Chapitre 19

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Nous avions mis au point nos retrouvailles : tu devais arriver aux alentours du 5 aout et tu logerais chez un de tes camarades de l’ENTSOA*, Thomas, qui habitait aussi Saint-Maixent. La perspective de te revoir me terrifiait. Un matin je découvris avec horreur que mon visage était couvert de plaques rouges. J’essayais de me détendre, de ne pas trop penser à toi, et elles disparurent.
Saint-Maixent… nous retournions dans notre maison après trois ans en Allemagne. Mon père restait seul là-bas. J’étais heureuse de retrouver mon ancienne chambre. On m’a acheté un nouveau lit. Plus grand.

Tu arrivas.
Une fois à la gare, tu jetas des regards anxieux autour de toi : dès que tu croisais une fille qui ressemblait à la photo que je t’avais envoyée, ton cœur s’emballait.
Ma maison se situait dans une impasse. Alors que ma sœur et moi en sortions pour aller chez le coiffeur, nous avons croisé un militaire qui semblait chercher quelque chose. C’était Thomas, que tu avais envoyé en reconnaissance.

Je tourne au coin de la ruelle, et…
Ta silhouette se découpe dans le contrejour. Mon cœur trébuche. Tu es là, à quelques pas.

Je ne sais pas comment me comporter, tu es déçu que je ne me jette pas dans tes bras. Nous allons ensemble chez le coiffeur. Tu m’attends dehors avec Thomas. Je me sens déjà mieux, ayant eu quelques instants pour me faire à l’idée de ta présence.
Nous prenons le temps de discuter dans un bar, nous nous retrouvons.

Sur le chemin, nous nous arrêtons. Tu me prends dans tes bras. Nous nous embrassons.

Comme dans mes dernières lettres je t’écrivais que je ne voulais plus faire l’amour, tu ne savais plus que penser. Tu en avais parlé à ton chef de section, qui t’a rassuré en te disant que c’était arrivé à sa compagne. J’avais sûrement besoin de temps, d’être rassurée.
Dans le doute, tu t’étais donné cinq jours : si au bout de ces cinq jours, cela ne marchait pas entre nous, tu repartirais.
Je t’ai vite retrouvé. J’étais prête à vivre, à t’aimer. Je n’essayais pas de comprendre ce qui nous arrivait, je vivais pleinement mon bonheur. Je ne réalisais pas que notre amour m’envahissait, heure après heure, caresse après caresse. Tes mains et tes baisers m’ont lavée de la flétrissure.
Pendant les cinq jours fatidiques, nous avons flirté, comme au « bon vieux temps ». En haut du sentier du Peux Saint-Martin, chemin raide datant du Moyen-Âge, nos mains partaient à la recherche de nos peaux. Nos envies devenant plus impérieuses, nous descendions prudemment le peux, glissant de gravillons. Sur les rives de Sèvre, nous aurions aimé nous retrouver complètement, mais l’endroit n’était pas totalement désert. Même si je rêvais que tu m’allonges sur la table de pique-nique. Le murmure de l’eau, le chant lancinant des grenouilles, la musique des feuilles et des branches qui se balançaient, le sol tendre… tout m’enivrait.

Tu as donc décidé de rester. Tu as pris un emplacement dans un camping et j’ai demandé à ma mère de te prêter une tente. Un peu plus tard, j’ai trouvé le courage de lui demander si je pouvais camper avec toi. Elle accepta, sans me poser de questions. Était-ce respectueux ou inconscient ?
Notre tente était facilement repérable, avec son entrée à moitié affaissée. Cela deviendra notre marque de fabrique. Nous avons tout appris ensemble, l’une avec l’autre, l’un en l’autre. J’étais sensuelle, câline, mais je ne le savais pas. Avec toi, j’ai appris qui je suis, je me suis épanouie. Je t’ai montré comment me caresser. Et non, le clitoris n’était pas là où tu pensais !

Nous allions à la piscine, nous faisions nos courses dans le Leclerc de la ville, le soir nous nous promenions ou nous allions dans un bar avec Thomas. Quel bonheur ! Être simplement ensemble, s’aimer, faire l’amour, que demander de plus ! Après le déjeuner, alors que le soleil était au zénith, les muriers étaient couverts de fruits juteux et sucrés que nous dévorions. Un après-midi, chassés de la tente par la canicule, nous sommes allés nous réfugier dans ces sentiers. J’avais tellement envie de toi que je t’aurais pris n’importe où. Ce fut dans un champ de maïs.
Te souviens-tu de la première fois que je me suis caressée devant toi ? Ça t’a beaucoup plu… J’aimais aussi te regarder te toucher, excité par mon corps qui s’offrait à ton regard. L’été de mon premier orgasme ensemble. Quand nous étions chez moi, nous lancions la musique. La batterie, mon cœur, les basses entre mes cuisses, balance le son, crie-le, le mouvement de tes reins, un petit lac de sueur y gîte, pulse, pulse-moi, pianote, frappe mes touches, enfonce plus fort ta langue, ta voix en moi, résonne, putain, résonne, les percussions qui vibrent, je suis une corde tendue. Monte, monte le son ! Explosion !

  Le monde des adultes était loin de nous, nous naviguions dans notre bulle.

Les vacances prirent fin.
Entre Saint-Maixent et Issoire : 400 kilomètres. Nous aurions pour nous seulement le temps des vacances scolaires. La gare deviendrait le point central de notre vie. Je n’étais pas désespérée par ton départ, puisque tu m’aimais et que tu allais revenir. Mais tu aurais aimé que je te dise de rester un peu plus longtemps, que j’ai l’air plus triste. Je ne savais pas encore l’abîme que laisse l’absence.
Sur le sol du quai, j’observai un dessin à la craie. Un petit bateau voguait sur les mots, accompagné d’un message d’amour.
Où sont enterrés les messages à la craie ?
Le train s’éloigne.

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ENTSOA : école nationale technique des sous-officiers d’active, basée à Issoire.

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