5 - RDP

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Le souffle coupé par ce ruban de chagrin qui serrait son cœur et lui comprimait la poitrine, Anton ne put répondre à la dernière interrogation de sa fille. Las, il se leva, quitta la maison puis partit s'enfermer dans son atelier. Hanaé ne comprenait pas la réaction de son père. Elle le suivit à grandes enjambées, poussa la lourde porte puis pénétra dans son repaire secret. De la sciure de bois jonchait le sol et s'envolait dans les airs en infimes particules, pailletant l'air d'une essence poudrée.

  • Papa ?

Seul le bruit du rabot qui effleurait la pièce de chêne mal taillée fit écho à son appel. Hanaé se rapprocha, guidée par le ballet des copeaux de bois qui virevoltaient dans les airs.

  • Papa ?
  • Il faut aller chercher Maman !
  • Suffit !

Hanaé sursauta devant le cri de son père. Jamais il n'avait élevé la voix ainsi. Son cœur cognait dans sa poitrine, battait dans ses tempes. Ses joues s'empourprèrent. Ses grands yeux écarquillés se voilèrent tandis qu'elle observait, consternée, son papa dont les prunelles noires exprimaient une fureur inédite.
Hanaé recula de quelques pas puis s'enfuit se réfugier dans sa chambre pour libérer le flot de larmes qui lui nouait la gorge et lui piquait les yeux.

La nuit tomba sur la maisonnée, Hanaé toujours recroquevillée sous ses draps, entendit les marches de l'escalier craquer sous le poids des pas de son père. Ils se figèrent un instant devant le seuil de sa chambre, avant de terminer leur course dans la pièce opposée. Hanaé ne pouvait fermer l'œil tant l'inquiétude la rongeait. Elle ressassait les paroles de son père et imaginait sa mère au cœur de la sombre forêt en proie à ces créatures légendaires qui peuplaient ses pensées. Une vague de colère la submergea. Si son père ne partait pas à la recherche de sa mère, c'est elle qui le ferait !
Elle se jeta hors du lit, attrapa son cartable pailleté, qu'elle vida de ses livres et cahiers. Puis, sans bruit, elle descendit l'escalier en veillant à esquiver certaines surfaces des marches qui toujours émettaient leur craquement sourd. Elle enfouit dans son sac d'écolière quelques tartines, les onguents de sa mère ainsi que son herbier. Elle chaussa ses bottes, revêtit son capuchon puis enfila le médaillon cuivré que sa mère avait oublié. Elle le saisit, le caressa du bout des doigts puis l'ouvrit et observa l'aiguille parcourir la rose des vents avant de se fixer sur la direction souhaitée. Déterminée, elle se posta devant la sombre porte vitrée et attendit que les premières lueurs de l'aurore ne l'autorisent à y aller.

Quand le voile noir se dissipa pour tapisser l'horizon de reflets rosés, Hanaé se retourna vers l'escalier, ferma les yeux pour chasser les regrets qui perlaient derrière ses paupières, inspira profondément puis actionna la poignée.
Le vent s'engouffra dans son capuchon et la fit frissonner. Des volutes vaporeuses s'échappèrent de ses lèvres entrouvertes avant de s'évanouir dans les airs. Elle avança sur le sentier qu'elle foulait chaque mercredi aux côtés de sa mère puis pénétra dans les sous-bois. Elle pressa le pas, tentant de ne pas se laisser distraire par tous ces trésors qui la fascinaient. Ici, une toile de soie perlée qui miroitait en gouttes argentées sous les rayons que le soleil dardait. Là, un coprin chevelu qui élevait son grand chapeau pelucheux au-dessus des brins herbus.

Après plusieurs heures de marche, elle dépassa la frontière qui lui était familière et atteignit des sentiers inconnus. Elle s'empara du médaillon qui se balançait au creux de sa poitrine puis tenta de s'orienter. L'aiguille de la boussole tournoyait de part et d'autre du cadran sans jamais parvenir à se figer. Déconcertée, Hanaé relâcha le pendentif et avança à tâtons. L'atmosphère s'assombrit, étoffée par la multiplication des arbres qui s'élevaient vers la canopée et obstruaient la clarté. Le regard à l'affût, Hanaé progressait dans cet univers sombre et froid dans lequel résonnait le bruissement des feuilles que ses pas foulaient. A mesure qu'Hanaé cheminait, des bruits étranges se firent entendre. La petite, bien que courageuse, se mit à courir, affolée par les sons qui se rapprochaient. Elle buta sur une racine saillante et, dans un bruit sourd, s'effondra sur le sol terreux et sombra.

Lorsqu'elle rouvrit les paupières, la clarté illuminait le cœur de la forêt. Un papillon aux ailes translucides virevoltait devant ses yeux dans un ballet gracieux. Le clapotis d'un ruisseau murmurait le doux souffle de l'eau. Hanaé se releva et écarquilla les yeux devant le spécimen qui lui faisait face. Un espèce de gros chat au pelage cuivré, strié de zébrures cendrées, l'observait de ses grands yeux tout ronds, en faisant tournoyer sa queue touffue à la manière d'un balancier.

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