Chapitre 16 : Palabres
Tout le monde regardait Marlo avec attention. Il présenta brièvement les personnes autour de la table. La gothique se nommait Mélissa et la dame en tenue de secouriste, Marthe. Chacun des adolescents firent de même. Ils ne s’attardèrent pas sur les détails. Ils voulaient en savoir plus sur cette histoire. L’échevin s’éclaircit la voix et commença.
– Jeunes gens, comme vous vous en doutez maintenant, vous n’êtes plus dans votre monde ici. Vous vous êtes engagé, dans ce qu’on appelle, un monde parallèle.
Il regarda Francis qui hocha la tête pour valider ses paroles. Il enchaîna :
– Enfin, on vous a contraint à y pénétrer, comme tout le monde ici d’ailleurs.
Les autres acquiescèrent avec gravité.
– Ceux que vous appelez les rabatteurs ? demanda Matt.
– Oui, nous les nommons ainsi en ces lieux. Ce sont des êtres primaires. Ils vivent entre les mondes. Dès qu’ils vous repèrent, ils vous traquent et vous terrorisent. Enfin, ils vous rabattent avec habileté vers une porte, un passage, s’ouvrant vers cet univers. Comme cette issue est votre seule échappatoire, vous vous y engouffrez sans hésitation.
– Mais, dans quel but ? demanda Andrew. Pourquoi nous ?
Le géant sourit.
– Nous pensons que les rabatteurs sont assujettis, tout comme les Grafous, par les Kvônes.
– Les quoi ? demanda Hélèna complètement attérée.
– Les Kvônes. Ils règnent en maître en ces lieux. Si vous en avisez un, il est probable que ce soit votre dernière vision.
– Sauf s’il y a de l’eau, cria une petite voix en provenance du tas de bois.
– Vient par ici Marie, dit Marlo. Ne te terre pas comme un renard.
La gamine s’approcha. Elle s’assit au bout du banc.
– C’est quoi cette histoire d’eau ? demanda Matt.
– C’est quoi tout ce charabia, tu veux dire, repris Andrew.
– Les Grafous et les Kvônes n’aiment pas l’eau pour différentes raisons. Les Grafous s’y noient directement. Les Kvônes ne s’y approchent pas. C’est pour cela que le village a été conçu sur cette petite île. Mais, ne nous nous égarons. Traitons les sujets un à un. Vous me demandiez le pourquoi. Nous pensons à priori que nous sommes en quelque sorte le garde-manger de ces êtres. C’est ce que nous croyons.
Jessica tressaillit et se rapprocha de Matt.
– Le garde-manger, mais c’est horrible ! dit-elle.
– Plusieurs d’entre nous se sont fait massacrer et croquer par ces abominations. Les nuits sont leur royaume.
– Croquer ? Comme c’est mignon, s’amusa Andrew.
– Dévorer, étriper, égorger triple idiot, dit la jeune fille de la famille Adams.
– Mélissa ! Ne t’emporte point. Ils ne sont pas habitués à mon langage.
– Et bien, ils sont pas bien malins en 2018. Même moi, venant de 2050, je suis arrivé à te comprendre rapidement.
– Ça va, ça va, dit Andrew. Je plaisantais c’est tout.
– Tu riras moins quand tu tomberas entre leurs griffes, ajouta Marthe.
Francis pria Marlo de continuer.
– Comme je le disais, nous leur servons de nourritures. Y a-t-il une autre explication ? Je ne saurai le dire.
– Décris-nous ces monstres, demanda Hélèna. J’avoue avoir l’impression de nager en plein rêve.
Francis prit la parole.
– Les Grafous sont de véritables saloperies. Ils ont les caractéristiques d’être humains : des bras, des jambes, des mains, une bite. Excusez-moi Mesdames.
Marlo roula des yeux.
– Mon Dieu, Francis, te sens-tu obligé d’utiliser un tel langage ?
– Du coup lui, je le comprends nickel, fit Andrew.
Le baba cool continua.
– Ils sont tout blanc, comme des albinos, et ils marchent à quatre pattes. Leur tête est composée de petits yeux minuscules. Ils n’ont pas de nez, mais directement une gueule énorme uniquement composée de longues dents en forme de crochets. Vous avez déjà vu la gueule d’un requin-taureau à votre époque ?
– Biensure, répondit Jessica. On n’est pas des demeurés.
– Ben c’est la même gueule, mais en pire.
– Vous dites que la nuit est leur domaine et qu’ils ont peur de l’eau. C’est pour cela les trous d’eau au pied des miradors, demanda Max qui sortit de son silence.
– Bingo pti gros ! dit Francis. Ils éviteraient de s’y approcher du coup, s’ils arrivaient sur l’île.
Francis sortit une tige en forme de pétard et l’alluma.
– Ici, nous sommes en sécurité. En cas d’attaque, hors de cet îlot, et si nous en avons le temps, on fait trempette pour leur échapper.
Il gloussa.
– Une taffe ?
Tous déclinèrent sauf Andrew.
– Ça me fera du bien. Merci mon pote.
Mélissa glissait des regards appuyés vers Matt et lui faisait les yeux doux. Jessica s’en aperçut et se pressa contre son ami en lui tenant le bras. Le jeune homme, bien que surpris, resta stoïque. La gothique continuait de dévorer des yeux le garçon comme si de rien n’était.
Matt enchaîna:
– OK. Ils crèvent dans l’eau, c’est ça ?
– Ils coulent comme des pierres quasiment sans se débattre. Un peu comme si l’eau les paralysait vous voyez. Ils s’abandonnent littéralement à la noyade.
– Et pourquoi ils sortent que la nuit ? demanda Andrew.
Marlo enchaîna :
– Nous pensons que c’est peut-être dû à la pigmentation de leur peau. Ils ne doivent pas supporter le soleil. Ils évitent donc de sortir ou d’attaquer lorsque l’astre diurne règne en maître. Mais, attention ! Quand le ciel est chargé ou que le soleil ne pénètre pas les bois, ils se déplacent tout comme nous ! Je vous ai pressé le pas tout à l’heure car j’ai senti leur présences. Ils devaient se déplacer dans la forêt. Un jour, un de nos amis se promenait entre les arbres non loin du torrent. Le ciel était couvert. Les Grafous sont tombés sur lui tel des damnés. Il a eu la présence d’esprit de sauter dans l’eau puis de suivre la rivière jusqu’à sortir du couvert des arbres. Il a ainsi pu survivre.
– Et les Kwones ? demanda Hélèna. C’est quoi ?
– Les Kvônes, corrigea la femme plus âgée.
Elle prit le relais.
– Eux sont bien plus puissants. Ils mesurent environ trois mètres de haut. Leur corps ne touche pas le sol. Je veux dire qu’ils lévitent à environ cinquante centimètres de la terre.
Andrew gloussa.
– Non, mais sérieux…
Elle le fustigea du regard.
– Si ça vous pose problème, je vous invite à partir et vous enfoncez dans la forêt jeune homme ! Vous vous ferez une idée de la situation et vous constaterez que je ne plaisante pas. Votre comportement est inacceptable.
Il se calma.
– Il n’y a pas matière à rire je vous le garantie. Ne serait-ce que par respect pour nos amis qui ont été tués par ces êtres, continua-t-elle.
Andrew était livide.
– OK, excusez-moi sincèrement. Je suis désolé.
Elle continua son explication.
– Ils sont blancs eux aussi. Ils possèdent de longues pattes osseuses qu’ils gardent recourbées vers l’arrière. Ils ne s’en servent jamais ou du moins, on ne les a jamais vus les utiliser. Ils ont de longs bras descendant jusqu’à ce que l’on peut appeler : des genoux. Ils détiennent deux pouces de chaque côté de la main et surtout deux longs doigts effilés qu’ils utilisent pour transpercer leurs victimes. Leurs têtes sont hideuses. Leur crâne se prolonge en arrière vers leurs omoplates. Ils ont des dents pointues, pas autant que les Grafous, mais comme celle des humains en plus longues. Quand vous les voyez de près, c’est la fin pour vous.
– Bordel, c’est pire que l’enfer ici, gémit Max.
– Pourquoi ? As-tu déjà battu le pavé en enfer jeune homme ? ironisa Marlo.
Max se tut.
– Communiquent-ils ? questionna Matt.
– Ah une bonne question, fit Marlo. Oui c’est certain, même si les sons qu’ils émettent, restent incompréhensibles pour nous. Ça s’apparente à de profonds grognements et à des caquètements.
– Moi je les comprends, dit Marie sur un ton assuré.
– Arrête donc tes sornettes, dit Marthe. Je t’ai déjà dit que non. Tu rêves c’est tout.
La petite fille se renfrogna en croisant les bras sous sa poitrine.
– Ne fais pas la tête Marie, dit Mélissa. Moi je te crois.
– Il suffit ! cria Marlo. Ne l’encourage pas dans ses divagations de gamine.
Marie se leva et partit en tapant des pieds avec furie, suivi par la jeune femme.
Elle laissa courir ses doigts sur le cou de Matt lorsqu’elle passa derrière lui et fit un clin d’oeil à Jessica au passage. Le garçon en frissonna de surprise.
– Bon ! fit Andrew. Et pourquoi ces Kvônes ont également peur de l’eau ?
– En fait, ils ne peuvent pas léviter sur l’eau. C’est ce que nous avons constaté, dit Francis. Lors d’une attaque, je me suis jeté à la flotte. J’ai vu un de ces monstres se déplacer comme un loup le long de la rivière en éructant. Il me regardait avec dépit puis repartit. Je peux vous dire que je me suis pissé dessus au sens propre.
– Francis est un des rares à avoir vu un Kvône de si près et à être encore en vie, dit l’infirmière.
– Ils doivent se servir de la terre pour se mouvoir, dit Matt d’un air pensif, quelque chose de solide pas comme l’eau.
– Exacte ! dit Francis. Ce qui nous conforte dans l’idée qu’ils ne se servent jamais de leurs pseudo jambes.
– Comment connaissez-vous leurs noms ? demanda Hélèna.
– Grâce à un livre que nous avons trouvé, il y a longtemps. Tout y était décrit. J’y reviendrai plus tard, dit Francis.
La même serveuse desservit des couverts et des assiettes remplies de nourriture.
– Qu’est ce que c’est ? demanda Max avec la curiosité d’un expert.
– Des fèves sauvages et du marcassin qu’on a eut la chance de chasser hier ! dit Marlo. Ce n’est pas tous les jours que nous accueillons des nouveaux !
– À quand remontent les derniers ? demanda Hélèna.
– À trois ans. Eux ne nous ont même pas écoutés. Ils se sont enfuis et on ne les a jamais revus… Enfin hormis leurs ossements. Allez mangeons !
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