Tempête intérieure

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 Faute de place Maria et son bébé durent quitter l'hôpital dans la soirée. Malgré la douceur du mois de mai la petite était chaudement emmitouflée. On distinguait à peine le bout de son nez. Le médecin avait insisté sur ce point : chez les prématurés, une baisse même minime de la température corporelle pouvait devenir mortelle.

Conscients de la fragilité de leur enfant, les jeunes parents descendirent prudemment les marches du bâtiment épargné par les bombardements. La guerre faisait rage tout près et continuerait ainsi une sixième année.

En apercevant la petite famille s'avancer, Monsieur Lareine la rejoignit. En compagnie de Bonaparte et d'un panier à provisions digne de ce nom, la journée était passée pour lui à la vitesse grand V. L'estomac plein et le cabas vide, il raccompagna les trois Fleur la bouche en cœur.

Contrairement à l'aller, Louis ferma le convoi. Tristement, sur sa bicyclette, il suivait la charrette. Bien qu’il ne fit pas encore nuit, il avait allumé la bougie de son phare. Sans entrain il pédala tout au long du chemin. Tin, tin. Tin, tin. Tin, tin. Un très léger tintement de grelot presque inaudible cette fois résonna dans la ville qui achevait son repas. Tin, tin. Tin, tin. Tin, tin.

 Arrivés à leur domicile, les Fleur remercièrent leur sauveteur. Exténuée, Maria se dirigea avec son poupon dans l’unique chambre de la maison. Louis les regarda disparaître dans la pièce. Dormir n'était pas sa priorité. Des bourrasques de sentiments contradictoires le submergeaient. Il était à la fois soulagé et déçu, reconnaissant et en colère, heureux et plein de rage. Maria et la petite étaient en vie. Quel dénouement miraculeux. En revanche, il s’en voulait d’avoir été aussi benêt pour croire aux idioties de ses amis. Lui qui d'ordinaire gardait les pieds sur terre s’était laissé prendre aux filets de ces piliers d’estaminet. Furieux, il se rendit dans son atelier. L’odeur du bois suffisait souvent à le rasséréner. Là il fit les cent pas, puis machinalement regroupa planches, scie, maillet, mètre, équerre, bouvet, râpe, ciseaux, rabot. Décidément, son nouveau-né lui avait joué un tour en naissant avec l’autre sexe et en apparaissant plus tôt. À plus d’un titre, il chamboulait ses projets : la fabrication du berceau devait avoir lieu quelques jours avant terme. Pas avant. Tout en pestant il consulta les plans qu'il avait dessiné depuis longtemps et se mit au travail. Au début, avec une rage inouïe. Et progressivement, avec apaisement.

Afin d'écarter tout danger, vis et clous furent remisés. Une pointe - pas forcément rouillée - avait plus d’une fois causé des drames. Après avoir mesuré et scié les planches, Louis tailla mortaises et tenons avec application. Savamment, sans aucune tige de métal, les pièces s’emboîtèrent parfaitement et formèrent un ensemble sûr et résistant. Après l’assemblage, Louis ponça une dernière fois son ouvrage. Aucune aspérité ni écharde ne devaient subsister. Le travail était enfin terminé. Peinture et vernis furent oubliés pour que la petite puisse prendre possession de sa couche, sans être incommodée par des odeurs de solvants ou d’autres produits irritants.

 Satisfait, le menuisier ouvrit la porte de son atelier. Il s'étira. Le soleil était en train de se lever. Dans son cœur et ses pensées, la tempête s'était complètement dissipée.

Avant de rejoindre les siens, il se rendit chez ses voisins. Il avait besoin d’un peu de paille pour mettre la touche finale. Il ne lui resterait ensuite qu’à placer un épais morceau de tissu par-dessus. À moitié éveillés, les Lareine le reçurent en robe de chambre et bonnet. Il leur expliqua très vite le motif de sa visite. Sans mot dire, le couple de roturiers non couronné le laissa en plan tel un navet au milieu d’un champ. L’artisan crut l’espace d’un instant qu’ils étaient retournés dans les bras de Morphée. Il éprouva un soulagement en les voyant revenir les bras chargés. D’une main, Monsieur Lareine portait une demie botte de paille, de l’autre, un morceau de volaille. Sa femme, elle, revint avec une grosse couverture ainsi que son nécessaire à couture. En un temps record, elle tailla la chaude étoffe aux dimensions du berceau puis cousit bord à bord les trois premiers côtés du matelas. Monsieur Lareine - les joues pleines – prit la relève. Méthodiquement, il fourra la paille dans l’enveloppe de laine, puis referma le dernier côté, non sans se piquer de nombreuses fois et jurer plus fort qu’un charretier quand cela se produisait. Reconnaissant et d'ordinaire peu démonstratif, Louis remercia le couple chaleureusement, avant de rentrer chez lui, ravi.

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