Il était une fois...

3 minutes de lecture

 Petite, Jeanne Fleur ne recevait que compliments et sourires charmants. Partout où elle allait, on s'exclamait :

— Jeanne Fleur est belle comme un cœur.

— Quel bonheur ! cette Jeanne Fleur.

— Ô ! comme Jeanne Fleur est d’une grande douceur.

En revanche, les enfants lui réservaient un accueil quelque peu différent :

— Jeanne Fleur ronfle comme un tracteur.

— Jeanne Fleur sent le vieux raton laveur.

— Jeanne Fleur fuit plus qu'un radiateur.

Jeanne, elle, ne prêtait attention ni aux louanges ni aux quolibets. De loin, mais de près, elle préférait observer les merveilles tout autour d'elle. Tel un mille-pattes jouant les acrobates sur une baratte. Quelques gouttes de rosée sur une toile d’araignée. Des lucioles dans les herbes folles.

 Dans la cour de son école de filles, elle s'interrogeait parfois face aux essaims de Marie qui gravitaient ici et là. Ces derniers pullulaient parmi les Blanche et les Hortense, éclipsaient les Simone et les Yvonne, envahissaient les Lucienne et les Germaine. Songeuse, Jeanne se demandait ce que cela faisait d’appartenir à un clan aussi impressionnant, même si elle croisait régulièrement ses homonymes au sein de son établissement.

Son institutrice mit fin à ses rêveries numériques avec une leçon sur les inventions et les exploits aéronautiques. Quel ne fut son étonnement en apprenant qu’il y avait une femme parmi les pionniers de l’aviation qui avait sauté en parachute depuis un ballon peu avant la fin de la Révolution ; et que cette risque-tout du XVIIIe siècle ne se nommait pas Marie – comme elle s’y attendait –, mais Jeanne. Plus précisément, Jeanne Geneviève Labrosse. En chair et en os. Fière de porter le même prénom que cette aventurière, la fillette s'imaginait déjà au milieu des nuages et oies sauvages – même si elle trouvait plus sage de patienter jusqu'à la fin de l'atterrissage pour fouler à nouveau le plancher des vaches et des girafes. L’idée de visiter des contrées lointaines n'était pas pour lui déplaire. Découvrir pandas ou koalas dans leur milieu naturel serait assurément moins traumatisant que la sinistre visite au zoo avec des animaux derrière les barreaux.

 De légères bousculades en franches rigolades, Jeanne s’était liée d’amitié avec deux Isabelle – la première avait toujours une quantité d'histoires fabuleuses à raconter, la seconde de merveilleux doigts de fée – ainsi qu’avec trois incontournables Marie : Marie la discrète, Marie la pianiste et Marie aux caramels. Celle-ci était la fille de l’épicier. Chaque matin, elle glissait tant de confiseries dans sa besace qu’il lui était impossible de la refermer. Par un heureux hasard, dès que cette généreuse factrice entamait sa tournée, ses petits colis étaient en un temps record distribués, si bien que son sac s’en trouvait vite allégé et pouvait à nouveau se fermer. La maîtresse la grondait souvent car ses cahiers regorgeaient de sucreries. Au fond d'une rivière illustrant une poésie ou sur les fleuves des cartes de géographie, Jeanne trouvait cela toujours très joli.

 Jeanne aimait l’école, mais redoutait les tête-à-tête avec la despotique Marie-Yvette. Plus crainte qu’aimée, cette Marie et demie-là se comportait comme une vraie hors-la-loi. Moitié Marie moitié Yvette, elle était la fille de la directrice et prenait plaisir à martyriser les plus faibles.

Lors d'une récréation, cette terreur en couettes et socquettes avait réuni la totalité de ses moitiés, avant de grimper dans le peuplier situé au centre de la cour et de claironner :

— Ma mère est plus intelligente que toutes les maîtresses de la Terre. Et, moi, je suis exceptionnelle puisque je porte, à moi seule, les deux plus extraordinaires prénoms qui existent dans tout l’univers.

Puis, à l'adresse de Jeanne, elle avait ajouté avec animosité :

— Quant à toi, ma pauvre – ni Marie ni Yvette – tu ne vaux même pas une chaussette ! avant d'éclater d'un rire mauvais.

Bravement Jeanne avait retenu ses larmes. Mais à peine rentrée chez elle, la digue avait cédé et le torrent s’était déversé au milieu des pommes de terre qu’épluchait sa mère. Devant ce flot ininterrompu, celle-ci l’avait bercée comme elle le faisait quand elle était bébé, avant de lui raconter pourquoi elle avait choisi de l’appeler ainsi.

Annotations

Vous aimez lire FannyO2R ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0