Chapitre 28
Tu promis que nous préparerions sérieusement notre emménagement aux vacances de Pâques, même si nous ne savions toujours pas où tu serais muté. Nous profiterions également de ces vacances, tes parents étant absents, pour tester la solidité de la table du salon. Chez moi, la machine à laver et mon bureau avaient déjà brillamment passé cet examen.
Mais pendant ces vacances de février, tes parents étaient présents. Nous regardions « Questions pour un champion » dans ta chambre. Voyant que je répondais à la plupart des questions, tu m’entrainas dans le salon, où ton père regardait aussi cette émission. Tu étais content de lui montrer ma culture. Le présentateur demanda le nom de l’archange de l’Annonciation. Je répondis doucement « Gabriel ». Tu pris ma main.
Comme je ne parvenais plus à dormir, je te contemplais dans ton sommeil. Ton visage, je l’ai imprimé dans ma peau. Tu avais forgé ton corps à force de volonté, tu étais fier de ce que tu étais devenu, mais tu n’aimais pas ton visage. Tu te comparais à Cyrano. Ça tombe bien : j’adore Cyrano, les beaux esprits et les grands nez forment une belle association ! J’ai tant caressé tes paupières, la douce courbe de tes joues, embrassé ton menton, tes lèvres, ton front, je t’ai tant bu que je suis ivre de toi. Avant de dormir, après avoir fait l’amour ou lorsque nous faisions une sieste, je posais ma tête sur ton torse, si développé que j’en avais le vertige, et j’écoutais ta vie. Le docteur t’avait diagnostiqué un cœur de centenaire, dont les battements puissants et lents me berçaient. Contre mon sein, tu riais, étonné de mes pulsations désordonnées. Mon cœur bat toujours follement.
Ta vie s’écoulait sous ta peau. J’essayais de la saisir. J’aimais cette musique sourde et profonde. Je t’aimais, j’aimais quand tu me serrais dans tes bras à m’étouffer et que tu me demandais d’en faire autant, j’aimais mettre ma main dans la tienne, si grande, j’aimais que tu t’étonnes de ma fragilité, j’aimais que tu me chatouilles, j’aimais que tu frottes tes joues mal rasées contre mon visage qui rougissais, j’aimais que tu danses pour moi. Tu ondulais devant moi, pour me montrer comme tu bougeais bien, j'étais hypnotisée par les mouvements de ton corps, tes bras, ton bassin qui se mouvaient avec une telle sensualité que j’en étais paralysée. Tu t’approches, tu m’entraines. Je ne sais plus où je suis, je n’ai plus de corps, je vole avec toi, le rythme que tu imprimes en moi me dissout, je coule en toi, mes yeux se ferment et mon souffle s’accélère. Ton cou fond dans ma bouche, je te dévore, je te mords les oreilles, je goute ton sexe, je bois tes lèvres, tu es tout à moi ; je t’entends gémir, mes cris se mêlent aux tiens ; ta bouche s’entrouvre, ta langue se plie, tu m’observes, tu me souris, nous rions ; cette douce odeur de sexe qui palpite dans l’air, ta peau dont je m’enivre par tous les sens de mon âme, la pression de tes mains, le sel de ta nuque, de tes cuisses ; je te griffe, je te serre, tu ondoies, je guide tes gestes, je m’électrise sous ton corps qui bouscule le mien, tu frémis en moi, je me caresse à toi, tu prends mes fesses, mes seins, mes hanches, ma bouche, nos peaux, nos corps, il n’y a que nous au monde.
La veille de la fin de tes vacances (les miennes débutaient), tu ne voulus pas faire l’amour. J’étais habituée : avant de se quitter, tu n’étais jamais au sommet de ton désir. Tu m’avais prévenue : quand nous vivrions ensemble, nous ne ferions plus l’amour toute la journée. Je m’en doutais un peu, surtout si je devais repasser tes chemises ! J’étais tout de même énervée et déçue. Alors j’ai butiné ta nuque, à cet endroit si sensible. Ton souffle devint rapide. J’effleurai tes fesses, ton ventre, je caressais longuement ton sexe. Parvenue à t’exciter, je me suis arrêtée.
Le lendemain, tu me dis que si j’avais voulu... Mais non, c’était seulement une manière de me venger. Une nuit de perdue.
Maintenant, il est l’heure de partir. Tu t'en vas un jour avant moi, car tu participes à un cross. Vais-je survivre seule avec tes parents ?
En attendant le train, nous rions, nous profitons de ces dernières minutes. Sur le quai, des moineaux picorent des miettes de pain. Je m’éloigne un peu, tu m’attrapes et me serres fortement contre toi.
Tu montes dans le train. Je te suis derrière la vitre. Tu sembles déjà parti. Ma gorge se noue. Regarde-moi une dernière fois ! Le train s’ébranle. J’essaie de te suivre le plus longtemps possible.
Le lendemain, lundi 27 février, ton anniversaire, une journée magnifique. Je sens encore le soleil sur ma peau. J’avais décidé de me débarrasser des kilos de tristesse accumulés. Le soir, tu téléphones, tu me dis que cette semaine fut merveilleuse et que tu viendras encore ce week-end, pour que nous fêtions nos anniversaires ensemble : 21 ans et 18 ans. Tu viens enfin d’annoncer à tes parents que nous allons vivre ensemble. Nous plaisantons. Un peu plus tard, je me rends compte que j’ai oublié de te souhaiter un joyeux anniversaire. Comme tu vas partir en manœuvre, tu ne rappelleras pas. Alors je t’écris immédiatement, afin que tu reçoives ma lettre avant de venir me rejoindre ce week-end. Je posterai la lettre demain, mardi, ce n’est pas grave.
Il est assez tard, presque minuit. Je viens juste de me coucher. J’ai eu tant à faire.
La sonnerie retentit. J’entends ma mère qui se lève et se dirige vers le téléphone. Après quelques instants, elle ouvre sa porte. Ses pas résonnent sur le plancher du couloir. Elle est devant ma chambre. Elle entre. Mon cœur s’arrête. J’ai compris. Ce pressentiment qui ne me lâchait plus depuis plusieurs semaines, c’était ça.
« Tibert a eu un grave accident. »
Je sais, je le savais. Nous échangeons quelques mots.
« Oui, ça va aller. » Je me rendors presque aussitôt.
Mardi. Ton père n’a pas dit à ma mère ce qui s’est passé. Je sais seulement que tu es à l’hôpital. J'essaie de savoir où. Les numéros se mélangent, j’avance dans un brouillard épais.
Hôtel Dieu, Clermont-Ferrand. « Oui, c’est très grave ». Je craque. Je comprends que s’ils me disent ça, c’est que Tibert... Non ! NON !
J'apprendrai bien plus tard ce qui s'est passé. Tu étais donc en manœuvre. Tu marchais en avant avec un camarade. Vous parliez de vos amours, tu lui a dit que tu voulais emménager avec moi. Vous étiez à quelques mètres de votre « campement ». Cette fois-ci, vous ne dormiriez pas dans la forêt, mais dans une salle des fêtes. Tu aurais pu y fêter ton anniversaire. Tu es parti devant avec un autre militaire. Il faisait nuit, tu traversas la route. Mais tu as semblé avoir oublié quelque chose, car tu es revenu sur tes pas.
Une voiture arrive.
L’automobiliste sort de sa voiture, choqué.
Les secours arrivent rapidement. Tu ne réagis plus à rien.
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