquettes suggestives. »
Ducros s’était mis en quête d’un espace de travail. C’était une vaste pièce d’angle, éclairée par une fenêtre et une porte donnant sur le jardin. Un ordinateur portable était installé sur un bureau moderne. Le gendarme tenta de le démarrer, mais renonça lorsque la machine lui demanda de s’identifier. L’espace servait visiblement de bureau à l’ingénieur. Il y avait encore des documents imprimés à l’en-tête du CNES dans le bac de l’imprimante. Sur une étagère, de nombreuses revues techniques et scientifiques, écrites pour la plupart en anglais, avaient été soigneusement rangées. Dans un tiroir, le gendarme découvrit les passeports du couple. Celui de l’homme était rempli de tampons permettant de retracer ses nombreux voyages. Parmi les plus anciens, certains attestaient de séjours en Russie et au Kazakhstan, d’autres, plus nombreux portaient la marque des États-Unis, avec des points d’entrée en Californie et en Floride. Certains séjours s’étendaient sur plusieurs semaines. Le passeport de Stéphanie Delcasse était moins chargé, se limitant à des voyages vers des destinations touristiques en Asie ou aux Caraïbes. Le maréchal des logis mit également la main sur un classeur dans lequel étaient soigneusement rangés des relevés bancaires, des bulletins de salaire et des doubles de factures établies par la graphiste. Un rapide coup d’œil suffit au gendarme pour comprendre que le couple vivait dans l’aisance financière.
Maïté Langlois n’ayant rien trouvé de remarquable en bas, était montée à l’étage. Ducros alla la rejoindre. Elle lui désigna deux pièces.
« Ici, c’est la chambre du couple, plutôt sympa, non ?
— Ils avaient les moyens, répondit Ducros, partageant rapidement les informations trouvées dans le bureau.
— De l’autre côté, deux pièces ont été réunies pour faire un atelier d’artiste. C’est encore en chantier. »
Un vaste espace occupait la moitié de l’étage, s’ouvrant sur trois côtés. On pouvait encore voir sur le sol les traces des cloisons abattues. La pièce avait visiblement un double usage, professionnel et artistique. D’un côté des créations audacieuses, comme en témoignait le chevalet sur lequel était installé un début d’œuvre figurative, un nu masculin. Sur le sol, appuyées sur le mur, plusieurs toiles plus ou moins achevées. Toutes représentaient des corps dénudés, hommes et femmes, pour la plupart seuls, mais certaines représentaient également des groupes dans des situations très suggestives. À l’opposé, on retrouvait le matériel nécessaire à des créations plus contemporaines, outils de travail de la créatrice, deux ordinateurs avec de larges écrans, un scanner et une imprimante de grand format.
Sur une table, plusieurs planches étaient empilées, affiches ou pages de livres illustrés. Plusieurs posters étaient punaisés au mur.
« Je suppose que c’est le territoire de Stéphanie Delcasse, résuma Ducros.
— Oui, à moins que ce soit lui le peintre, mais j’en doute, répliqua Langlois.
— En tout cas, elle avait un certain talent, reconnut le gendarme.
— Tiens, toi aussi tu en parles au passé ! s’amusa sa collègue.
— Tu abandonnerais tout ça dans cet état si tu avais décidé de quitter cette maison ou même de partir pour un long voyage ?
— Non, c’est certain. »
Dans la chambre, les enquêteurs firent encore d’intéressantes découvertes. Le tiroir d’une commode contenait de nombreux jouets et accessoires érotiques, visiblement des produits de luxe, à en juger par la qualité du cuir. Dans la penderie contenant les vêtements de Stéphanie, Maïté trouva également plusieurs robes à la coupe suggestive ainsi que de la lingerie minimaliste.
Quelques minutes plus tard, les gendarmes étaient réunis autour de Laura Marques pour partager leurs trouvailles.
« On en sait un peu plus sur ce couple, conclut Keller. Ils n’avaient pas de problèmes d’argent, l’un et l’autre avaient une vie professionnelle bien remplie et de toute évidence, ce qui rejoint notre autre enquête, un gros appétit pour les choses du sexe. Il nous faut maintenant savoir ce qu’ils ont pu faire ce samedi du mois d’août dernier.
— Il y a peut-être un élément utile dans la cuisine, remarqua Marchand, il y a un calendrier sur le mur, avec des choses notées dessus. »
Le jeune gendarme revint rapidement avec l’objet. Les Delcasse y avaient en effet noté un certain nombre d’évènements, les périodes de voyages de Franck, des dates de spectacles et divers rendez-vous. À une fréquence assez régulière, toujours le samedi, était noté Soirée Rose, sans autre précision. La dernière était en date du 17 août. Au-delà, quelques rendez-vous et déplacements étaient inscrits, ce qui venait encore corroborer le fait que le départ du couple n’était pas prémédité.
« Le rose est partout, déclara la substitute, vous n’avez rien trouvé à ce sujet dans les papiers du bureau ?
— Non, répondit Ducros, aucune référence, mais on trouvera peut-être dans les ordinateurs.
— Espérons-le ! ajouta Marques. On va emporter tout ça. Savez-vous ce qu’est devenue la voiture ?
— Elle est sûrement toujours à la fourrière, proposa Keller, on va vérifier. Une BMX X5, on y fait sans doute un peu attention. Laurent, tu t’en occupes ?
— On connait l’adresse, on y passera en rentrant. »
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