Appartement 3 : Chez les LAGER-MARU, les fils

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ANTONIN : Dis, Boris, … Tu crois que le voisin c'est un espion ?

BORIS : Bah non ; il porte des couleurs vives !

ANTONIN : T'es sûr que t'as huit ans Boris ? Parce qu'entre ton prénom et ton vocabulaire, on dirait pas.

BORIS : Et toi, t'es sûr que t'as treize ans ? Parce que vu ton imagination, on ne dirait pas.

ANTONIN : Mais c'est très bien d'avoir de l'imagination ! Garder l'imagination d'un enfant tout en grandissant, c'est le but qu'on devrait tous se fixer.

BORIS : Pas si on utilise son imagination pour dire des saletés sur les voisins !

ANTONIN : C'est pas dire des saletés ce que je viens de faire. C'est pas une insulte "espion". Mais, il est bizarre quand-même. Il ne dit jamais bonjour à personne. Quand on lui parle, il ne répond pas. Il rentre et sort toujours à des heures étranges. Et il ne prend jamais son courrier en passant. Une fois, il attendait l'ascenseur et, en me voyant arriver et me mettre à attendre avec lui, il est parti par les escaliers.

BORIS : Pourquoi tu prends l'ascenseur ? On vit au premier étage !

ANTONIN : T'es payé par mangerbouger ou quoi ?

BORIS : Hein ? Quoi ? Ça veut dire quoi ?

ANTONIN : Laisse tomber, t'es trop jeune pour comprendre.

BORIS : Peut-être que Monsieur F, il est juste timide.

ANTONIN : C'est qui monsieur F ?

BORIS : Bah, le voisin.

ANTONIN : Donc toi aussi tu crois que c'est un espion !

BORIS : Bah non. Pourquoi tu dis ça ?

ANTONIN : Tu l'appelles "Monsieur F" ! C'est un nom d'espion ça !

BORIS : Non, c'est son nom à lui.

ANTONIN : Et comment tu le sais ? Tu es un espion toi aussi ?

BORIS : Pourquoi tu crois que je suis un espion ? Moi, je réponds quand on me dit bonjour. Et d'ailleurs, je suis sûr que les espions aussi.

ANTONIN : Comment tu connais son nom ?

BORIS : Bah, il me l'a dit.

ANTONIN : Et comment ?

BORIS : Bah, en français.

ANTONIN : Pourquoi il te l'a dit ?

BORIS : Bah, parce que je lui ai demandé.

ANTONIN : T'es arrivé et tu as dit "Comment tu t'appelles ?"

BORIS : Bah, non ; j'ai dit "Bonjour" d'abord.

ANTONIN : Et il t'a répondu ?

BORIS : Pas à "Bonjour". Mais à "Comment tu t'appelles ?", oui.

ANTONIN : Et là, il t'a dit "Monsieur F" ? Et ça ne t'a pas semblé bizarre ?

BORIS : Bah non, j'ai un copain, son nom de famille c'est A.

ANTONIN : Oui mais, ton copain, son nom c'est HAA. Remarque, peut-être que le voisin c'est Monsieur EFFE, ou un truc comme ça.

BORIS : Ou peut-être qu'il a un nom trop moche et qu'il en a honte, alors il ne donne que la première lettre.

ANTONIN : Donc tu as bien un peu d'imagination toi aussi.

BORIS : Un peu beaucoup ! Sauf que, moi, je l'utilise pour émettre des hypothèses qui ont du sens.

ANTONIN : Tu te la pètes quand même un peu beaucoup pour un gamin de huit ans.

BORIS : C'est Maman qui m'a appris.

ANTONIN : Quoi ? Pardon ? Où est-ce que t'as entendu ça ? C'est impossible que tu aies sorti cette vanne tout seul !

BORIS : Quand ton père est venu pour repeindre ta chambre, il était tout fier et n'arrêtait pas de dire à quel point c'était beau. Alors, Maman lui a demandé s'il ne se la pétait pas trop ; et, lui, il a répondu que c'était elle qui lui avais appris. J'ai trouvé ça drôle.

ANTONIN : Et tu répètes tout ce que tu trouves drôle ?

BORIS : Non. Par exemple quand tu dis que le voisin c'est un espion, je ne le répète pas.

ANTONIN : Ah ! Tu admets que tu as trouvé ça drôle !

BORIS : Bah oui, c'est drôle que mon frère dise des trucs aussi bêtes.

ANTONIN : Mais je ne te permets pas ! Et, puisque tu es si malin, comment tu fais ton choix entre les trucs drôles que tu répètes et ce que tu ne répètes pas ?

BORIS : Je ne fais pas de choix sur ce que je vais répéter. Je sors des blagues quand il y a le bon contexte, c'est tout. Et je ne répète pas des trucs sur les gens, vu que ce n'est pas gentil ; surtout quand c'est des gens que je ne connais pas.

ANTONIN : Tu préfères être gentil avec les inconnus et méchant envers les gens que tu connais ?

BORIS : Non. Mais si je dis quelque chose de méchant sur quelqu'un, je préfère être sûr que ce soit vrai.

ANTONIN : Mais c'est pas méchant d'être un espion !

BORIS : Ce n'est pas d'être un espion qui est méchant, c'est de parler de lui alors que tu ne le connais pas. Juste parce que tu ne comprends pas son comportement, tu vas le trouver bizarre et inventer des choses et les répéter, au lieu de juste lui demander de t'expliquer ce que tu ne comprends pas.

ANTONIN : T'as besoin de parler de quelque chose Boris ?

BORIS : Quoi ? Pourquoi tu dis toujours des choses que je ne comprends pas ?

ANTONIN : Parce que t'es trop bête ?

BORIS : T'es méchant !

ANTONIN : Je suis pas méchant, c'était une blague. T'as dit que j'étais bête, alors je dis que t'es bête pour que tu vois que ça ne fait pas plaisir.

BORIS : J'ai pas dit que tu étais bête.

ANTONIN : Si, tout à l'heure. Pour l'espion.

BORIS : J'ai dit que tu avais dit un truc bête. C'est pas du tout la même chose.

ANTONIN : C'est Maman qui t'a dit ça ?

BORIS : Qui a dit quoi ; que t'as dit un truc bête ? Bah non, elle était pas là quand t'as dit ton truc d'espion.

ANTONIN : Mais non, ce que t'as dit tout à l'heure. Que les gens devraient demander des explications à ce qu'ils ne comprennent pas au lieu de se faire leurs propres hypothèses.

BORIS : Oui ; et elle a raison.

ANTONIN : Toi t'es assez grand à huit ans pour décider si Maman a raison ou tort ?

BORIS : Je ne décide pas. Mais je crois qu'elle a raison. Ça semble juste ce qu'elle dit. C'est pas une histoire d'âge. La maîtresse elle est plus vieille que maman et des fois elle dit des choses qui ne semblent pas justes.

ANTONIN : Comme quoi par exemple ?

BORIS : Que si on finit ses exercices en premier on doit attendre sans rien faire, que pendant la récréation on doit jouer avec les autres et on ne peut pas rester dans la classe à lire même si on en a envie, qu'il y a des élèves qui sont trop bêtes pour jamais pouvoir apprendre quelque chose, et plein d'autres trucs.

ANTONIN : Ils te trouvent bizarre les autres élèves ?

BORIS : Pourquoi tu demandes ça ?

ANTONIN : Tu l'aimes bien Monsieur F ?

BORIS : Pourquoi tu demandes ça ?

ANTONIN : Tu lui as demandé comment il s'appelait. Tu ne parles pas aux gens que tu ne connais pas d'habitude. Même aux gens que tu connais, tu ne parles presque pas.

BORIS : Maman elle était en train de prendre le courrier et lui il attendait l'ascenseur. Moi, j'attendais maman et ça met trop mal à l'aise de devoir attendre avec quelqu'un en silence. Alors il fallait parler. Je lui ai demandé son nom, il m'a répondu et ensuite Maman est arrivés et on est montés par les escaliers.

ANTONIN : Elle lui a dit bonjour ?

BORIS : Oui ; elle dit toujours bonjour, Maman.

ANTONIN : Et il a répondu ?

BORIS : Mais je n'en sais rien ! Je n'ai pas fait attention ! Pourquoi ça te semble si important ?

ANTONIN : Tu crois que si quelqu'un ne nous répond pas quand on lui dit bonjour, c'est qu'il ne nous aime pas ?

BORIS : Tu as peur que Monsieur F ne t'aime pas ?

ANTONIN : Non, j'en ai rien à faire de Monsieur F !

BORIS : C'est pas sympa ça ! Il est peut-être très gentil ; tu n'en as aucune idée.

ANTONIN : Oui, peut-être, et il y a plein de gens probablement très gentils sur terre, dont je me fiche tout autant.

BORIS : Et de qui tu ne te fiches pas ?

ANTONIN : De quelqu'un de pas très gentil.

BORIS : Qu'est-ce qui te fait dire qu'il n'est pas très gentil ?

ANTONIN : Elle. C'est une fille. Mais elle ne répond pas quand je lui dis bonjour. Et elle colle ses chewing-gums partout au lieu de les mettre à la poubelle. Aussi, elle jette des cailloux juste à côté des pigeons pour leur faire peur.

BORIS : Là tu peux dire qu'elle est méchante. Et, t'as raison, on peut pas dire qu'on s'en fiche quand il y a des gens comme ça. Parce que si tout le monde s'en fiche, ils vont continuer.

ANTONIN : Tu comprends pas. Quand je dis que je m'en fiche pas, ça veut pas dire que son cas me préoccupe parce qu'elle est méchante. Ça veut dire que je l'aime bien.

BORIS : Mais pourquoi tu l'aimes bien, si elle est méchante ?

ANTONIN : Ça, je sais pas. Parce qu'elle est jolie. Elle a toujours l'air heureuse, et on dirait qu'avec elle la vie c'est que des rires. Dès qu'on la voit on ne peut pas s'empêcher de sourire, et de se sentir comme un idiot.

BORIS : Mais elle est méchante ou elle est bête ?

ANTONIN : L'idiot c'est moi ; pas elle.

BORIS : Oui, j'ai compris ça. Mais faut quand même être pas très intelligent pour jeter des cailloux sur les pigeons et ne pas savoir que les chewing-gums ça ne se met pas n'importe où.

ANTONIN : Elle ne jette pas des cailloux sur les pigeons, mais à côté d'eux. Et elle doit probablement savoir que les chewing-gums ça se met à la poubelle.

BORIS : Mais elle ne sait pas que si on les met à la poubelle c'est parce que sinon quelqu'un va devoir nettoyer ? Elle se dit que ça fera un joli défi bien amusant, un chewing-gum à retirer, pour ceux qui vont faire le ménage ?

ANTONIN : Peut-être qu'elle n'a pas pensé à eux.

BORIS : C'est bien ce que je dis : elle est bête.

ANTONIN : Non, elle est intelligente ! On peut être intelligent et ne pas penser à tout.

BORIS : Et on peut être intelligent et méchant ?

ANTONIN : Ah bah oui ! Si les méchants étaient bêtes, ils seraient moins dangereux.

BORIS : Moi je pense que si elle était assez intelligente pour comprendre les choses, elle saurait que ce qu'elle fait est mal.

ANTONIN : Et tu ne crois pas que, si tu ne veux pas sortir dans la cour pendant la récré, c'est parce que tu n'es pas assez intelligent pour comprendre que ça serait mieux pour toi ?

BORIS : En quoi ça serait mieux ? Tu crois que je vais apprendre plus de choses en lisant un livre ou en jouant à des jeux comme lancer des cailloux sur les pigeons ?

ANTONIN : Tu dis que je ne devrais pas juger le voisin sans le connaître, mais toi tu juges tes camarades sans avoir cherché à jouer avec eux. Leurs jeux sont probablement plus intelligents que celui là.

BORIS : Ils sont probablement moins méchants, mais pas forcément plus intelligents.

ANTONIN : Mais il n'y a pas que l'intelligence dans la vie.

BORIS : Dit le gars qui est amoureux d'une imbécile qui torture les pigeons. Moi je n'en veux pas d'une vie pleine de sourire et de rires, si ça donne l'air idiot et si ça rend idiot.

ANTONIN : Et tu crois qu'on peut savoir ce qu'on veut à huit ans ?

BORIS : Et tu crois qu'on peut savoir ce qu'on veut à treize ans ?

ANTONIN : Assez pour savoir que je ne voudrais pas devenir comme Monsieur F.

BORIS : Et moi assez pour savoir que je ne voudrais pas devenir comme toi.

ANTONIN : T'es super méchant, en fait.

BORIS : Maman elle dit qu'en grandissant on devient de plus en plus intelligent mais qu'il y a un moment où ça baisse, et ensuite ça remonte. Bah je crois que t'es pile dans le creux. Alors t'inquiète pas, ça passera. Et à ce moment là tu verras que je n'étais pas méchant.

ANTONIN : Et toi ? Tu crois qu'un jour tu seras dans ce creux ?

BORIS : Bah j'espère que si j'y suis un jour, t'essayeras de m'en sortir comme moi j'essaye de t'en sortir.

ANTONIN : Si on ramassait tous ses chewing-gums, on pourrait me fabriquer une échelle pour que je sorte du creux.

BORIS : Donc j'ai raison ? Toi aussi tu te trouves bête ?

ANTONIN : Je suis amoureux d'une fille qui balance des cailloux sur les pigeons.

BORIS : Je croyais que c'était à côté des pigeons.

ANTONIN : Qu'est-ce que ça change ?

BORIS : Pour ton intelligence, pas grand chose. Pour les pigeons, beaucoup.

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