Chapitre 16

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Journal de Yuna.
29 aout 1992
Des épreuves, encore et toujours des épreuves. Je ne peux pas clairement expliquer celle-ci, car tout est si embrouillé que je ne sais plus où j’en suis. Maman a un amant de vingt-cinq ans, papa fait en sorte qu’il soit muté à Trêves la semaine prochaine.
Au début, j’étais heureuse pour maman, mais après, son absence de la maison la plupart du temps m’a rapprochée de papa. Maintenant, je suis écartelée par mon amour pour mes parents, je ne sais plus qui a raison ou tort.
En plus, histoire de renforcer l’épreuve, Céline, Sylvie et Tibert sont partis et je m’occupe d’Angèle et Léon. J’essaie surtout d’alléger le poids qui leur tombe dessus. J’ai hâte que ça finisse. L’année scolaire s’annonce merveilleuse !

30 aout 1992
L’affaire se tasse. Maman reste, F. part. Tout est comme avant. Comme si rien ne s’était passé. Si quelqu’un m’aimait, me prenait dans ses bras quand je suis triste…

5 septembre 1992
Bientôt la rentrée à Baden. Normalement maman reste à Villingen (ainsi que F.). Nous ne déménageons pas.

8 septembre 1992
Dernier jour de vacances : la déprime, l’angoisse. Mais je positive (enfin, j’essaie).
Pour changer de sujet, parlons de ma libido. J’aurais mieux fait de ne jamais coucher avec Tibert, car maintenant ça me manque ! Je souffre dans ma chair autant que dans ma tête, car par moment j’ai des clichés plutôt olé olé dans la tête. Mais ce n’est pas parce que je suis en manque que je vais me jeter dans les bras du premier venu.

Mes parents se déchiraient. Mon père me racontait tous les détails de leurs disputes, les aventures de ma mère, le fait qu’il ne la touchait plus depuis des années. Je me sentais poisseuse, dégoutante. J’avais pitié de mon père, qui était seul et souffrait tant. Je comprenais ma mère qui voulait vivre sa vie. En plein conflit de loyauté, j’encaissais leurs confidences en serrant les dents. Vivant dans une cité militaire, tout se savait. Ainsi, des camarades d’Angèle lui dirent que sa mère était une pute.

Ma seule respiration venait de toi. « Tibert le bâcheur », celui qui ne prenait jamais rien au sérieux, dévoilait une autre facette… J’étais toujours méfiante, aux prises avec ma souffrance, mais tu persévérais. Je m’étais enfermée dans ma fierté et ma douleur, mais lettre après lettre, tu me signifiais que tu étais là.

Lettre de Tibert. Issoire, 24 septembre 1992
Hé oui ! Tu vois, c’est moi, j’espère que tu te rappelles encore un peu de moi. Alors voilà, je t’écris de cette école militaire où je suis en pleine métamorphose pour devenir un petit soldat. À la fin de l’année, je serai caporal, ça rigole plus et en plus il y a le bac à passer.
Ici c’est assez cool, j’ai de bons potes et vu qu’on est tous dans le même merdier, il y a une bonne ambiance. Si j’enlève qu’il faut laver ses fringues, faire le ménage dans la piaule, et surtout la discipline et le stupide respect qu’il faut avoir envers les gradés, je crois pouvoir dire que c’est chouette.
Le plus dur, c’est la discipline, surtout pour moi, car si tu fais une connerie, tu peux pas t’expliquer, t’es au garde-à-vous et tu dois fermer ta gueule, et ça j’arrive pas à l’avaler.
Pour les sorties en ville, on est obligé d’être en treillis, ça craint vraiment, mais il y a ce qu’on appelle les filles à bidasses qui me rappellent vaguement certaines connaissances de mon séjour en Allemagne (ne te sens pas trop visée quand même). Dans l’école, il n’y a que des boudins et vu qu’à l’armée il n’y a pas de sexe, pas touche. Là, je suis sur un coup avec une civile, mais c’est juste pour tirer un coup, car vraiment là c’est dur, extrêmement dur.
Je ne sors plus avec ma copine Isabelle, car vu que je rentre chez moi que pour les vacances, ça craint plutôt. En fait, je t’écris à toi plutôt qu’à elle, car elle est conne et puis quand j’ai le cafard, c’est à toi que je pense et généralement ça va mieux après. C’est le samedi et vendredi soir le plus dur, car quand j’étais à Lyon c’était la fête, alors qu’ici c’est le squat entre mecs autour d’une radio (super !). Tu vois le genre. Alors, est-ce que tu aimes Baden ? Je suis sûr que oui, car c’est vraiment cool, surtout par rapport à ici.
D’une certaine façon, tu me manques, car j’ai quand même plein de souvenirs, et ça, ça peut pas s’oublier. Alors écris-moi vite, ça me fera extrêmement plaisir, parle-moi de toi et de Baden, enfin parle-moi quoi.
Salut (note que j’ai acheté une carte postale, j’ai des sous maintenant).


Journal de Yuna. 22 octobre 1992
Je ne vais pas user mes pages à écrire mon ennui. J’attends… quelque chose, quelqu’un. Qui regardera enfin mes yeux et me dira en ouvrant ses bras : « Viens ».
Pour éprouver les sentiments de Tibert, j’ai décidé de ne pas lui répondre. Je saurais peut-être comme ça s’il m’aime vraiment.

Lettre de Tibert. Issoire, novembre 1992
Comme tu peux le constater, moi je t’écris, même si tu ne me réponds pas. Ça fait plus d’un mois que j’attends une lettre de toi et rien, chaque jour c’est pareil, j’espère, mais je suis démoralisé par l’attente de ta réponse qui ne vient toujours pas.
Alors comme j’en ai marre d’espérer et qu’il vaut mieux être réaliste, si tu veux plus qu’on s’écrive, dis-le !
Je pensais que tu m’aimais et que toi et moi ça pouvait remarcher, mais apparemment je suis tout seul à y croire.
Enfin bref, je t’aime, j’espère que toi aussi, mais je préfère que tu m’écrives le contraire plutôt que de ne rien savoir.
Alors sois gentille, écris-moi vite, histoire que je puisse planifier mes vacances avant de partir sur le terrain.

Journal de Yuna. 28 novembre 1992
Ce n’est pas parce que quelque chose me rattache à la vie que je ne me suicide pas. Je suis une lâche. Alors je ne mange plus : hier soir, deux verres d’eau, ce matin, un demi-verre d’eau.
La vie n’a aucun sens. Je ne mange plus dans l’espoir que quelqu’un le remarquera… Rien, personne, néant. On me félicite sur ma minceur. Je me complais dans mon malheur, comme s’il me tenait chaud. Je voudrais dormir et ne plus me réveiller.
Je ne suis pas déprimée. Non, rien. Seulement le vide.


Je ne comprenais pas les exactes raisons de ce désespoir. Les disputes de mes parents, le sentiment d’avoir été trahie par Hadrien qui finalement ne m’aimait pas… Tout cela n’était que la surface. Il fallait plonger profondément…

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