Chapitre 7 - Trois nuits par semaine

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Mais 3 nuits par semaine
c’est son corps contre mon corps
c’est nos corps qui s’enchaînent,
mais 3 nuits par semaine,
mais bon dieu qu’elle est belle

3 nuits par semaine, Indochine

25 aout 1991

Je suis de retour à Villingen. Tous les garçons que je connais sont complètement débiles. Ils sont intolérants, ils manquent de discussion.

Greg n’est qu’un pauvre con stupide. Je sais que c’était bête de lui en vouloir (pour rien du tout en fin de compte). Depuis quelques jours, avec la bande, j’étais avec lui (je lui parlais donc) et voilà que ce pauvre taré ose tout mettre sur mon dos. Si j’étais moins sensible, j’aurais pu lui expliquer. Un point positif : les deux garçons qui étaient là m’ont quand même montré qu’ils ne sont pas tous cons.

Tibert, le copain de Greg, dit qu’avec moi on peut discuter, car je ne suis pas bête, mais moi je ne peux pas discuter avec lui.

Ma cousine et sa famille allaient arriver. Je les attendais sur les balançoires. Tout le monde était encore en vacances et tu t’ennuyais. Lorsque tu me vis, dans ma robe noire moulante et ma veste en jean, tu te dis qu’après tout, je serais peut-être un moyen de passer une fin d’été agréable. J’avais pris de l’assurance en quelques mois : même si je ne me trouvais pas jolie, je me rendais compte que certains se retournaient sur moi. Ce n’était pas tant que j’étais belle que pas trop moche selon moi. Surtout, je n’étais plus paralysée par mes émotions. Merci Anthony ! Tu commenças à me draguer et à me donner un aperçu de ton talent de baratineur. Tu n’hésitas pas à employer la flatterie. C’était amusant. Comment te prendre au sérieux ? Ma cousine arriva et je rentrai chez moi.

Tu revins à l’attaque les jours suivants et ce moment d’observation fut délectable. Je ne saurais dire si tu m’intéressais déjà, mais tu me faisais rire et j’aimais être avec toi. J’avais beau te regarder de haut, tu dégageais une telle force de vie ! Très sportif, ex-gros qui avait renoncé subitement aux haribos-chocolat chaud devant La Petite maison dans la prairie, tu jouais de tes charmes, même si ton grand nez te complexait. Tu courais, tu faisais du foot... tu étais toujours en mouvement. Et tu étais irrésistiblement drôle. Même si parfois j’avais du mal à te comprendre. Plongée dans mes bouquins, je n’avais pas forcément les codes pour comprendre les autres djeuns, ce qui me mettait souvent dans l’embarras. Mon lexique était en complet décalage. Le nombre de fois où j’ai ri à ce qui ressemblait à de l’humour alors que je saisissais uniquement que ça parlait de sexe. J’osais te faire part de mon ignorance. Comme lorsque je t’ai demandé ce que signifiait « avoir la gaule ». La réponse aurait pu me faire rougir, comme au bon vieux temps de mes 14 ans (alors que maintenant j’en avais 14 et demi !), mais tu ne te moquas pas de moi, ce qui me permit de faire comme si de rien n’était. Je m’interrogeai : il y a combien de manières pour dire « être en érection », pour désigner le pénis ? Le sexe des femmes, à part « chatte », on en parle comment ? Je suis d’ailleurs entrée en résistance quand j’ai compris l’autre sens du mot chatte. Ça me révoltait qu’il fasse glousser tout le monde, parce que je ne pouvais plus parler normalement de ma chatte Morgane. Il fallait que je dise quoi ? Mon chat femelle ?!?

Étonnement, le vocabulaire explicite des chansons d’Elmer Food Beat me plaisait. Drôles, entrainantes, elles parlaient de cul. Encore une fois, c’était le point de vue des garçons, mais ils ne jugeaient pas mal le plaisir des filles, ils n’étaient pas insultants. Ils disaient leur désir crûment et ces paroles me décomplexaient : c’est normal d’être attirée par le corps des autres, de fantasmer. Pour des textes qui traitent du désir féminin, entendre des femmes parler de cul, de clitoris, de règle, de mouille, d’envie irrépressible de baiser, de consentement… il faudra attendre. Ado, si j’avais compris les paroles de « Ring my bell », je pense que j’aurais regardé mon clito d’un autre œil. J’aurais chantonné : « fais sonner ma cloche, fais-moi bander, les filles bandent aussi, fais tinter tes doigts contre ma clochette, lalalala ».

En dehors de cet enrichissement lexical, les jours passèrent de manière classique pour un été, entre la piscine, les sorties et les fous rires. Avec notre petite bande, nous nous postions au carrefour du centre-ville et nous critiquions tous les passants. Pratique, puisque nos victimes ne pouvaient pas nous comprendre.

Greg et toi étiez en train de jouer à Kick off, jeu ô combien passionnant, et je vous regardais, assise sur ton lit. Sérieusement atteinte par l’ennui, je promis d’embrasser le champion. Tu demandas à Greg de te laisser gagner. J’étais toujours sur ton lit lorsque tu t’agenouillas à mes pieds. Tu hésitais. Ta réserve me fit sourire et je pris tes lèvres.

Tu avais une feuille de route bien définie : le premier soir, on s’embrasse, le deuxième tu explores le haut et le troisième le bas. J’étais loin de soupçonner ce plan machiavélique, sinon la bécasse rougissante aurait fait un retour fracassant.

Comme pour le sport, tu prenais ton entrainement au sérieux : après de longs essais avec un soutien-gorge de ta sœur attaché au radiateur, tu pouvais le défaire d’une seule main. Je n’ai pas applaudi, mais le cœur y était. Le lendemain, je m’amusai à te surprendre en ne mettant pas de soutien-gorge. Je préfère censurer ce que tu as pensé de moi. Vraiment, les garçons, vous ne savez pas ce que vous voulez. Nous devons toujours louvoyer entre la maman et la putain, c’est navrant.

Tu croyais que je me doutais du programme du troisième soir, mais si je savais que de telles choses existaient, je ne pensais pas susciter de tels désirs. Nous étions contre un mur, dans un sombre recoin, et tes mains s’éloignèrent de mes seins. Elles se faufilaient vers mes cuisses et je les repoussais. J’avais peur, je ne savais pas… Tu insistas. Tu me susurras des mots rassurants dans la nuit fiévreuse, et tes doigts me frôlèrent à travers le tissu. Une fonte et une explosion tout à la fois.

Tu écoutais mon corps, dissolvais mon inquiétude, avant de nous unir dans une danse nouvelle pour moi. Ta peau contre ma peau, c’était un univers qui s’ouvrait. C’était chaud, c’était doux. Tu me découvris à moi-même, dans d’obscures impasses ou dans les cages d’escaliers, tous les recoins désertés par les adultes. Avec l’énergie sexuelle que nous dégagions, nous aurions pu alimenter une ville moyenne en électricité. J’aimais tant sentir ton corps contre le mien, tes bras puissants autour de moi, nos lèvres et nos langues mêlées… J’aurais voulu te rendre le plaisir que tu me donnais, mais je n’osais pas. Un soir, ta main tenta de guider la mienne vers ton sexe, mais je pris peur et te lâchais. Lorsque j’étais seule, j’imaginais sans crainte ce que nous pourrions faire.

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