Toi, 15 ans
Bonjour à toi, jeune moi de quinze ans. Salut plutôt, on se connaît bien maintenant.
Pourtant, rien n'était gagné d'avance, tu sais ? J'ai jeté dans un puits sans fond tout ce qui pouvait me rappeler Toi. Trop douloureux. Je veux avancer dans ma vie. Encore à vingt ans je tremblais pour un rien. Tu vas continuer à jouer au rugby, ce sport qui fait peur à ta mère que tu viens de découvrir à la rentrée, encore des années. ça te défouleras. Au moins pendant ta période scolaire. Après, ça te fera mal ça aussi. Ce n'est pas ta place. Tu auras du mal à la trouver celle-là d'ailleurs... Tu manqueras de peu de rejoindre ce puits. Je ne veux pas te démoraliser, il te reste encore du chemin mais un jour, tu connaîtras quelque chose de beau.
Pourquoi ai-je choisi d'écrire à Toi à quinze ans ? Avant, le flou me gagne, je ne peux pas m'écrire. Qu'aurais-je à dire sur une période de noir profond ? Je ne sais pas comment me sortir de ce mauvais pas avant cet âge. L'adolescence, le collège. Tu connais, c'est récent tout ça. Tu entres seulement au lycée alors que de l'eau a coulé sous les ponts pour moi. Je me souviens de quelques images. Des mots, des murmures, des regards.
D'un coup.
Un seul. Une pauvre gifle parmi tant de mots, tant de rires, tant de débilités. ça te fait mal, je le sais, je te vois recroquevillée dans ce couloir aux murs décrépis et au carrelage défoncé. Tu sais, ils ont retapé le lycée depuis. Ils y ont mis de jolies couleurs, lie de vin. C'est marrant n'est-ce pas ? Ils savent rendre l'endroit joyeux. C'est adapté au lieu, un lycée viticole ne peut pas ressembler à un misérable lycée de quartier bondé.
Pourtant, on le sait bien toutes les deux qu'il ne suffit pas d'une foule dantesque pour être mal vue, qu'il ne suffit pas de faire ses classes dans les quartiers de ZEP ou les cités pour être le pantin des abrutis. Au contraire. Au moins dans la foule, on peut ne pas te reconnaître. Ou si on peut... Je ne peux pas te l'affirmer, j'ai toujours fuit les foules. Les grands lycées, les rues de bitume étouffées de voitures, les villes bruyantes et même les supermarchés. Tout est petit autour de moi, tout se fait en local, je ne vais pas très loin, très vite. Je marche. J'arrête de courir. Tu verras, c'est vivifiant.
C'est Toi qui devient Moi.
Ne désespère pas, mon ptit. Je ne te promettrais pas de croire en l'amour, je ne sais pas encore ce que c'est. Je sais toujours aimer mais je ne sais pas l'accepter. D'ailleurs, si tu te trouves bizarre, saches-le, tu l'es pour quatre vingt-dix pour cent de la population. N'aies pas honte d'aimer ta voisine de classe. ça fait dix ans maintenant que tu le sais, que tu le vois au plus profond de toi. Les mentalités changent quand enfin on quitte l'ombre de sa grotte pour la lumière du dehors. Même dans les campagnes. On fait les rencontres qu'on doit faire dans notre vie. Ne pense pas rater la tienne. Tant pis si elle ne ressemble pas à celle des autres, si tes rêves ce n'est pas d'avoir une belle maison et une belle voiture et une belle famille et une belle situation et de l'argent pour faire ce que tu veux et et et.... Non. Fais ce que tu veux, ce qui t'animes et tu verras, Tu rencontreras de belles personnes. Qui te feront du bien, qui te feront mal aussi mais qui ne te tueront pas.
Tu aimeras la vie.
Alors n'est pas peur. Je ne changerais pas ton destin, je ne peux pas, accroche-toi. Ecris. Toujours. Tu viens de rencontrer la poésie et crois-moi, c'est la plus belle rencontre de ta vie.
Je dois y aller. Je pense revenir. Tiens bon. Garde ton sourire et ton coeur sincère.
Je t'embrasse, te fais un câlin parce que je sais que nous aimons ça depuis toujours.
ABF
Annotations
Versions