Bats-toi, petite !
À pas de loup et sans souffler, Louis pénétra dans la chambre. Comme sa Maria était belle même après ce qu’elle venait d'endurer. Et comme ce petit être si gracile ne demandait qu’à être aimé. Ému, il ôta son écharpe, puis, avec d'infinies précautions, prit sa fille dans ses bras de géant. La petite paraissait minuscule, blottie contre son père plus habitué à déplacer des stères que des prématurés tout juste nés. Pour la première fois, le vaillant artisan embrassa son enfant, puis l’emmitoufla dans le cache-nez que sa femme lui avait tricoté. Devenu papa poule en une nuit, il déposa son poussin dans son petit nid.
À son réveil, Maria découvrit l'ouvrage de son mari. D'émotion, elle en pleura. Son Louis, qui ne lui avait pas adressé la parole en rentrant la veille au soir, ne lui en voulait peut-être pas autant qu’elle se l’était imaginé. Non seulement il avait œuvré toute la nuit, mais avait aussi pris soin d’envelopper la petite dans la chaude étoffe de laine qui ne le quittait jamais, dès que l’hiver pointait le bout de son nez. Que d’amour donné malgré son extrême contrariété. En tournant la tête, elle le vit assoupi sur la banquette, tout près de la fenêtre. Comme elle était désolée de ne pouvoir combler son rêve d’héritier ! En aparté, le médecin lui avait révélé que c’était le seul et unique bébé qu’elle enfanterait. Sans la ménager, il avait ajouté qu’elle devait en profiter. Il était probable en effet que ce dernier trépasse avant le premier jour de l’été. Pour consoler son époux, Maria avait d’abord pensé nommer leur fille « Louise ». Mais, lorsqu’il se réveilla, elle lui chuchota :
— Quel merveilleux cadeau que ce berceau. Mille mercis, mon Louis. Je sais que tu aurais préféré un garçon prêt à te seconder dans ton atelier. N’en sois pas chagriné. Avec le temps, notre poupée deviendra aussi courageuse que Jeanne d’Arc qui n’a jamais tremblé face aux Anglais, et, tel un homme, est partie les affronter sur un destrier. C’est pourquoi, si tu es d'accord, nous l’appellerons Jeanne. Ce prénom - j'en suis persuadée - l’aidera à remporter bien des batailles et fera d’elle la plus valeureuse de toutes les Fleur.
Les yeux embués, Louis avait acquiescé. Son amour de père débordait déjà pour son adorable bouton de rose qui ne cesserait de se fortifiait au fil des mois et années.
Pour le plus grand plaisir de Maria, qui détestait le voir fréquenter cet endroit, Louis ne retourna pas au bistrot écouter les élucubrations des sirènes alcoolisées, en marcel et béret. Il préférait rentrer à la maison pour regarder leur chétif nourrisson livrer le plus important combat de sa vie : celui de sa survie. Et quelle immense joie, quand leur Jeannette si menue le remporta ! Sa Maria avait raison. Ce n’était peut-être pas un petit homme, mais elle possédait indéniablement bravoure et ténacité.
Après le récit de son histoire, Jeanne ragaillardie n’avait plus jamais sourcillé devant commentaires ou méchancetés. Et, lorsque Marie-Yvette tentait de s’en prendre à elle ou à n’importe quelle autre élève de son école de filles, Jeanne donnait le signal à Marie, la musicienne, pour que cette dernière entonnât un air semblable à un chant de guerre :
Jeanne, l’intrépide, a entendu des voix.
Jeanne, la juste, se prépare aux combats.
Jeanne, sans frémir, sur son cheval s’en va
botter le derrière de la peste à la noix.
Dès la fin du premier couplet, Jeanne prenait un air si menaçant à l'encontre de l'horrible pimbêche que celle-ci ne demandait pas son reste, mais détalait plus vite qu’un lapin de garenne poursuivi par une horde de hyènes.
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