Chapitre 15

9 minutes de lecture

(lettre tapuscrite)

Lettre de Tibert. Lyon, 21 juillet 1992
Je l’avais promis, tu vois je ne manque pas à ma parole, je t’écris. Comme quoi, je ne t’ai pas toujours oubliée et d’ailleurs je crois que j’y arriverai jamais entièrement. Alors voilà, déjà deux semaines que je suis à Lyon et vraiment chaque jour, je m’y plais davantage. La ville est super cool et en plus je peux faire du sport quand je veux, car il y a un parc qu’est vraiment géant, avec une dizaine de terrains de foot, basket, volley qui sont toujours pratiquement occupés par des jeunes.

Ici je me sens vraiment dans mon élément, d’autant plus qu’il y a de ces meufs, enfin bref c’est bien motivant quoi. J’ai pas encore vraiment de bons potes pour sortir le soir, dans ma cité il n’y a pas foule, pas de meuf, rien, le néant quoi.

Mis à part que tu me manques, les vacances se passent donc assez bien. De ton côté je suppose que tu n’as pas dû t’ennuyer dans ton camping (tu vois ce que je veux dire)…
Au fait, j’ai eu mon BEP et CAP, et en plus j’ai même réussi le concours d’entrée à Issoire, tu sais, l’école militaire. Mes vieux n’en reviennent pas, moi non plus d’ailleurs. Je voulais aussi te dire que les derniers jours où on était ensemble, j’ai pas vraiment été un modèle dans le style mec amoureux, au contraire j’étais plutôt con (peut-être que je regardais trop JR dans Dallas), enfin bref, quoique j’ai pu laisser paraître, comme la veille de ton départ faire le mec qu’en a rien à foutre que tu partes, crois-moi je ne réalisais pas comme je tenais à toi. C’est quand t’es partie que ça m’a fait tout drôle. Maintenant, avec le recul, je suis certain que je t’ai aimée. Quand je regarde ta photo, je me sens tout bizarre, alors je me dis que c’était vraiment chouette avec toi, mais maintenant t’es loin.
J’espère aussi que tu ne m’as pas déjà oublié et ça serait sympa de m’écrire.

PS Je pense toujours à toi, même quand je joue au volley avec de jeunes et jolies demoiselles.

J’ai très, très mal pris que tu écrives ta lettre sur ordinateur, alors que tu m’avais confié le faire uniquement quand tu étais obligé d’écrire à quelqu’un, par exemple ta grand-mère.


Lettre de Yuna. Villingen, 23 juillet 1992
Je t’écris à la main, car j’ai horreur d’envoyer ou de recevoir des lettres écrites par un ordinateur. Je suis heureuse que dans ta lettre tu te sois excusé pour ta conduite (sinon je ne t’aurais pas écrit).
Tu as raison en disant que je ne me suis pas ennuyée au camping. Je me suis fait plein de copains dont certains habitent en Hollande, Belgique, Grèce et Martinique. À Saint-Maixent, un garçon (Hadrien) est tombé amoureux de moi. J’en suis certaine, car lui au moins, lors de mon départ, il avait les larmes aux yeux. Il ne m’envoyait jamais de bâches et il était très attentionné (pas comme un de ma connaissance). Bref, ça a fini inévitablement par une liaison (je ne ferais pas de comparaison). Je te félicite pour tes examens (j’ai eu le BEPC).
Ce qui est triste entre nous, c’est que je n’ai jamais cru que tu m’aimais et j’ai hélas ! raison. Mais rien ne sert de se lamenter, alors je te dis au revoir. Fais-moi parvenir de tes nouvelles, même si tu n’as pas beaucoup de temps.



Lettre de Tibert. Lyon, 7 aout 1992
Comme tu peux le remarquer, je t’écris à la main, donc tu peux noter le sacrifice (pour dire la vérité, c’est l’ordinateur qui est en panne).
Alors voilà, j’ai reçu ta lettre qui m’a semblé quelque peu agressive envers ma pauvre personne innocente. Mis à part que tu me félicites pour mes examens, dont je ne suis pas peu fier d’ailleurs, tu ne fais pratiquement que des reproches, sous prétexte que je n’ai pas pleurniché quand t’es partie. Alors voilà, je suis donc un méchant garçon bâcheur et égoïste. T’exagères pas un peu, non ? Enfin bref, si t’as trouvé le bonheur avec ton pote, je suis heureux pour toi, même si j’ai un certain sentiment de jalousie.
Greg est ici à Lyon, il s’est fait virer d’un stage, alors sa mère l’a mis à bosser chez son oncle qui est patron d’un bateau restaurant de luxe.
C’est avec lui que j’ai rencontré ma copine (et oui, moi aussi j’ai trouvé une petite amie), en faisant du ski nautique. Tu dois te dire « du ski nautique à Lyon, il doit se foutre de ma gueule », mais c’est vrai, l’oncle de Greg a un club de sport nautique, alors deux fois par semaine, on se fait une journée délire sur le Rhône. Mis à part ça, je joue au foot, et le soir je sors avec ma copine, Greg et d’autres copains. On va au cinéma, même en boîte, mais c’est les autres qui veulent y aller. Enfin on s’y fait. Sérieusement, c’est les plus belles vacances que j’ai jamais eues. Les grandes villes, c’est vraiment cool.
Au fait, ça fait deux semaines que je sors avec Isabelle, elle est mignonne, elle a une voiture, et je baise avec, mais je crois pas que je l’aime. Pourtant, quand on fait l’amour, c’est vraiment chouette. Disons qu’elle a plus d’expérience, mais pour moi, c’est juste sexuel. Il m’arrive même de penser à toi en pleine action.
Tu vois, ça fait plus d’un mois que je ne t’ai pas vue et je ne te reverrais peut-être plus jamais, et pourtant je pense encore à toi et je t’écris. Si je ne t’avais pas aimée ; je ne t’écrirais pas et là je serais en train de jouer au foot, alors quand tu m’écris que tu n’as jamais cru que je t’aimais, ça me fait vraiment chier. Il y a même des jours où j’appelle ma copine par ton prénom sans le vouloir, alors je lui dis que c’est ma sœur qui s’appelle Yuna.
Alors voilà, je vais te laisser.
J’espère que tu me répondras en étant moins agressive sur ma pauvre personne qui n’éprouve que de l’amour pour toi.
Allez, je vais te l’écrire, car j’en ai vraiment envie : je t’aime toujours un peu.

PS Écris-moi vite ! J’aime recevoir tes lettres.


Lettre de Yuna. Villingen, 17 aout 1992
Je constate que tu es toujours égal à toi-même. Tu ne te rends même pas compte que tu n’arrêtes pas de te contredire. Tu dis que tu m’as aimée, et plus loin tu écris « je t’aime toujours un peu ». Un peu ? Tu te fous de ma gueule ?! Quand j’aime, moi, j’aime ou je n’aime pas. Il n’y a pas d’intermédiaires, les adverbes diminuent tout. Les « je t’aime beaucoup », « je t’aime un peu » sont faits pour les moyens, les minables. Il y a différentes façons d’aimer, mais pas de demi-mesure. Je tiens aussi à te dire que je ne regrette pas notre histoire. J’ai aimé, j’aimerais encore que nous fassions l’amour, si tu as compris de travers, ce n’est pas ma faute. Je ne t’aime pas plus, pas moins qu’Hadrien, car tu n’as pas la même place que lui dans mon cœur.
Je te fais beaucoup de reproches, mais en te relisant, je t’en fais un autre. Tu écris « moi je sais que je t’ai aimée, mais si tu ne me crois pas ça ne m’empêchera pas de dormir ». C’est fait exprès ou c’est un talent naturel chez toi ? Tu écris noir sur blanc que tu t’en fous complètement de ce que je pense !
Moi, ça ne me vexe pas (question d’habitude, tu m’as entraînée à encaisser les plus grosses gaffes). Si j’écris ça, c’est pour que tu fasses attention à ne pas vexer des filles plus sensibles que moi (ce sera difficile à trouver).
Je ne t’écris pas ce que m’arrive, car apparemment tu t’en moques éperdument.

Yuna, qui continue malgré tout à garder pour toi une place dans son cœur.

(écrit sur une autre feuille, plus tard)
Je t’écris pour te dire que je te pardonne la façon dont tu t’es conduit et que, malgré tout, je penserais toujours à toi avec nostalgie.
Les nuits que nous avons passées ensemble resteront présentes. Comme tu le sais, je ne suis pas jalouse, et je suis étonnée de l’avoir un peu été en apprenant que tu es avec Isabelle.
Je t’embrasse de bas en haut sur tout ton corps, sans en oublier un seul morceau.
Je te caresse de mes douces mains où tu veux, quand tu veux.

Lettre de Tibert. Lyon, 18 aout 1992
Je veux que tu saches que jamais rien n’aurait pu me faire plus plaisir que de découvrir en lisant tes deux dernières lettres que tu tiens encore à moi.
Avant cela, vraiment je croyais que toi et moi c’était fini, mort quoi, que tu voulais m’oublier. C’est pour ça que j’écris « je t’aime un peu », même si au fond j’aurais voulu dire je t’aime. C’est une question d’orgueil. C’est un peu comme si j’avais retrouvé quelque chose de perdu. Je pense que ce quelque chose, c’est l’envie d’être désiré par la personne que j’aime, et cette personne, c’est toi, et même si j’ai essayé de t’oublier avec une autre meuf, je n’y suis pas arrivé.
J’ai envie de te dire des choses, mais je trouve pas les phrases et ni les mots d’ailleurs. Je suis peut-être en train de devenir idiot.
Quand je lis ta lettre, et je l’ai tellement lue que je la connais presque par cœur, j’ai vraiment les boules, c’est une forme d’angoisse je crois. Tu vois ici j’ai de bons potes et je délire bien avec eux, mais je vais dire quelque chose que jamais j’aurais pensé avant de te connaitre : « les copains, c’est bien chouette, mais c’est pas tout », tout comme le foot. Je donnerais beaucoup pour pouvoir te revoir et c’est un de mes désirs les plus forts, car j’ai besoin de te parler, de te toucher.
Normalement, à la Toussaint, Greg et moi on vient à Villingen, mais j’espère pouvoir venir avant. Demain, je vais au casino, j’ai cent francs, je gagnerai peut-être ? Enfin, c’est pas moi qui joue, c’est l’oncle de Greg, moi je matte.
Enfin bref, je ferai tout pour pouvoir te revoir, car vraiment tu me manques. N’écris plus que je me fous de ce qui t’arrive, car vraiment c’est faux, je veux tout savoir de toi, tes envies, tes pensées, tout quoi.
Tu vois, tu écris que malgré tout tu as toujours une place dans ton cœur pour moi, donc le reste c’est pour ton pote Hadrien, alors que pour moi tu es la seule. Isabelle, je suis avec, mais je l’aime pas, d’ailleurs je lui ai jamais dit.
Je donnerais mon ballon de foot, mon ordinateur, ma télé, tous ces biens matériels à la con pour être avec toi, et le pire c’est que je suis sérieux en disant ces conneries. Je crois que je suis vraiment atteint, là j’étais à deux doigts de pleurer quand je regardais ta photo, mais je suis sûr que tu ne me croiras pas sur ce coup-là, et c’est peut-être mieux, car je veux pas passer pour un pleurnicheur, et puis c’est pas mon genre. Je sais même pas pourquoi je raconte tout ça, on va se voir une semaine tous les deux mois, ridicule non ? Faut que j’arrête, car je suis en train de déprimer.
Tu dois juste savoir que je t’aime, que je fais plein de rêves très érotiques sur toi et moi, et qu’il faut que je te revoie.

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