Il était une fois...

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 Petite, Jeanne Fleur ne recevait que compliments et sourires charmants de la part des gens. Partout où elle se rendait, ils s'exclamaient :

— Jeanne Fleur est belle comme un cœur.

— Quel bonheur ! cette Jeanne Fleur.

— Ô ! comme Jeanne Fleur est d’une grande douceur.

En revanche, les propos de certains enfants résonnaient bien différemment.

— Jeanne Fleur ronfle comme un tracteur.

— Jeanne Fleur sent le vieux raton laveur.

— Jeanne Fleur fuit plus qu'un radiateur.

Jeanne, elle, ne prêtait attention ni aux louanges ni aux quolibets. De loin, mais de près, elle préférait observer les merveilles qui l’entouraient tel un mille-pattes jouant les acrobates sur une baratte, quelques gouttes de rosée sur une toile d’araignée, des lucioles dans les herbes folles.

 À l’école, elle s'interrogeait devant les essaims de Marie gravitant partout où elle se rendait. Dans la cour, elle en rencontrait parmi les Jacqueline et les Jeannine, les Simone et les Yvonne, les Lucienne et les Germaine. Songeuse, elle se demandait ce que cela faisait d’appartenir à un clan aussi impressionnant, même si un bon nombre de Jeanne fréquentaient son établissement. Un matin, la maîtresse mit fin à ses rêveries numériques en abordant inventions et exploits aéronautiques. Quel ne fut son étonnement en apprenant qu’il y avait une femme, parmi les pionniers de l’aviation, qui avait sauté en parachute, depuis un ballon, peu avant la fin de la Révolution ; et que cette risque-tout du XVIIIe siècle ne s’appelait pas Marie - comme elle s’y attendait - mais Jeanne. Plus précisément, Jeanne Geneviève Labrosse, en chair et en os. Fière de porter le même prénom que l’intrépide aventurière, la fillette s'imaginait déjà au milieu des nuages et des oies sauvages, même si elle trouvait plus sage d'attendre l’atterrissage pour sortir de la nacelle et fouler à nouveau le rassurant plancher des vaches et des girafes. L’idée de visiter des contrées lointaines n'était en effet pas pour lui déplaire. Découvrir pandas ou koalas dans leur milieu naturel serait assurément moins traumatisant que la sinistre visite au zoo avec des animaux derrière les barreaux.

 De légères bousculades en franches rigolades, Jeanne s’était liée d’amitié avec deux Isabelle - la première avait toujours une quantité d'histoires fabuleuses à raconter, la deuxième de merveilleux doigts de fée - ainsi qu’avec trois Marie : Marie Bichaut, la fille de la chapelière, Marie la pianiste, et Marie aux caramels. Cette dernière était la fille de l’épicier. Chaque matin, elle en mettait tant dans sa besace qu’il lui était impossible de la fermer. Par un heureux hasard, dès que cette factrice de confiseries commençait sa tournée, ses petits colis étaient en un temps record distribués, si bien que son sac s’en trouvait vite allégé. En été, la maîtresse la grondait souvent car, en ouvrant ses cahiers, elle y découvrait systématiquement une multitude de sucreries collées parmi ses tableaux de conjugaison, à la place des résultats de ses opérations, tout autour de ses dessins de poésie et même sur ses cartes de géographie. Jeanne trouvait cela très joli.

 Jeanne aimait l’école, mais redoutait les terribles face-à-face avec la despotique et non moins coquette Marie-Yvette. Plus crainte qu’aimée, cette Marie et demie-là se comportait comme un vrai hors-la-loi. Moitié Marie - moitié Yvette, elle était la fille de la directrice et prenait plaisir à martyriser les plus faibles. Peu après la rentrée, cette terreur, en couettes et socquettes, aimait réunir la totalité de ses moitiés. Afin d’être vue du plus grand nombre d'élèves, elle montait sur la souche d'un arbre trônant au centre de la cour, avant d’entamer toujours le même ridicule discours.

— Ma MÈRE est PLUS INTELLIGENTE que toutes les maîtresses de la Terre ! Et, MOI, je suis EXCEPTIONNELLE puisque je porte, à moi seule, les deux plus EXTRAORDINAIRES prénoms qui existent dans tout l’univers !

Puis, fusillant du regard Jeanne, qui avait eu le malheur de passer à proximité, elle avait ajouté un jour avec animosité :

— Quant à toi, ma pauvre - ni Marie ni Yvette - tu ne vaux même pas une chaussette ! avant d'éclater d'un rire mauvais.

Bravement, Jeanne avait retenu ses larmes. Mais, à peine rentrée chez elle, la digue avait cédé et le torrent s’était déversé au milieu des pommes de terre qu’épluchait sa mère. Devant ce flot ininterrompu, celle-ci l’avait bercée comme elle le faisait quand elle était bébé. En apprenant la raison de son chagrin, Maria lui avait raconté pourquoi elle avait choisi de l’appeler ainsi.

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