Appartement 6 : Une visite chez Praline
L'"AMIE" : Et la petite boutique juste en dessous de chez toi à l'air de faire des trucs super mignons.
PRALINE : Ah bon ? Jamais fait attention.
L'"AMIE" : La vitrine est juste exquise, avec toutes les petites fleurs. Et il y avait deux robes vraiment originales, mais qui restent classe en même temps.
PRALINE : Tu sais, je viens juste d'emménager. Je t'avoue que les boutiques de fringues ne sont pas vraiment ma priorité. Il faudrait déjà que je teste tous les supermarchés, puis peut-être la boulangerie et quelques restaurants.
L'"AMIE" : En fait c'est vraiment rare. Plus j'y pense, plus la plupart des trucs un tantinet originaux sont forcément tape à l'œil, voir vulgaires, ou susceptibles de provoquer des crises d'épilepsie.
PRALINE : Je ne suis même pas encore passée à la pharmacie. D'ailleurs, je te déconseille vivement de renverser ton café. Parce que si jamais tu te brûles, je n'aurai pas de Biafine à te proposer.
L'"AMIE" : Il est très bon ce café. C'est vrai que je n'en bois quasiment jamais. Pourtant j'aime bien. C'est juste que je préfère le thé.
PRALINE : Oui, encore désolée de ne pas en avoir à te proposer. Je n'en bois pas, et je n'ai pas encore tout le nécessaire pour moi, alors faire des courses exprès pour les invités potentiels, forcément... Et puis je ne savais même pas que tu allais venir.
L'"AMIE" : On n'habite vraiment pas loin l'une de l'autre, maintenant. C'est vraiment chouette, on pourra se parler plus souvent. Et j'étais vraiment impatiente de voir ton nouvel appartement. Alors je ne me suis dit "Pourquoi pas passer et lui faire une petite surprise ?".
PRALINE : Oui, tu as bien fait. D'ailleurs, tu ne m'as pas encore raconté tout ce qu'il s'est passé depuis la dernière fois. Quoi de nouveau dans ta vie ?
L'"AMIE" : Ah mais oui c'est vrai ! Je ne t'ai pas encore présenté Myrtille. Attends, j'ai des photos sur mon téléphone.
PRALINE : Myrtille, qui est...
L'"AMIE" : Mon hamster ! Elle est vraiment trop trop mimi. Tiens, regarde.
PRALINE : Oh, tu sais, moi, les rongeurs... En fait pour tout te dire, ça me fait carrément peur.
L'"AMIE" : Ah mais non, il ne faut pas avoir peur. Tu verras, quand ce sera toi qui viendra chez moi, tu pourras la caresser. Tu verras qu'il n'y a vraiment rien à craindre. En fait ça a été un vrai coup de cœur. Je suis entré dans l'animalerie acheter un jouet pour chien pour l'anniversaire de celui de mon frère, et je me suis trompée de rayon. C'est comme ça que j'ai vu Myrtille. Et j'ai eu besoin de la ramener avec moi. Pourtant, tu me connais, en général je ne suis pas du genre à prendre des décisions sur un coup de tête.
PRALINE : C'est vrai que quand t'as dû choisir tes options en dernière année, ça a été une vraie crise existentielle.
L'"AMIE" : Oui, mais même sans que ce soit aussi important que ça. Même pour les trucs comme le thé par exemple. Raison de plus pour laquelle je devrais me mettre au café : beaucoup moins de temps perdu à choisir les parfums. Mais quand même ça fait partie du charme de la chose. C'est un peu comme une collection. J'ai découvert une nouvelle boutique absolument fabuleuse. C'est juste à côté de notre ancienne école. Que des thés, de tous les parfums et avec des sachets à motifs ou avec des messages motivationnels. Et aussi des petits accessoires pour le thé. Un vrai régal.
PRALINE : Sauf pour ceux qui n'aiment pas le thé.
L'"AMIE" : Forcément. Quoi que, rien que pour les yeux... Oh mais je ne t'ai pas dit aussi, je vais devoir porter des lunettes ! J'ai eu un rendez-vous avant-hier, et l'ophtalmo m'a annoncé la nouvelle. Pourtant, j'ai toujours eu une vue excellente. Et je n'ai pas du tout une tête à lunettes.
PRALINE : Myrtille risque de ne plus te reconnaître.
L'"AMIE" : En fait je voulais des lentilles. Mais quand je suis allé chez l'opticien, il m'a sorti que j'aurais dû demander une ordonnance spécifique à l'ophtalmo si je voulais des lentilles. Du coup, obligée de porter des lunettes. Mais elles me faisaient toutes une tête hideuse. Il va encore falloir que je cherche, jusqu'à en trouver des à peu près potable. Encore un temps monumental de perdu, pour un résultat qui de toute façon ne me satisfera pas.
PRALINE : Tant de temps libre en moins pour choisir des parfums et des coloris de thé !
L'"AMIE" : Mais c'est vrai que t'as des lunettes toi. Depuis quand ?
PRALINE : J'ai toujours eu des lunettes. Je les portais seulement en cours à l'époque, mais je les avais déjà. Tu m'as forcément déjà vue avec.
L'"AMIE" : Oui, peut-être, probablement. Mais il y a de plus en plus de monde qui en porte. En fait, je crois que je connais plus de gens qui portent des lunettes que de gens qui n'en portent pas. Mais je pensais avoir été épargnée.
PRALINE : Oh, mais c'est loin d'être une malédiction. Penses-y juste comme à un nouvel accessoire pour affirmer ton style.
L'"AMIE" : Mais moi j'aime changer de style en fonction de mon humeur du jour. Et les lunettes seront un frein à ça. En plus, va trouver des lunettes qui vont avec tout ce que tu portes. Même quand ça matche côté couleur, il y a le côté style qui bug. Non, franchement, tu n'arriveras pas à me convaincre que les lunettes c'est chouette. Même pas la peine d'essayer.
PRALINE : Et toi tu n'arriveras pas à me convaincre que les hamsters c'est chouette. Même pas la peine d'essayer.
L'"AMIE" : Mais si, franchement ! Myrtille est irrésistible. L'autre jour, je suis rentrée j'ai vu un dessin dans le sable de sa cage ; c'était un cœur. Bien sûr je sais qu'elle ne l'a pas fait exprès et que c'est juste un hasard ou quoi. Mais c'était quand même vraiment trognon.
PRALINE : Oh mais j'ai oublié de te proposer des cookies. J'en ai fait ce week-end et il en reste encore plein. Ils ont une sale tête un peu, mais ils sont bons quand même. Enfin, moi je les ai trouvés bons.
L'"AMIE" : Ah mais oui, avec plaisir, merci. Je me demande si Myrtille aimerait les cookies.
PRALINE : Je me demande si le thé et les magasins de fringue aimeraient les cookies.
L'"AMIE" : Quoi ?
PRALINE : Non rien, c'était une blague. C'est juste que c'est étrange de se revoir. Le temps a passé mine de rien. Et au final je ne sais même plus vraiment qui tu es ou de quoi parler.
L'"AMIE" : Moi, je trouve que tu n'as pas du tout changé.
PRALINE : Sauf que maintenant j'ai des lunettes.
L'"AMIE" : Mais tu ne viens pas de dire que t'avais déjà des lunettes à la fac ?
PRALINE : Si, si, laisse tomber. C'était encore une blague.
L'"AMIE" : Ouais, tu n'as vraiment pas changé. Déjà à l'époque je ne captais pas la moitié de ce que tu racontais.
PRALINE : Et pourtant tu continuais de me parler.
L'"AMIE" : Mais bien sûr ! Je t'adorais ! Je t'adore toujours bien sûr. T'as quelque chose d'un personnage. Un peu étrange avec une partie qu'on ne pige pas tout à fait mais un charme certain et unique. Tellement tellement rigolote.
PRALINE : En fait, je suis un peu comme le tableau d'art abstrait qu'on accroche dans son salon.
L'"AMIE" : Ouais, c'est un peu ça. Tout à fait. Toujours l'expression qui convient, le moyen de mettre en mot ce qu'on ne parvient pas à décrire.
PRALINE : Myrtille ne pourrait pas rivaliser avec ça !
L'"AMIE" : Tu sais que, l'autre jour, je me suis amusée à lui faire répondre à des devinettes ? Je sais c'est complètement stupide, mais je trouvais ça drôle. Je lui ai expliqué qu'il fallait se déplacer d'un côté de la cage pour "oui" et de l'autre pour "non" et je lui ai posé des questions.
PRALINE : Ah ça c'est amusant ! Presque une idée que j'aurais pu avoir. Enfin, si j'aimais les hamsters. Et alors ? Cinquante pourcent de bonne réponse et cinquante de mauvaises, je parie.
L'"AMIE" : Non, elle a eu soixante-quinze pourcent de bonnes réponses !
PRALINE : Mais ça, c'est parce que tu ne lui as posé que quatre questions.
L'"AMIE" : Quoi ? Non, je lui en ai posé huit.
PRALINE : Et à part poser des questions à ton hamster, tu fais quoi maintenant ?
L'"AMIE" : Bah, toujours dans la même boîte. Je commence à en avoir marre. Pas assez de taff, toujours la même chose. En plus, mes collègues ont des conversations complètement inintéressantes, et je dois passer la journée à faire semblant que j'en ai quelque chose à faire.
PRALINE : Je comprends cette sensation.
L'"AMIE" : Ah ouais ? Toi aussi ça ne se passe pas bien au travail ?
PRALINE : Si, super bien. Mes collègues ne sont pas nombreux, mais ils sont hyper compétents et on est une petite équipe soudée. En plus, on s'entend bien. Pas de là à se faire des confidences ou quoi ; on parle surtout du travail en fait. Mais je préfère autant que ce soit comme ça.
L'"AMIE" : Je n'aurais jamais pensé être d'accord avec ça, mais quand je regarde mon quotidien, je me dis qu'au final ce ne serait pas plus mal. Au moins je ne me sentirais pas hypocrite. Tu sais que je peux te réciter tous les cadeaux de noël que mes collègues ont acheté à leurs proches ? Je sais même ce qu'ils vont faire le soir au dîner et quels produits ils utilisent pour laver leur linge.
PRALINE : Des fois je me demande si on n'est pas tous un peu hypocrites comme ça. En vrai, c'est carrément impossible de dire à quelqu'un "Désolée, mais je n'en ai strictement rien à fiche de ce que tu racontes". Tu peux le sous-entendre délicatement, ou essayer de le faire comprendre. Mais si les gens ne veulent pas l'entendre, il n'y a pas grand chose que tu puisses faire, et ils continueront de parler. Même si tu ne montres aucun signe d'intérêt ils continuent et tu as l'impression que tu as fait semblant et tu te sens hypocrite, alors que tu n'as même pas fait semblant ; juste tu t'es retenue de les envoyer bouler.
L'"AMIE" : C'est complètement ça.
PRALINE : En vrai, ça me fait de la peine. Parce que ce n'est pas que les gens sont inintéressants. Ils ont plein de conversations potentiellement riches en eux, mais pour les trouver il faut creuser creuser et insister. Tout est bien enfoui sous des kilomètres de listes de courses de Noël. A croire qu'ils pensent vraiment que ça nous intéresse plus que leurs ressentis ou vécus réels, tous ces détails du quotidien.
L'"AMIE" : Mouais. Si tu connaissais mes collègues, tu ne dirais pas ça. Je ne suis pas sûre qu'il y ait grand chose d'intéressant sous les kilos de détails du quotidien.
PRALINE : Mais si, tout le monde a forcément des vécus dignes d'intérêt. Même s'ils n'ont pas conscience que ça a de l'intérêt. Ils vont juste te raconter des anecdotes au hasard, et ta mission c'est de rebondir sur l'histoire qui contient un petit élément qui pique ton intérêt. De rebondir là dessus et d'insister et de creuser jusqu'à pouvoir extraire quelque chose de vrai.
L'"AMIE" : Ah mais ça me rappelle que je ne t'ai pas parlé de mon voyage en Californie. Il y avait un petit village type far-west où on pouvait jouer au chercheur d'or. Ils en répandaient quelques grammes dans la rivière tous les matins. Il fallait payer pour entrer et avoir le droit de chercher bien sûr ; mais tout le monde ne trouvait pas quelque chose. Moi, j'ai eu cette chance là. C'était vraiment une minuscule pépite, mais une expérience très amusante.
PRALINE : C'est quoi exactement dans notre conversation, qui t'a rappelé ça ?
L'"AMIE" : Bah "creuser jusqu'à pouvoir extraire quelque chose de vrai".
PRALINE : Ah oui, forcément. C'est vrai que c'est un peu l'image derrière.
L'"AMIE" : Par contre j'ai fait beaucoup trop de shopping là bas, c'était une catastrophe. Ça ne rentrait même plus dans ma valise. En même temps, ça m'a donné une excuse pour en acheter une deuxième, parce qu'il y avait une bagagerie qui faisait des petites valises vraiment adorables.
PRALINE : Aussi adorables que les emballages de thé de ta boutique ?
L'"AMIE" : Tu rigoles mais c'était un peu le même style. Sauf que le bagage supplémentaire, à l'aéroport, ça m'a coûté bonbon. Bonjour l'arnaque.
PRALINE : Et ça, Mesdames et Messieurs, c'était exactement l'inverse de "creuser jusqu'à pouvoir extraire quelque chose de vrai".
L'"AMIE" : Payer le supplément bagages ? C'est clair que ce n'est pas la pépite d'or qui va compenser cette perte. Mais bon, je ne fais pas des voyages si souvent, il faut savoir se faire plaisir aussi. D'ailleurs, c'est de là bas que viens cette robe que je porte. C'est une de mes préférées je crois. Un peu le style de la boutique d'en bas : originale mais classe. Encore plus une pépite que la pépite d'or en fait.
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