La naissance d'une guerrière
Avant sa naissance, son père se rendait parfois au bistrot se distraire. Depuis l'annonce d'un enfant à naître, ses copains de tarot dissertaient au sujet des joies inhérentes à la paternité. Ah ! le veinard. Bientôt il apprendrait à son petiot à siffler, réaliser des ricochets, jurer et plus tard lui transmettrait son beau métier de menuisier. Apercevoir sur son enseigne PÈRE ET FILS accolés paraissait inespéré. Pendant huit mois, Louis Fleur en rêva. Avant le début du neuvième, son enfant se pointa.
Avec fracas, la voisine affolée fit irruption dans son atelier. Depuis des heures, sa femme se tordait de douleur. Malgré l'intensité de ses souffrances, la malheureuse n’avait pas voulu le déranger. Par chance, Madame Lareine - qui aurait pu tout aussi bien s’appeler Madame La Providence - était venue lui déposer un saladier rempli de cerises juteuses à souhait. À la vue de Maria incapable de faire un pas, elle s’était transformée en Petit Poucet survitaminé. Dans sa course folle, elle n'avait pas semé de miettes ni de cailloux, mais une armée de Napoléons vermillon. Louis averti, elle était repartie en quête de son mari. Celui-ci devait atteler Bonaparte au plus vite. Dans le voisinage, les Lareine étaient les seuls à posséder un cheval et une carriole. Pour se déplacer les autres familles ne disposaient que de vélocipèdes ou de charrettes à bras et beaucoup d'entre elles ne pouvaient compter que sur leurs jambes et leurs pieds. Monsieur Lareine s’exécuta avec célérité. Maria à bord de la voiture rustique, l'équipage partit pour l'hôpital. Sur sa petit reine, Louis le précéda. Tin, tin, tin ! Tin, tin, tin ! Tin, tin, tin ! Jamais le grelot avertisseur n'avait retenti avec autant de terreur. Tin, tin, tin ! Tin, tin, tin ! Tin, tin, tin ! Jamais le menuisier n'avait pédalé avec autant d'ardeur.
À l'hôpital, le travail se présentait fort mal. Coiffes et blouses blanches s'agitaient en tous sens. Inquiet, Louis attendait dans le couloir. Un médecin vint le voir.
— Pourquoi avoir tant tardé ? beugla-t-il. Les chances de les sauver sont maintenant limitées ! Qui voulez-vous garder ? La maman ou le bébé ?
Sans pouvoir prendre le temps de la réflexion, Louis choisit sa femme. Sans Maria, la vie n'avait aucun intérêt. En son for intérieur, il espérait que l'enfant survivrait. Un petit être plein de candeur ne pouvait disparaître sur l'heure. Pour la première fois, il éprouva le besoin impérieux de se rendre dans la maison de Dieu. À grands pas, il atteignit la chapelle de l'hôpital, s'agenouilla, joignit les mains, ferma les paupières et pria :
— Dieu, je ne vous ai jamais rien demandé, mais si vous pouviez sauver ma Maria ainsi que le petit, je vous en serais éternellement reconnaissant et vous fais le serment, ici et maintenant, de venir vous visiter plus d’une fois l'an.
Et le miracle se produisit : la mère et le bébé furent épargnés. Le cœur à mille à l'heure, Louis pénétra dans la chambre des convalescents. Allongée sur un inconfortable lit en fer blanc, Maria reposait. Des restes de lutte se devinaient sur son visage fatigué. Ému, Louis lui sourit, la serra fort contre lui, puis lentement s’avança en direction du berceau. Et ô déception ! pas de valeureux petit garçon. À la place, une minuscule poupée de chiffon.
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