Chapitre 7 : Deuxième journée
Les deux jeunes femmes se confectionnèrent de belles tresses. Elles progresseraient ainsi en toute tranquillité, sans avoir à chasser leurs mèches de leur visage toutes les deux minutes. Jessica coiffa avec facilité les cheveux longs et plats d’Hélèna. Cette dernière, au contraire, besogna un moment sur la tignasse abondante, rousse et bouclée de son amie et mit la patience des garçons à rude épreuve. Quinze minutes plus tard, après une lutte acharnée sur la crinière de la rouquine, ils décollèrent enfin.
– Ça va, les filles ? Vous n’avez même pas pris le temps de vous maquiller, ironisa Andrew. Vous devriez voir vos tronches décharnées. Ça me fend le cœur.
– Nous c’est temporaire, en tout cas ! Toi, tu te la trimballes constamment, rétorqua Hélèna.
– Oh, la petite brunette, du haut de son mètre cinquante a une sacrée répartie, fit le garçon en s’inclinant majestueusement.
– Pour ta gouverne, je mesure un mètre soixante. Et tes cours de théâtre t’ont rendu encore plus débile mon pauvre, dit-elle, en souriant.
– Tu ne diras plus ça quand je serai célèbre, ma belle. Tu me demanderas alors de t’épouser, et tu imploreras mon pardon pour ces paroles déplacées. Et moi, je te pardonnerai du haut de ma divinité. Je te ferai des enfants et…
– Oh, mais quel cinglé ! Tu ne devrais pas être ici avec nous, mais plutôt dans un de ces asiles. Tu aurais des spectateurs de ton niveau.
Jessica jeta un regard en biais à Matt avec un large sourire. Il le lui rendit.
– Ces deux là, dit-il en secouant la tête, on n’en a pas fini avec eux, hein Jess ?
– C’est clair, et on en est qu’au deuxième jour ! On dirait un vieux couple, tu ne trouves pas ?
– Eh, de qui parlez-vous vous deux ? demanda Hélèna.
– Mon dieu, elle aussi commence à perdre la boule, s’alarma Jessica, les mains sur la tête.
Hélèna pinça le bras de son amie avec une moue réprobatrice. Ils rirent de bon cœur.
Ils avalèrent les premiers kilomètres avec rapidité. Chacun se calquait sur le pas du précédent. Personne n’était à la traîne. Max, considéré comme le point faible du groupe, avançait sans difficulté malgré le "monstre" qu’il portait sur le dos, sans aucune plainte. Matt ouvrait la piste et Andrew faisait l’élastique afin de s’enquérir de la fraicheur des trois autres. Le temps était idéal tout comme la veille. Matt stoppa net :
– On va arriver sur un petit sentier encaissé entre deux falaises. Ce n’est pas compliqué, mais il faudra faire un minimum de bruits pour éviter d’éventuels éboulements. Le lieu y est réputé.
– Il veut dire que vous devriez arrêter de jacasser les filles, fit Andrew.
– Mais, on n’a rien dit depuis le départ ! s’outra Hélèna.
Andrew leur adressa un clin d’œil malicieux.
– De nombreux rochers se sont décrochés de ces parois l’année dernière. Il n’y a jamais eu de victimes, mais on ne sait jamais. Il vaut mieux être prudent.
Matt restait d’un calme déconcertant. Il prenait son rôle de meneur d’un sérieux qui en devenait comique. Helena le taquina.
– Penses-tu que nous devrions faire un sacrifice pour passer ce chemin en toute sécurité maître ?
Ce dernier lui sourit et rétorqua :
– Ben dit donc. Andrew t'a vite contaminé.
Elle s’esclaffa :
– Eh, pas besoin de m’insulter en plus !
– Je vous ferai dire que je vous entends, dit Andrew faussement blessé.
– Vous êtes de vrais guignols, répondit Matt. Mais sérieusement, cet endroit m’a toujours fait flipper. On a un sentiment d’étouffement sur ce passage. Parfois, on ne voit même plus le ciel.
– Tu es souvent venu jusqu’ici ? lui demanda Max.
– Oui, trois ou quatre fois. Je n’ai jamais eu de soucis ceci dit.
– T’inquiète, fit Andrew, tout se passera bien. On ne fera pas un bruit.
Ils s’engagèrent sur le chemin caillouteux. La falaise leur dissimula rapidement le soleil. La température baissa de quelques degrés.
– Il est long, ce chemin ? questionna Jessica, peu rassurée.
– Environ un kilomètre, dit Matt.
– Oh, mon dieu! Ça m’oppresse ici, répondit-elle.
– C’est ce que je te disais. On s’y sent mal.
– Chut chuchota Helena, en mettant son index devant la bouche et en roulant des yeux telle une folle, pas un bruit sinon on va tous mourir…
Matt la regarda en lui faisant une grimace.
– Je m’occupe de toi Jessica, dit-il en prenant cette dernière par la main, Hélèna saura se débrouiller toute seule.
– Oh la la, quel rabat-joie celui-là ! dit Hélèna.
Jessica, quant à elle, était aux anges :
– Adieu Hélèna, fit-elle d'un air désolé. Tu étais quand même sympa.
– Oh la peste, et la solidarité féminine, tu en fais quoi ?!
Mais, la rouquine avait tourné les talons et gloussait comme une folle. Andrew profita de la situation pour tenter une de ces approches pathétiques avec Hélèna.
– N’aie pas peur petite, je suis là. Je veillerai sur toi. Faisons l’amour avant d’aller plus loin. Ce sera peut-être la dernière fois.
Elle se retourna vers lui avec l’index posé sur le coin de sa bouche et feignit de réfléchir, puis :
– Plutôt mourir, et elle tourna les talons.
– Ça aussi, tu me supplieras de te le pardonner !
Ils continuèrent leur périple. Le silence tomba sur le groupe. Ils marchaient avec précaution. Max scrutait le haut des falaises à l’affut d’une chute éventuelle de caillasses. Bien qu’oppressant, le paysage restait grandiose. Alors qu’il baissait les yeux afin de se concentrer sur le sentier, il aperçut furtivement une silhouette glisser le long de la paroi sur deux ou trois mètres. Il se figea. L’apparition avait disparu. Il était le dernier du groupe et étudia l’escarpement avec insistance. Il ne distingua aucune présence. Avait-il rêvé ? Ce devait être probablement l’ombre d’un oiseau. La montagne et ses jeux de lumière lui avaient joué un petit tour. Néanmoins, Il souhaita sortir au plus vite de ce goulot. Il accéléra le pas pour recoller à ses amis qui l’avait distancé de plusieurs mètres.
Au bout de vingt minutes d’une progression religieuse, ils débouchèrent sur un large pâturage.
– Oh, enfin ! cria Hélèna en écartant les bras tel Jésus sur sa croix. Elle retira son sac et s’allongea sur le dos.
– Voyons, fit Andrew d’un ton indigné, nous ne sommes pas seule Hélèna.
– Tu es trop con, lui répondit-elle.
Jessica fit la même chose et Matt les rejoignit.
Max, campé sur ses deux jambes, scrutait le sentier qu’il venait de franchir. Il étudiait la falaise. Son trouble ne se dissipait pas.
– Ça va Max ? demanda Matt.
– Oui, ça va. Je suis juste bien content de sortir de ce coupe-gorge. Il enleva lui aussi son sac et se coucha sur l’herbe tendre.
– Si ce n’est pas le paradis ici, je remets mon âme au diable, dit Jessica.
Des petits nuages blancs couraient en ordre dispersé sur le ciel azur. Le soleil arrosait les cinq amis de son éclat, avec générosité. Ils profitèrent de ce moment de détente et d’extase pour recharger leur batterie.
Quelques minutes plus tard, ils continuèrent leur périple.
Vers treize heures, ils s'arrêtèrent pour se restaurer. Ils s’étaient mis en cercle au pied d’un grand sapin qui leur offrait son ombre. Les branches du résineux dansaient sous une légère brise. L’odeur qu’il exhalait était divine.
– C’est vraiment magnifique ici, dit Helena tout en filmant.
– En été, je suis entièrement d’accord, dit Andrew. Par contre en hiver, c’est l’enfer.
– Tu ne peux même pas venir jusqu’ici, répondit Matt. Il y a bien trop de neige. Le vent souffle à outrance. Si la tempête vous tombe dessus, c'est fini. Vous voyez, à deux heures de marche d’ici, un peu plus en avant dans la montagne, cinq personnes ont perdu la vie. Ils étaient partis pour du hors-piste. On a retrouvé leurs corps, conservés par le froid, au printemps. La température peut tomber à moins vingt par ici.
– Merci, Matt, de nous avoir plombé l'ambiance ! dit Jessica.
– Ah quelle heure arriverons-nous au bivouac, demanda Max.
Matt regarda sa montre :
– On a bien marché. Je dirai vers seize heures.
Andrew consulta un de ces GPS et confirma les dires de son ami.
– Entre l’homme à la carte et l’homme au GPS, on ne risque pas d’être perdu, dit Max.
– Exactement, affirma Andrew. On n’est pas des amateurs, mon gars !
Hélèna pouffa :
– Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ! fit-elle, en se moquant de lui.
Max sortit de son sac sans fond, un long saucisson, des tranches de pâtés de campagne, et du pain aux céréales.
– Hum, fit Jessica. Ça a l’air bon !
– Il va falloir en profiter, car, bientôt, on passera au lyophilisé, dit Max.
– Ah ben oui, fit Helena, un peu déçu. Youpi !
– Mais, pas de crainte, reprit Max. Je saurai rendre cette nourriture en poudre délicieuse. Je vous le promets !
Tout le monde sourit.
La marche dura comme prévu jusqu’à seize heures. Ils traversèrent des zones somptueuses. Hélèna se servait de son appareil photo et de son caméscope comme d’une kalachnikov. Ils croisèrent deux chamois qui pâturaient tranquillement. À la vue des adolescents, ils s’enfuirent à une vitesse hallucinante et gravirent un pic escarpé en un éclair. Un humain aurait mis plusieurs heures pour s’y rendre avec un encordement. Matt s’arrêta :
– Voici notre lieu de résidence les amis !
L’endroit choisi par le jeune homme était idéal : un terrain plat à l’abri de hauts pins, à deux pas d’un torrent, et du bois mort à disposition pour le feu. Ils montèrent leur camp pour la seconde fois. La bonne humeur régnait en maître dans le quintet. Ils entendaient le cours d’eau qui chantait dans le fond et leur tendait les bras. À peine le bivouac installé, les deux adolescentes se ruèrent vers le fleuve chargé de gel douche, de serviettes, d’affaires de rechanges et le linge à laver.
– Et interdiction de nous suivre, firent-elles à l’unisson. Nous on descend le torrent et vous vous le remontez. Ce n’est pas des zones mixtes ici ! J’ai vu un panneau plus haut qui le spécifiait.
– Ouais c’est çà. Fais-moi confiance, assura Andrew en se frottant les mains.
– C’est ça obsédé va ! Que je ne vois pas le bout de ton nez dans les parages sinon tu auras affaire à moi ! dit Jessica.
Ils suivirent les ordres des filles et se trouvèrent un coin en amont. Tout le monde avait besoin d’un bon bain et d’un moment de détente.
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