Le bruit des canons rendait toutes tentatives de communication impossible. La jeune femme bondissait d’un trou d’obus au suivant dans l’espoir de venir en aide à une âme en détresse. Sur le chemin, elle trouvait des bras, des jambes, des têtes et d’autres parties humaines non identifiables, mais toujours personne à secourir. En cet automne 1915, elle avait évité à maintes reprises de se faire ensevelir sous des tonnes de gravats arrachés au sol par les pluies d’obus. Elle était persuadée qu’un ange gardien demeurait à ses côtés et priait pour qu’il ne l'abandonne pas.

Sa valise de premier secours lui sciait l’avant-bras et l’épaule. Elle n’était pas lourde, mais la transporter toute la journée, devenait un fardeau. Entre deux nuages de fumée, elle aperçut un militaire qui la suppliait du regard de lui venir en aide. Il semblait mal en point. Une bonne trentaine de mètres la séparait du soldat. Sans perdre un instant, elle se rua vers lui sans une once d’hésitation et au péril de sa propre vie. Une bombe siffla juste au-dessus d’elle et explosa au pied de l’homme qu’elle s'apprêtait à secourir. Le souffle la projeta tel un pantin, à une vingtaine de mètres. Elle perdit connaissance alors qu’elle se trouvait encore dans les airs. Quand elle rouvrit les yeux, le soleil déclinait déjà vers l’horizon. Elle regarda autour d’elle. Elle se trouvait au fond d’un trou d’obus et souffrait de quelques ecchymoses : rien de grave ici. Elle se releva avec lenteur. Son dos lui arracha une plainte de douleur. La tête lui tournait et ses oreilles sifflaient. Elle retint un haut-le-cœur et se rassit avec précaution. C’est alors qu’elle les aperçut.

Ils étaient cinq, accroupis sur le haut de la cavité grognant comme des animaux. Leurs cheveux étaient hirsutes et leurs mâchoire proéminente. Leurs dents semblaient taillées en pointe. Ils commencèrent à s’agiter de plus en plus. L’un d’eux se leva subitement en hurlant. La femme bondit en arrière et bascula plus profondément dans le trou, terrorisée à la vue de ces monstruosités. Était-ce un cauchemar. La situation paraissait irréelle. Que pouvaient faire ces abominations dans un tel no man land’s ? Elle tenta de remonter la pente de l’autre côté, mais un de ces êtres s’y précipita pour lui barrer le chemin. Il saisit une pierre et lui lança de toute ses forces. La rocaille s’écrasa juste à côté de son genou droit. Elle cria et se recroquevilla au fond de la cavité. C’est alors que le sol s’effondra sous elle dans un terrible fracas. Elle tomba de plusieurs mètres et avala une bonne poignée de terre. La poussière l’avait temporairement dissimulée à la vue de ses assaillants. L'inconnue tâtonna à droite et à gauche. La glèbe se déroba une nouvelle fois. Cette fois-ci la chute parut durer une éternité. Elle roula sur elle-même et atterrit sur une prairie d’herbe grasse.