Chapitre 12
Lettre de Tibert
Baden-Baden, 11 mai 1992
Je t’avais dit que je t’écrirais, alors voilà. J’espère que t’as remarqué que je fais un effort pour écrire l’adresse pour que Leslie remarque rien.
Enfin bref, je ne sais pas trop quoi écrire. Je pourrais te raconter ma vie, mais je pense que t’en as rien à foutre. Je pourrais te demander si toi aussi tu t’amuses, mais j’en ai rien à battre non plus, alors ça limite un peu le dialogue.
Je vais donc essayer de parler de nous.
Je me pose une question depuis que samedi tu m’as vu à mon balcon et que tu m’as même pas dit bonjour. C’est pas que je sois susceptible à ce point-là, mais je me demande si l’on sort ensemble ou si c’est juste comme ça, histoire de se taper un petit délire de temps en temps ou peut-être même que le délire est fini. Le problème, c’est que si l’on sort ensemble, on peut être plus entreprenants dans certaines relations. Dans le cas contraire, c’est plutôt limité dans les rapports ou même désertique si tu m’as déjà oublié.
En fait, c’est toujours la même rengaine : « je propose, tu disposes. » D’ailleurs, j’aurais plein de choses à te proposer au cas où.
La balle est dans ton camp, c’est donc à toi de me répondre. Tu devrais recevoir cette lettre jeudi ou peut-être mercredi soir, alors je doute que tu auras le temps de me répondre par lettre, donc peut-être que vendredi soir vers 20 h 30 on pourrait se voir.
J’attendrais devant chez toi.
Journal de Yuna. 21 mai 1992
J’ai écrit à Tibert. S’il avait trouvé un endroit, j’aurais été prête à coucher avec lui. Et puis j’ai réfléchi. Je suis trop possessive, je crois que lorsque je m’engage avec quelqu’un, je veux qu’il soit totalement à mes pieds pour pouvoir en faire ce que je veux, être rassurée. Et là, Tibert et moi, on ne s’intéresse pas du tout l’un à l’autre. Il me plait physiquement (et je pense que c’est réciproque). Si jamais je couche avec Tibert, il y a deux solutions : ou nous nous aimons et tout va bien, ou je le domine complètement et il est fou de moi ?
Je lui ai écrit ça dans une lettre. Disons que ma lettre fait fille romantique et sentimentale qui ne s’engage que si l’affaire est sérieuse (il faut le rassurer). J’ai sous-entendu le reste.
Lettre de Tibert. Baden-Baden, lundi 25 mai 1992
Ma première dure et importante journée d’examen est passée et pour ton information, je crois que tu ne sors pas avec un abruti, car j’ai relativement bien assuré. Donc mis à part le fait que tu me manques, et là j’insiste, car tu serais capable de promouvoir des soupçons sur ma crédibilité, tout est chouette.
Normalement, je serais là mercredi soir pour aller au cinéma avec toi, si tu veux bien, car tu désires peut-être y aller avec un ou deux « copains » bidasses. Je délire, excuse-moi. Enfin j’espère quand même que c’est qu’un délire.
Est-ce que mon petit, mignon et adorable suçon est toujours là ? C’est peut-être la seule chose qui te reste de moi et peut-être même que je suis cocu. J’arrête de dire des conneries en espérant que ça en est. Je vais être sérieux.
Il est tard, je sais pas quelle heure, car j’ai pas de montre, mais il est tard ! Tous les mecs qui sont dans ma situation dorment, récupèrent des forces, alors que moi je surmonte l’effort avec l’énergie du désespoir, en me disant que ça lui fera plaisir d’avoir un petit quelque chose de moi. Après, tu douteras de la sincérité de mes sentiments.
Même si je baratine beaucoup, au fond il y a quelque chose et je tiens à toi. Tu crois peut-être que tout ce que je veux, c’est tirer mon coup avec toi, mais il n’y a pas que ça. C’est sûr que j’aimerai faire l’amour avec toi, particulièrement avec toi, car je me sens bien quand t’es là. Je trouve aussi qu’on s’entend bien. C’est sûr qu’on n’a pas les mêmes amis et pas toujours le même humour, mais c’est pas catastrophique, je crois que ça marche.
Au fait, est-ce que Leslie sait que toi et moi on est ensemble ? Si oui, dis-lui que je m’excuse et qu’il y a des choses qu’on ne contrôle pas, c’est comme ça et c’est tout. Alors je crois que je vais te dire salut et à mercredi soir, et surtout n’oublie pas que je pense à toi.
Je vais encore m’endormir en pensant à toi.
Journal de Yuna.
26 mai 1992
Aujourd’hui, Adrien m’a dit qu’il me trouvait très jolie. À force de l’entendre dire, je vais finir par le croire. Je sors depuis deux semaines avec Tibert. J’ai l’impression que Leslie fait semblant de ne rien voir.
Hier, Tibert est venu chez moi. Nous étions seuls dans ma chambre, nous avions fermé la porte… Angèle a sonné à l’entrée, j’ai eu la peur de ma vie.
1er juin 1992
Dans 2 semaines, le brevet, j’en ai rien à faire, c’est juste histoire de se faire la main avant le bac. Je m’éclate comme une bête (ironie) quoiqu’on s’ennuie déjà moins qu’avant. Je pourrais peut-être parler de ma vie sexuelle qui commence.
J’apprends à Tibert à être doux, à aimer le confort et les caresses lentes et légères. Mardi soir, ciné et je vais revoir Tibert.
En raison de la dissolution de la garnison de Fribourg, la date du brevet avait été avancée. Studieuse, j’avais passé la semaine de révision à la piscine découverte, où je m’endormis sur mes notes. C’était donc passablement écarlate et pelée que je passai les épreuves, en expliquant que non, je n’avais pas fait que me baigner.
Une grande fête célébrait la fin de Turenne. Je n’avais pas vraiment envie d’y aller, car Adrien devait venir avec sa nouvelle conquête, une blondasse aux gros seins.
Accompagné d'un ami de la fac, Romuald se joignit à la soirée. C’était la fin du collège pour moi. La musique assourdissante, l'ardeur qui rend les peaux moites, ma queue de cheval qui se balance en caressant ma nuque, mon body qui se colle sur mes seins, les gestes rendus hypnotiques par les flashes du stroboscope… Je sens le regard de l’étudiant qui coule sur moi. Je suis sortie avec lui afin de prouver à Romuald que je n’étais plus une gamine rougissante.
Je n’éprouvais aucune culpabilité à ton égard : je ne te trompais pas, puisque nous ne nous aimions pas. Je ne te l’ai même pas caché. J’ai même osé arguer que c’était de ta faute, puisque cette semaine-là tu ne m’avais pas écrit.
Une distance demeurait entre nous, entretenue par une méfiance mutuelle. En public, nous n’hésitions pas à nous balancer des piques. Nous étions trop joueurs, surement, et mauvais perdants tous les deux.
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