Appartement 7 : Soirée entre mecs chez Lionel

9 minutes de lecture

LIONEL : Toutes ces bières pour une seule soirée ? Tu sais que je n'ai invité personne d'autre que toi ?

M. RAVIL : Je ne trouve pas qu'il y en ait tant que ça.

LIONEL : C'est parce que tu oublies de compter celles que j'avais achetées moi.

M. RAVIL : Le match commence à quelle heure ?

LIONEL : Dans deux bières et demi, je dirais.

M. RAVIL : Tu as fait quoi de Victoria ?

LIONEL : Elle passe la soirée avec des amies.

M. RAVIL : Ça tombait bien.

LIONEL : Pas vraiment, non. Disons que je lui ai un peu forcé la main pour qu'elle y aille. Ses amies font une soirée films mélo, et Vicky n'aime pas vraiment ça. Pas assez recherché pour elle. Mais bon, on va dire qu'elle préfère encore les films mélos au foot.

M. RAVIL : On la connaît ta Vicky. Toujours des goûts un peu snobs : l'excellence ou sinon rien.

LIONEL : C'est d'ailleurs pour ça qu'elle m'a choisi moi.

M. RAVIL : Tu es excellent pour dire des conneries ; ça, il n'y a pas à en douter. Il est pour quand le mariage ?

LIONEL : On n'a pas encore fixé de date. Probablement quand ton fils fêtera sa majorité ; on pourra faire une fête commune si ça te dit.

M. RAVIL : Tu sais que Nicolas n'a même pas encore six mois ?

LIONEL : Ça laissera juste assez de temps à Vicky pour trouver la salle de réception parfaite et le meilleur traiteur de la région.

M. RAVIL : Ou un meilleur mari.

LIONEL : En fait, je suis mauvaise langue. Je suis sûr qu'elle s'en fiche de la fête parfaite. Je l'emmènerais à la mairie, là, demain après-midi, qu'elle serait heureuse. Mais c'est important pour sa famille, et elle n'a pas envie de les décevoir.

M. RAVIL : Ça va bien, Lionel ? Tu ne rigoles même pas à mes blagues.

LIONEL : Ça doit être parce que je n'ai pas encore assez bu.

M. RAVIL : Rien à voir avec Nicolas.

LIONEL : Tu donnes de la bière à ton fils ?

M. RAVIL : Non, bien sûr que non. Mais son lait, il le sirote à une vitesse affolante.

LIONEL : C'est toi qui ne rigoles pas à mes blagues.

M. RAVIL : Hein ?

LIONEL : Je sais bien que tu ne donnes pas de bière à ton fils ; tu aurais pu sourire. Mais en fait, je crois que tu as raison. Ça ne va pas très fort en ce moment. Tu crois que je fais une erreur ?

M. RAVIL : En choisissant cette bière là ? Oui.

LIONEL : Avec Vicky, je veux dire. Peut-être que je n'aurais pas dû la demander en mariage.

M. RAVIL : Pourquoi ? Tu as rencontré quelqu'un d'autre ?

LIONEL : N'importe quoi ! Non, bien sûr que non. Qui j'aurais pu rencontrer de mieux qu'elle ?

M. RAVIL : Je pourrais t'en citer pas mal.

LIONEL : Qui j'aurais pu rencontrer de mieux qu'elle et qui veuille de moi ?

M. RAVIL : Ah, personne.

LIONEL : Toi, t'es vraiment un pote.

M. RAVIL : Ce n'est peut-être pas très sympa, mais c'est vrai. T'es pas vraiment une gravure de mode, et Victoria c'est une femme vraiment magnifique. Tu as de la chance d'être avec elle.

LIONEL : Des fois j'aimerais qu'elle soit un peu moins belle. Dès que je parle d'elle avec qui que ce soit on dirait que je ne peux rien dire : que comme elle est sublime je n'ai le droit de me plaindre de rien, que je ne peux qu'être heureux. C'est ridicule.

M. RAVIL : Je suis sûr que si ma femme était aussi belle que la tienne, je supporterais un peu mieux ses côtés chiants.

LIONEL : Elle n'est pas chiante Vicky, ce n'est pas vraiment le mot. C'est juste que, des fois, on n'est vraiment pas sur la même longueur d'ondes. Elle ne comprend pas ce qui est important pour moi. Enfin si, elle sait que c'est important pour moi ; mais elle ne l'accepte pas vraiment. Enfin, si, elle l'accepte ; mais elle ne trouve pas ça justifié. Du coup, ça la rend chiante. Tu vois ce que je veux dire ?

M. RAVIL : Pas du tout.

LIONEL : Par exemple, la semaine dernière j'ai été contacté par une boîte, pour un super poste. Je ferais la même chose que maintenant, à peu près, mais deux fois mieux payé. Sauf qu'il y aurait des déplacements ; beaucoup de déplacements. Et quand j'en parle à Vicky, elle semble déçue ne serait-ce que du fait que je puisse l'envisager. Alors qu'un poste pareil, dans une boîte si renommée, c'est un peu la chance de toute une vie. Elle dit qu'elle s'en fiche de l'argent, et que je dois réfléchir si c'est vraiment la vie que je veux. Tout ce que je vois, c'est que ce n'est pas la vie qu'elle veut elle. Et je pourrais le comprendre. Mais je devrais au moins avoir le droit de l'envisager.

M. RAVIL : Moi ça ne me ferait pas de mal un petit déplacement ; ça serait un peu des vacances.

LIONEL : Il y a une différence entre un petit déplacement de temps en temps et n'être à la maison quasiment que les week-ends. Mais peut-être que c'est la vie que je veux, au moins pendant un temps. Pas forcément pour toujours. Mais nous on n'a pas d'enfants, alors on pourrait se le permettre.

M. RAVIL : Tu auras toute la vie pour passer du temps avec Victoria.

LIONEL : Alors que ce genre de chance, ça ne se représente pas deux fois. Sauf qu'à ses yeux ça n'a rien d'une chance. Ce n'est même pas qu'elle veut me garder pour elle. Si c'était ça encore, je pourrais le comprendre ; ce serait touchant. Mais non, c'est simplement qu'à ses yeux c'est juste une évidence que le rythme de vie et l'équilibre vie-pro/vie-perso sont plus importants que l'argent et la renommée d'une boîte. Mais ce n'est pas du tout une évidence.

M. RAVIL : Si j'avais une femme aussi belle que la tienne, je crois quand même qu'il faudrait me payer beaucoup pour que je parte loin d'elle.

LIONEL : Sérieusement ? Il faut arrêter. Je vais commencer à m'inquiéter que tu veuilles voler ma fiancée.

M. RAVIL : C'est justement ce que je dis ; que tu devrais t'inquiéter que quelqu'un ne te la vole si tu la laisses seule.

LIONEL : On voit à quel point tu la connais mal. Être belle ne rend pas infidèle.

M. RAVIL : Mais ça augmente le nombre d'occasions de l'être.

LIONEL : Ça change rien d'avoir des occasions ou pas, si on n'a pas envie de les saisir.

M. RAVIL : Et qu'est-ce qui te dit qu'elle n'en aura pas envie ?

LIONEL : Tu as peur que ta femme te trompe, toi ?

M. RAVIL : Non ; elle m'aime beaucoup trop pour ça. Et puis maintenant c'est une maman, alors je crois bien que tout ça est bien loin de ses préoccupations.

LIONEL : Mais pas des tiennes.

M. RAVIL : Je reste un mec. Et quand je vois une jolie femme passer, j'ai le droit de l'admirer. Oui, je peux m'imaginer un instant ce que ça serait d'être avec elle. Ça ne veut pas dire que c'est ce que je veux. Mais j'ai un enfant. Tu y crois ça ? Moi, je suis un père. La blague. Ça semble tellement adulte et sérieux. Alors c'est plaisant de s'imaginer un instant plus jeune, plus libre, plus insouciant. Imaginer une vie où toutes les possibilités sont possibles.

LIONEL : Je te prierais de ne pas t'imaginer avec ma fiancée ; même juste un instant.

M. RAVIL : En plus, j'ai un bébé ; l'arme de séduction ultime.

LIONEL : Arrêtes de me charrier. Ce n'est pas drôle du tout.

M. RAVIL : Oh, ça va. Tu pourrais être flatté.

LIONEL : Je trouve ça insultant autant pour moi que pour Vicky. Sans parler de ta femme.

M. RAVIL : Bah, passons à un autre sujet alors, vu qu'on n'a pas le droit de mentionner la beauté de ta fiancée. Les billets que je t'ai offerts ; tu y es allé ?

LIONEL : Vicky est venue voir le match avec moi. Monumentale erreur. Elle s'ennuyait comme un rat mort. J'ai failli lui demander de partir parce qu'elle plombait l'ambiance.

M. RAVIL : Quel dommage que je n'aie pas pu venir avec toi !

LIONEL : Tu veux dire quel dommage que ta femme ait été en train d'accoucher ?

M. RAVIL : Dès que je regarderais Nicolas, je penserais au spectacle que j'ai loupé à cause de sa naissance.

LIONEL : Ça, c'est beaucoup plus drôle que d'imaginer ma fiancée infidèle.

M. RAVIL : Il est mignon, c'est sûr ; mais il sera plus intéressant le jour où il sera capable de shooter dans un ballon.

LIONEL : Ce n'est pas parce que j'ai rigolé que tu es obligé de continuer à dire du mal de ton fils.

M. RAVIL : C'est vrai quand même. A part manger et pleurer, il ne fait pas grand chose. Heureusement qu'il a le pouvoir magique de faire sourire n'importe qui qui le regarde.

LIONEL : Il va grandir.

M. RAVIL : Et le match va commencer.

LIONEL : Tu te souviens comment on s'est rencontrés tous les deux ?

M. RAVIL : Comment oublier ? T'es venu m'engueuler de gueuler comme un malade, et quand je t'ai ouvert la porte et que t'as vu le score du match, tu t'es mis à gueuler avec moi.

LIONEL : Tu crois qu'aujourd'hui on va gueuler autant ?

M. RAVIL : Ça m'étonnerait. En plus, on risquerait de réveiller Nicolas.

LIONEL : Est-ce que, lui, quand lui il gueule, il s'inquiète de vous réveiller ?

M. RAVIL : Tu l'entends ? Pourtant, elle a coûté cher au proprio cette insonorisation des murs.

LIONEL : Mais non, je ne l'entends pas. C'est un bébé, alors en pariant qu'il gueule j'ai peu de chances de me tromper.

M. RAVIL : Ça n'en finit jamais, ces pubs.

LIONEL : N'empêche, elle est bien faite celle-là. Ça donnerait presque envie d'acheter ce gel-douche. Sauf que si Vicky apprend que j'ai acheté quoi que ce soit parce que la pub était sympa, le gel douche, elle me le fait avaler.

M. RAVIL : Mais qu'elle te laisse vivre un peu !

LIONEL : Oh, mais elle me laisse vivre. Je pourrais même acheter ce gel douche si je le voulais. J'ai le droit. J'aurais juste le droit en prime à une remarque cinglante.

M. RAVIL : Finalement c'est peut-être mieux de ne pas avoir de job mieux payé. Moins d'argent pour acheter des trucs, donc moins de remarques cinglantes.

LIONEL : Sauf que quand il s'agit de se faire plaisir en achetant de nouvelles chaussures, la société de consommation lui semble tout de suite moins être un monstre sans nom.

M. RAVIL : Société de consommation est un nom.

LIONEL : Tu vois très bien ce que je veux dire.

M. RAVIL : Que ta fiancée est chiante ; oui.

LIONEL : Mais non, pas à ce point. Elle place juste la barre trop haut, je crois. Pas trop haut, mais à côté. Avec ses critères à elles, qui ne sont pas forcément les miens. Ou si, peut-être qu'ils le sont. Peut-être qu'au fond elle a raison. Mais parfois j'aimerais juste ne pas réfléchir à tout tout le temps. Apprécier un match de foot, une publicité ou une rentrée d'argent sans culpabiliser.

M. RAVIL : Chiante donc.

LIONEL : Je suppose qu'elle déteste juste l'argent, la gloire et le prestige.

M. RAVIL : Elle déteste tout ce que les gens aiment. Ça explique peut-être pourquoi elle t'aime toi.

LIONEL : Tu me détestes ?

M. RAVIL : Non ; c'était une blague.

LIONEL : Je sais que c'était une blague. Je blaguais sur ta blague.

M. RAVIL : C'est trop compliqué pour moi.

LIONEL : Si ça c'est trop compliqué pour toi, je n'ai pas à m'inquiéter que tu me voles ma fiancée.

M. RAVIL : Je croyais qu'on n'avait pas le droit de plaisanter là dessus.

LIONEL : Bon, d'accord, ça peut être drôle, je l'admets. Mais de la façon dont toi tu le faisais, ça ne me faisait pas rire. Je ne sais pas ; ce n'est pas un morceau de viande. C'est un être humain. Et oui, elle est très belle. Mais ce n'est pas pour ça que je l'aime. Enfin ; pas seulement pour ça en tout cas.

M. RAVIL : Je n'ai jamais dit le contraire.

LIONEL : Je sais. Mais dans ta façon de parler d'elle ça le sous-entendait. Enfin pas toi spécifiquement, mais tout le monde un peu.

M. RAVIL : N'importe quoi. On voit surtout qu'elle t'apprend à te prendre la tête pour rien. Elle est belle : profite au lieu de culpabiliser.

LIONEL : On va déjà profiter de ce match ; maintenant qu'il commence pour de vrai.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire FleurDeRaviolle ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0