Appartement 9 : Un skype chez Flavie

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FLAVIE : Bonjour Maman. Bonjour Papa.

LES PARENTS : Bonjour Flavie !

FLAVIE : Pourquoi je ne vous vois pas ?

LES PARENTS : En tout cas, nous, on te voit. Tu as une petite mine.

FLAVIE : N'importe quoi. Appuyez sur le petit bouton caméra.

LES PARENTS : On a appuyé.

FLAVIE : C'est bon, je vous vois maintenant.

LE PERE : Et nous on te voit toujours avec une petite mine.

FLAVIE : Maman n'est pas là ?

LE PERE : Elle vient de partir ; le four a sonné.

FLAVIE : Comment vous allez ?

LE PERE : Mieux que toi, visiblement.

FLAVIE : Mais je vais très bien ; qu'est-ce qui vous prend ?

LE PERE : Je savais qu'on n'aurait jamais dû te laisser partir suivre tes études seule à Paris. C'est beaucoup trop pour toi. Entre les cours et le fait de vivre seule. Beaucoup trop pour une jeune fille de dix-huit ans à peine. Mais tu sais, si c'est trop dur, tu peux rentrer. On trouvera une solution.

FLAVIE : Mais arrête papa ! Tout se passe très bien. On n'a même pas encore de devoirs à faire pour les cours, et le niveau semble abordable. Quand au fait de vivre seule, je pense que je ne me débrouille pas trop mal.

LE PERE : On ne trompe pas ses parents comme ça. Tu as des cernes et le teint tout pâle.

FLAVIE : Je ne suis pas maquillée, c'est tout.

LE PERE : Arrêter de prendre soin de soi, c'est un des symptômes de la dépression, non ?

FLAVIE : On est dimanche matin, et je n'ai rien prévu aujourd'hui à part rester chez moi tranquillement. Je ne vois pas pourquoi je me maquillerais.

LE PERE : Tu vas rester chez toi toute seule toute la journée ? Trop de travail pour pouvoir sortir, c'est ça ?

FLAVIE : Mais non, je viens de te dire qu'on n'avait pas encore de devoirs.

LE PERE : Trop de cours à mettre au propre et réviser ?

FLAVIE : Mais non. Rien du tout. Avec l'ordinateur c'est impeccable. Je prends mes notes directement et j'ai le temps pendant les cours de les réorganiser et même de mettre en gras ce qui est important.

LE PERE : Tu veux dire que cette formation est nulle ? Le contenu est trop léger ? C'est trop facile ? Si ce n'est pas intéressant, si tu n'apprends rien, il est encore temps de changer d'école.

FLAVIE : Mais tu arrêtes de tout dramatiser ? Les cours sont très intéressants. Il y a beaucoup de contenu, c'est juste que certains ont plus de mal à comprendre que d'autres. Je m'en sors vraiment bien, je pige tout du premier coup. Alors pendant que les profs réexpliquent aux autres, ou ajoutent des exemples pour développer, je peux réorganiser mes notes.

LE PERE : Pourquoi tu restes chez toi alors ? Tu vas faire quoi ?

FLAVIE : J'ai juste envie de passer la journée à ne rien faire et regarder des séries.

LE PERE : Voilà, je le savais ! Ça ne va pas du tout. Envie de rien, manque de motivation, encore des signes de dépression ! Tu ne voudrais pas consulter ? Il-y-a un psy dans ton école au moins ?

FLAVIE : Mais je ne suis pas en dépression, ni submergée par le travail, ni rien. Je suis heureuse. Est-ce que c'est si difficile à croire ?

LE PERE : Avec cette tête là ? Oui. Une jeune fille de dix-huit ans heureuse ne reste pas le dimanche sur son canapé à regarder des séries sans maquillage et le teint fade.

FLAVIE : Je suis quasiment certaine que c'est ce que font une grande partie des filles de mon âge pourtant. Tu voudrais que je fasse quoi de toute façon ?

LE PERE : Tu pourrais sortir avec tes amis, t'amuser.

FLAVIE : Mais je n'ai pas d'amis. Je viens d'arriver. Les cours ont commencé depuis seulement trois jours.

LE PERE : Pas de ressources sociales, pas d'amis. C'est vraiment très embêtant ça ; un vrai facteur de risque. Si tu n'arrives pas à te faire des amis ici, cet endroit ne sera pas bon pour toi. Tu ne me feras pas croire que tu peux t'accommoder de cette situation et être heureuse ainsi.

FLAVIE : Mais laisse-moi le temps, Papa. La seule chose qui m'empêche d'être heureuse, à cet instant précis, c'est mon père qui me met la pression. Je viens d'arriver, j'ai encore tout le temps de me faire des amis.

LE PERE : Tu ne veux pas rejoindre un club ? Faire une activité ? Aller visiter un musée ?

FLAVIE : Tu crois vraiment qu'en visitant un musée on se fait des amis ?

LE PERE : C'était juste un exemple. Tu as la chance d'être à Paris, profites-en pour découvrir la ville. Sinon, tu regretteras toute ta vie d'avoir laissé passer une pareille occasion sans en profiter pleinement.

FLAVIE : Encore une fois, c'est mon premier week-end ici. J'ai le droit d'en profiter comme je l'entends ?

LE PERE : J'ai le droit de trouver ça inquiétant ?

FLAVIE : Non, tu n'as pas le droit. Je me sens jugée. Tu me fais me sentir mal. J'étais très bien pourtant.

LE PERE : Tu ne peux pas te permettre de te laisser aller. Il n'y a personne ici pour te relever si tu te laisses sombrer.

FLAVIE : Mais je ne sombre pas ! Ni dans la dépression ni nulle part ! J'ai envie de me laisser aller oui ! De me reposer, de me détendre, de mettre en pause après tout les changements et les évènements. Je fais ça pour mon bonheur justement ! Je pense que je suis encore la mieux placée pour savoir ce qui est susceptible de me rendre heureuse.

LE PERE : Et tu crois que quitter ta famille est ce qui peut te rendre heureuse ?

FLAVIE : Peut-être oui. Ce n'est pas contre vous, Papa. Mais vous ne vous rendez pas compte. Vous voulez mon bien je sais ; mais j'ai besoin de faire mes propres choix, même des erreurs s'il le faut. De me sentir indépendante ; responsable de mon existence.

LE PERE : Refuser l'aide et le soutien de ceux qui nous aiment n'a jamais été la définition de la liberté.

FLAVIE : Et pouvoir définir le bonheur à sa façon ?

LE PERE : Je ne crois pas non-plus que ce soit la définition.

FLAVIE : C'est la mienne en tout cas. Vous me mettez beaucoup trop la pression. La pression pour être heureuse ! Vous ne vous rendez même pas compte du non-sens que c'est.

LE PERE : Tu nous reproches de vouloir ton bonheur ?

FLAVIE : De le vouloir trop fort, oui. D'une certaine manière, oui. Ce n'est pas d'aller au musée ou de me faire des amis dès aujourd'hui qui me rendra heureuse. C'est de savoir que je suis responsable de ma vie et que je vais pouvoir faire des choix en ne prenant en compte que moi.

LE PERE : L'égoïsme n'a jamais rendu personne heureux.

FLAVIE : Tout de suite ! Je n'ai jamais dit que j'allais être égoïste.

LE PERE : Si, c'est exactement ce que tu viens de dire. Tu as dit que tu allais faire des choix en ne prenant en compte que toi, et c'est exactement la définition de l'égoïsme.

FLAVIE : Ce n'est pas ce que je voulais dire. Bien sûr que je prends en compte les autres ; l'impact de mes actions sur eux. Mais pas leurs attentes. Ça ne fait pas partie de mes devoirs que de remplir vos attentes, ou celles de qui que ce soit.

LE PERE : Si tu prenais en compte l'impact de tes actions sur les autres, tu ne serais jamais partie.

FLAVIE : Pourquoi tu dis ça ?

LE PERE : Tu crois que ça n'a pas fait de mal à ta maman ? Bien sûr, les enfants grandissent et doivent partir un jour. Mais pas maintenant, c'était beaucoup trop tôt. Tu pouvais parfaitement rester. Mais tu as préféré t'éloigner. Et elle a l'impression d'avoir raté quelque chose, fait quelque chose de mal pour que tu veuilles la quitter.

FLAVIE : Tu parles pour elle ou pour toi, là ?

LE PERE : Pour nous deux. Mais elle est beaucoup moins forte que moi, c'est beaucoup plus dur à vivre pour elle.

FLAVIE : J'avais besoin de sortir du cocon que vous m'avez créé, de me mettre en difficulté, d'être seule pour me construire d'après mes propres désirs et pas d'après vos attentes. Ce n'est pas contre vous. Et je ne sais pas si c'est trop tôt ou pas, je suppose que chaque être humain a des besoins différents ou juste un rythme différent. J'en ai ressenti le besoin ; donc c'est que c'était le bon moment pour moi.

LE PERE : Tout ce que je dis, c'est que si jamais ça se passe mal, si jamais tu réalises que c'était une erreur, tu auras toujours ta place parmi nous. Et pour tes études, on trouvera une solution. Mais ne te laisse pas enfermer par ta fierté.

FLAVIE : Ce n'est pas de la fierté. Je suis véritablement contente d'être là.

LE PERE : Mais si un jour ce n'est plus le cas...

FLAVIE : Je vous le dirai, oui. Pourquoi je mentirais ?

LE PERE : Par fierté justement.

FLAVIE : Mais tu me prends pour qui ?

LE PERE : Une petite fille qui veut grandir trop vite. Qui croit déjà être grande. Qui ne veut plus qu'on la voit comme une petite fille ; qui ne veut plus se voir comme une petite fille. Qui serait prête à tout pour se créer une nouvelle image et la maintenir, pour se dissocier de sa famille et s'affirmer.

FLAVIE : Comme un être humain normal, quoi.

LE PERE : C'est justement parce qu'il s'agit du développement normal, d'une histoire répétée mille et mille fois, que l'on connaît les erreurs à ne pas commettre.

FLAVIE : Il faut vraiment que tu arrêtes de regarder les émissions de psycho à la télé, Papa.

LE PERE : Tu es une adolescente, Flavie. Tu as beau te croire adulte, tu n'es qu'une adolescente.

FLAVIE : Et la plupart des adolescents deviennent des adultes très sains.

LE PERE : Plus je regarde les gens autour de moi, plus j'ose en douter.

FLAVIE : Tu es sûr que ce n'est pas plutôt toi qui aurait des tendances à la dépression ?

LE PERE : Je ne te permets pas !

FLAVIE : Ce n'est pas une insulte.

LE PERE : Non ; juste un moyen de me décrédibiliser.

FLAVIE : Tu es sûr que ça va, Papa ?

LE PERE : Bien sûr que ça va. A part que tu nous manques. Et que ta mère est depuis beaucoup trop longtemps dans la cuisine ; je n'ose pas imaginer ce qui a pu se passer avec ce plat.

FLAVIE : Je ne voulais pas te faire du mal. Vous me manquez aussi. Mais j'ai besoin de grandir ; c'est tout. Je sais que c'est dur à accepter. Mais c'est peut-être justement parce que vous avez été de bons parents que j'en suis là aujourd'hui.

LE PERE : Beaucoup trop douée pour amadouer les gens ma Flavie. N'utilise pas ces talents pour le mal, s'il te plait.

FLAVIE : Ce n'est pas parce que je suis loin de vous que je vais perdre toutes les valeurs que vous m'avez transmises, ne t'inquiète pas.

LE PERE : Ça reste à voir.

FLAVIE : Fais-moi confiance un petit peu.

LE PERE : Je te fais confiance, ma puce. Mais pas complètement non plus. Si tu étais capable de tout gérer toute seule, on ne servirait plus à rien.

FLAVIE : Et peut-être que c'est ça qui est difficile à admettre.

LE PERE : Tu as besoin de nous ; tu t'en rendras compte bien assez tôt.

FLAVIE : Mais, oui, j'ai besoin de vous. Pas aujourd'hui ; mais le jour où il faudra faire mes impôts ou préparer un gigot, je vous appellerais au secours.

LE PERE : Tu pourrais appeler Google au secours, pour ce genre de choses.

FLAVIE : Mais ça ne lui ferait pas aussi plaisir qu'à vous.

LE PERE : J'ose espérer qu'on peut encore t'apporter des choses que Google ne pourrait pas t'apporter. J'ose espérer qu'un parent est autre chose qu'un manuel de vie pratique. C'est pour ça que j'essaye de te conseiller sur ta vie, que je m'inquiète de comment tu vas et de la personne que tu deviens.

FLAVIE : Oui, bon, si tu veux. Tu peux t'en soucier bien sûr, mais ne me met pas la pression s'il te plait.

LE PERE : Ta mère a fait cramer le poulet.

FLAVIE : Ça doit être parce qu'elle était trop perturbée par mon départ.

LE PERE : Tu trouves ça drôle ?

FLAVIE : Bah oui, c'est mignon. Ça fait plaisir de se sentir aimée.

LE PERE : Tu avais besoin de partir pour réaliser que l'on t'aime ?

FLAVIE : Non, bien sûr, je le savais. Mais ça fait plaisir quand même de voir votre attitude. C'est énervant, mais je sais que c'est parce que vous tenez à moi, alors ça fait plaisir quand même.

LE PERE : Elle te rappellera cet après-midi, je pense. De toute façon, tu restes chez toi à ne rien faire.

FLAVIE : Je ne fais pas rien. Je réfléchis à la personne que je vais devenir.

LE PERE : En regardant des séries ? Mais bien sûr.

FLAVIE : Pourtant, c'est vrai.

LE PERE : Il y a vraiment des choses que je ne pourrais jamais comprendre.

FLAVIE : Je le sais bien, Papa. Mais je t'aime quand même.

LE PERE : Moi aussi je t'aime.

FLAVIE : Bah bon appétit !

LE PERE : Ça va être une bonne salade oui. Le poulet est irrécupérable.

FLAVIE : Bonne salade alors. A bientôt.

LE PERE : N'oublie pas de manger, toi.

FLAVIE : Mais oui Papa, ne t'inquiète pas. Bisous.

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