Chapitre 2 - Le Bruit du Silence
Aronn
Il y avait trois écrans allumés devant moi, mais je n’en regardais aucun. Ce que je cherchais ne s’affichait pas en pixels. Ce que je traquais n’avait pas d’IP fixe.
La pièce était plongée dans une semi-obscurité, éclairée par les pulsations bleutées des moniteurs. Mes doigts dansaient sur le clavier avec la précision d’un pianiste et la froideur d’un chirurgien.
Je venais de pénétrer un réseau gouvernemental — encore un. Surveillance ciblée, extraction de profils, transferts illicites. Tout se répétait, inlassablement. Et moi, comme un automate, je balayais le code pour exposer ce qu’ils voulaient cacher.
Un programme tournait en tâche de fond, déchiffrant des bases de données culturelles. Ils utilisaient les œuvres d’art pour tester une IA. Pour les analyser, les synthétiser… les vendre. Comme si on pouvait quantifier une émotion.
Puis son nom apparut. Aidée.
Je restai immobile. Quelques secondes. Peut-être plus. Je ne savais pas pourquoi j’avais cliqué. Peut-être à cause du titre de sa dernière création : “À défaut d’issue, j’ai crié en couleurs.”
Une série de photos floues, presque violentes, des visages masqués, des murs peints à la hâte, des silhouettes en fuite. Et au milieu de tout ça… un regard. Le sien.
Je n’aimais pas quand l’émotion débordait de l’écran. Elle rendait les lignes de code floues. Dangereuses. Humaines.
Je m’étais juré de ne jamais trop regarder. De ne pas m’attacher. Mais j’étais resté là, à faire défiler ses œuvres, ses textes griffonnés sur une plateforme que presque personne ne connaissait.
Elle écrivait comme on respire quand on craint de se noyer. Et moi, je lisais comme un homme qui a oublié qu’il pouvait encore être touché.
Une alerte sonore. Je fermai brutalement la fenêtre. Quelqu’un essayait de tracer mon signal. Mes doigts se remirent à bouger sans que j’aie besoin d’y penser. Protocole. Masquage. Diversion.
En moins de deux minutes, j’étais invisible de nouveau.
Mon cœur, lui, battait plus vite. Pas à cause du traçage. J’en avais vu d’autres. Non, ce qui me troublait… c’était elle.
Je me levai, repoussai ma chaise, fis quelques pas dans la pièce. Le béton brut des murs, les câbles en vrac, les écrans clignotants — mon monde à moi. Un bunker mental.
Et pourtant, il y avait dans un coin une vieille affiche collée à moitié — son œuvre, volée, imprimée. Pourquoi ? Je l’ignorais encore.
Peut-être parce que même un homme comme moi pouvait, dans un moment de faiblesse, chercher une lueur. Même minuscule. Même risquée.
Je me rassis, allumai une console vierge. Et sans réfléchir, je tapai juste un mot, une question que je ne publierai pas :
Pourquoi elle ?
Le curseur clignota, silencieux. Je n’eus pas de réponse. Mais je restai là, à le regarder, comme si le vide allait finir par me parler.
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