Chapitre 6
30 juin 1991
Depuis 6 h du matin, on a roulé. Demain on va à Saint-Maixent. Je vais retrouver tous mes anciens amis (j’ai peur de les décevoir). Le voyage a été éprouvant : Léon et Angèle n’arrêtaient pas de se disputer, de parler, de m’écraser, de me tirer sur le casque de walkman… Bref, l’enfer. Je viens de prendre une douche (ce que ça fait du bien !) et maintenant je suis dans un lit confortable et je m’apprête à dormir, enfin ! À part ça, RAS, sinon que j’espère me trouver un flirt (au moins des amis) cet été.
Vendredi de la première semaine de juillet
Un seul mot (plus quelques autres) : je m’emmerde ! Si seulement je pouvais partir en vacances avec des ami-e-s. Parce qu’avec mes parents, je m’ennuie vraiment affreusement. J’aimerais tellement aller à une boum, danser, m’éclater. Ici je tue le temps en écrivant, en écoutant de la musique. J’aimerais tellement faire autre chose ! Je pense que lorsque je serai en Bretagne, ça ira mieux. Même si je n’ai personne pour aller à la plage, je pourrai toujours rencontrer quelqu’un. J’ai attendu Nicolas, Cédric et Mathieu à la sortie des cours. Leur voix a beaucoup mué. J’ai revu aussi Nadège. On s’est jetées dans les bras l’une de l’autre tellement on était contentes. Elle est depuis 1 an avec Bastien. Ils couchent ensemble et elle prend la pilule.
Chaque été, nous entamions notre tournée bretonne : mes parents comptaient à deux 12 frères et sœurs à visiter. J’étais à la fois beurre salé et bredele*, falaises grises et forêt Noire. À la vue de l’océan comme à celle des montagnes, je me sentais retrouver ma place. De mes souvenirs, ma grand-mère paternelle se détache, silhouette digne de Sempé, vêtue de son bob, de son imperméable beige et portant son cabas et son siège pliant. À l’ombre d’un escarpement, sans jamais quitter son imper, elle nous attendait. Je partais alors avec Angèle et Léon : j’avais tout un savoir à leur transmettre. Le grand secret des pissous, dénicher des mares assez vastes pour débusquer tout un tas de bestioles, admirer les gros crabes avec prudence et attraper les petits avec témérité, faire voler des bigorneaux… Au plus loin dans les rochers, au plus près du cœur.
Au cours de notre périple annuel, nous nous arrêtâmes chez un couple d’amis de mes parents. J’adorais Louise-Marie, qui était la grande personne la plus drôle et énergique que je connaissais. Elle possédait d’autres atouts : des neveux tous plus mignons les uns que les autres. Et coup de chance, le bel Anthony, 15 ans, était présent au même moment que nous. Les adultes, dans leur grande innocence, firent dormir tous les « petits » ensemble : les trois enfants de Louise-Marie, son neveu, Angèle, Léon et moi. Évidemment, une fois les bambins assoupis, nous avons poursuivi nos échanges. Nous étions couchés côte à côte par terre. De la musique nous parvenait à travers le velux resté ouvert. Il devait y avoir un concert passant du Jean-Michel Jarre non loin. Oxygène traverse l’espace jusqu’à nous… Le son, hypnotique et vibrant, couvre légèrement nos rires et chuchotements. Anthony a de beaux yeux d’un marron doux et chaud. Un sourire lumineux et une peau mate alléchante. Pour la première fois, je n’ai pas peur, je me laisse guider par mes envies. Des baisers, nos corps qui se touchent, c’est pour moi le premier rendez-vous avec le plaisir. Bien innocente encore, je ne compris que des semaines plus tard certaines de ces allusions, me demandant la permission de partir à la découverte de montagnes et vallées. Je n’ai pas eu de regrets, ces caresses me convenant parfaitement. Douce nuit, délicieuse nuit…
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* Petits biscuits sablés alsaciens et allemands.
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