Chapitre 14 - Désenchantée

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Nager dans les eaux troubles
Des lendemains
Attendre ici la fin
Flotter dans l'air trop lourd
Du presque rien
À qui tendre la main

Désenchantée, Mylène Farmer

  Il y eut une parenthèse enchantée avant le désespoir. L’été de mes 15 ans, je renouais avec la joie vive de mon enfance. J’étais un abricot doré surmonté d’une ondulante crinière. Car ma révolution fut aussi capillaire. Je trouvai enfin la coiffeuse qui sut transformer ma longue et pesante masse de cheveux. Plus de frange épaisse qui donnait l’impression qu’un yorkshire s’était noyé sur mon front, plus de brossage sans fin pour lisser mon quintal de chevelure. J’arrêtai de lutter contre leur nature : le mouvement, c’est beau !

Après avoir dit adieu à Tibert, nous sommes partis en famille à Saint-Maixent. Ma mère, elle, était restée à Villingen. En effet, elle n’était plus « femme au foyer » depuis quelques mois. Après avoir travaillé dans un supermarché allemand, elle était vendeuse dans une boutique de produits français. Au camping, mon père logeait avec Angèle et Léon dans un mobile home, tandis que je prenais mon indépendance dans une tente, sur le même emplacement.

Nicolas m’abandonna pour un camp scout. J’avoue, je me suis moquée de sa tenue. Il était venu mon voir en arborant également l’étendard. C’était de la provocation ! Bien décidée à profiter de mes vacances malgré cette lâche défection, je traînai successivement avec plusieurs bandes. Je croisai tout d’abord la route d’un type selon qui les filles sortaient de préférence avec les mecs ayant une voiture. S’il espérait me séduire ainsi… Ciao ! Je préfère les vélos ! Il y eut une boum dans un garage. Je tombai également sur un ancien camarade de l’école primaire. Gentil et charmant, son seul tort d'embrasser de manière bien trop envahissante. Impossible pour moi d’étouffer sous les coups d’une langue de bœuf. Je sortis ensuite avec son copain. Trop prétentieux pour moi. Encore un qui parlait devant moi en pensant que j’étais sourde. Après l’avoir écouté patiemment discourir sur son ex pendant une soirée, je suis partie voir ailleurs.

Je rencontrai alors un groupe d’étudiants. Beaucoup plus âgés que moi, je ne les envisageais pas sous l’angle du flirt. J’appréciai simplement leur compagnie et leur conversation. Les boites de nuit ne m’attirant pas, les moments entre amis me convenaient parfaitement. Dans ce groupe, il y avait Sébastien, qui parlait et écrivait en grec : cela me fascina forcément. Restée seule quelques instants dans sa chambre, car il était parti à la recherche d’une ceinture pour mon short, je furetai parmi ses livres. Il fut surpris de me retrouver assise en train de lire. C’est que la dernière fois qu’il avait invité une fille, elle avait fait le ménage. Comment prendre cette remarque ? Surtout qu’il ne s’arrêta pas là. Après m’être extasiée devant la beauté du Parthénon, dont il avait un poster, il s’étonna que je connaisse ce monument. Les femmes, mi-quiche, mi-bonniche. Pas rancunière, une fois la ceinture bouclée, nous voilà partis en ville. Enfin, ville… Saint-Maixent étant quasi déserte, je me suis sentie autorisée à me balader seulement vêtue de mon short en jean et de mon haut de maillot. Je ne pensais à rien, surtout pas au mâle. Je me disais simplement qu’il faisait chaud et qu’on ne croisait jamais personne. Coup de chance ou est-ce qu’inconsciemment je savais m’entourer des bonnes personnes ? Rétrospectivement, je réalise qu’on aurait pu m’agresser et que tout le monde aurait trouvé cela justifié. « Elle l’a mérité, tu as vu comment elle s’habille ? » Petit Chaperon, tu as eu chaud…

Je découvris que les garçons pouvaient également être victimes des appétits des adultes. Au pied d’un arbre, à l’abri des rayons obliques du soleil, je discutais avec un copain que j’avais rencontré quelques jours auparavant. Il me confia que la première fois qu’il avait fait l’amour, c’était à 13 ans. La mère d’un ami lui avait sauté dessus. Avec moi, pas de risque de s’entendre dire qu’il a eu de la chance. Il avait l’air si triste. Il posa sa tête sur mes genoux et je caressai ses cheveux, notre silence emporté par le vent sec.

Inconsciente, je ne l’étais pas seulement concernant mes tenues. Alors que je passais une soirée tranquille avec mes nouveaux amis, sur le stade, à écouter Le Chat de Pow Wow, un fou furieux arriva en hurlant. Nous nous sommes rapidement réfugiés près du petit bar du camping, où ce timbré commença à casser des chaises avec son nunchaku. Oui, moi aussi j’ai eu du mal à en croire mes yeux. Un nunchaku, sérieux ! Il en voulait à un des garçons en particulier. Donc moi, logiquement, qu’est-ce que je fis ? Je m’interposai en lui criant que c’était lâche de s’en prendre à quelqu’un qui n’était pas armé comme lui. Il m’a alors saisi le cou, m’étranglant tout en vociférant. Surgi de nulle part, mon père s’est approché de lui, les poings en arrière de rage contenue, et lui a ordonné : « Lâche ma fille ! » Changement d’attitude radicale : « Excusez-moi monsieur, je ne savais pas que c’était votre fille ! » Il m’a relâchée et il est parti. Mon père a été un héros pendant 5 minutes. J’ai existé à ces yeux quelques instants.

Plus tard, un de mes nouveaux amis me désigna une silhouette floue (je n’avais pas mis mes lunettes) : « Voilà Hadrien ». Ce prénom suscita immédiatement mon intérêt et je fis le premier pas vers lui. Je fus déçue par la suite en apprenant que son prénom ne s’écrivait pas comme celui qu’il me rappelait et je décidai dorénavant de ne plus draguer sans mes lunettes. Je lui parlai un peu trop souvent de toi, à mon grand étonnement.

Alors que nous marchions dans les rues désertes (les petites villes sont vides dès 19 h), un violent orage se préparait. Misère, un orage… Hadrien fut surpris par mes soudaines ardeurs. Nous étions en pleine rue, il me repoussa. Une fois l’orage passé, il fallait se rendre à l’évidence : seule la pression atmosphérique faisait chauffer ma culotte. Mais le lendemain soir, il sortit une capote de sa poche avec un sourire goguenard. Je me sentis coincée, obligée de satisfaire un désir que j’avais provoqué. J'imaginais que ce serait agréable, comme avec toi, mais ce fut pénible. Heureusement, nous étions dehors, entre deux courts de tennis, donc je pouvais compter les étoiles. Et puis je me rassurai avec un grand classique de la culture féminine : je n’avais pas aimé, mais je m’étais sacrifiée par amour pour lui, pensant qu’il devait apprécier que je me sois donnée.

Je ne me doutais pas que cette petite histoire prendrait de telles proportions. Elle jeta une ombre entre nous.

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