Appartement 8 : Des jouets chez Grace ONDI

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LE CACHALOT : Dis-moi, poney, pourquoi es-tu chauve ?

LE PONEY : Je ne m'appelle pas poney. Je suis un poney. Je m'appelle Lalila. Est-ce que, toi, je t'appelle baleine ?

LE CACHALOT : Je ne suis pas une baleine. Je suis un cachalot.

LE PONEY : Et bien, cachalot, je te demanderais de m'appeler par mon prénom et pas par ma catégorie. Des poneys, il y en a beaucoup ici. Moi, je suis Lalila. Et je suis le seul poney chauve. Un jour, une paire de ciseaux géante est arrivée dans le ciel et a coupé mes cheveux.

LE CACHALOT : Ne t'inquiète pas, ça repoussera.

LE PONEY : Ne dit pas n'importe quoi ! Je suis un jouet, pas un vrai poney ! Mes cheveux ne repousseront pas.

LE CACHALOT : Moi, je sais qui est la coupable.

LE PONEY : Qui ?

LE CACHALOT : C'est une poupée géante.

LE PONEY : Une poupée géante ?

LE CACHALOT : Oui. Je crois qu'elle s'appelle Grace. Parce que dès qu'une voix qui "Grace, viens ici" ou "Grace, fais-ci", la poupée part et fait ce qu'ordonne la voix. Mais, des fois, elle fait aussi des choses qu'aucune voix ne lui ordonne. Comme, par exemple, te couper les cheveux.

LE PONEY : Mais pourquoi elle ne m'a pas demandé pas mon avis ?

LE CACHALOT : Parce qu'elle non plus on ne lui demande pas son avis pour que ses cheveux soient coupés. Et parce que tu es un jouet : tu ne pourrais pas lui répondre.

LE PONEY : Je te parle bien, à toi.

LE CACHALOT : C'est parce que je suis un jouet moi aussi.

LE PONEY : Mais la poupée n'est pas un jouet, elle ?

LE CACHALOT : Non. Elle peut bouger pour de vrai. Elle peut parler pour de vrai. Et elle peut penser aussi.

LE PONEY : Elle a plus de chance que nous, alors.

LE CACHALOT : Oui.

LE PONEY : Dis-moi, cachalot, comment tu t'appelles ?

LE CACHALOT : La poupée ne m'a pas donné de nom.

LE PONEY : Et tu ne peux pas en choisir un ?

LE CACHALOT : Non, parce que c'est la poupée qui contrôle tout ce que je dis et pense. D'ailleurs, elle te contrôle toi aussi.

LE PONEY : Tu veux dire que même ce que je dis là, c'est la poupée qui le choisit ? Ce n'est pas vraiment moi ?

LE CACHALOT : Exactement. Tu crois que c'est toi. Mais c'est la poupée Grace qui choisit tout. C'est elle qui a toute la liberté et le pouvoir. Nous, on n'a rien du tout. On n'existe pas vraiment.

LE PONEY : La poupée Grace choisit tout pour nous, mais elle n'est pas toute-puissance. Elle doit quand-même obéir à la voix.

LE CACHALOT : Au secours ! La poupée Grace est en train de me remplacer par un papillon !

LE PONEY : Bonjour papillon.

LE PAPILLON : Bonjour, je suis l'esprit de Grace.

LE PONEY : Tu es la poupée ? Ou bien tu es toujours le cachalot ?

LE PAPILLON : Le cachalot n'existe plus. Il est dans cet horrible endroit appelé la poubelle. Il a remis en question mon autorité.

LE PONEY : Ce n'est pas moi qui ait remit en question ton autorité ?

LE PAPILLON : Si, mais c'était de sa faute.

LE PONEY : Pourquoi ?

LE PAPILLON : Parce que tu es plus jolie que lui ; alors c'est lui qui devait aller à la poubelle et pas toi.

LE PONEY : Pourquoi as-tu pris la forme d'un papillon ?

LE PAPILLON : Parce que j'avais besoin de me confier.

LE PONEY : Mais pourquoi sous la forme d'un papillon ?

LE PAPILLON : Parce que c'est le premier jouet qui m'est tombé sous la main.

LE PONEY : Tu n'es pas un peu grande pour jouer avec des jouets ?

LE PAPILLON : Je fais ce que je veux.

LE PONEY : Et ce que tu veux, c'est te confier à moi ?

LE PAPILLON : Oui Lalalère.

LE PONEY : Je m'appelle Lalila.

LE PAPILLON : Je le sais bien. Sinon, toi, tu ne le saurais pas.

LE PONEY : Pourquoi tu ne te confies pas à une personne réelle ?

LE PAPILLON : Parce que les personnes réelles ne savent pas garder les secrets.

LE PONEY : Et pourquoi c'est un secret ?

LE PAPILLON : Parce que je ne veux pas qu'on sache que je ne sais pas quoi faire.

LE PONEY : Par rapport à quoi ?

LE PAPILLON : Tu as déjà été amoureuse Lalila ?

LE PONEY : Oui. J'étais amoureuse du cachalot.

LE PAPILLON : Tu lui as dit que tu l'aimais ?

LE PONEY : Non.

LE PAPILLON : Je sais bien ce que c'est. C'est compliqué. On ne sait pas comment faire. On a peur de paraître ridicule. On veut qu'il comprenne mais en même temps qu'il ne soit pas sûr. Qu'il soit assez sûr pour nous répondre, mais que ce soit assez douteux pour toujours pouvoir dire "non, ce n'est pas ce que je voulais dire" si jamais, lui, il ne nous aime pas.

LE PONEY : Pas du tout. C'est juste que tu l'as jeté à la poubelle avant que je n'aie eu le temps de lui parler de mes sentiments.

LE PAPILLON : Et, si tu avais eu le temps, tu le lui aurais dit comment ?

LE PONEY : Certainement pas en collant des chewing-gum partout sur son passage en essayant de faire des formes de cœur.

LE PAPILLON : Comment tu sais ça ?

LE PONEY : Parce que c'est ton esprit qui me contrôle, poupée Grace. Donc j'y ai accès.

LE PAPILLON : Tu n'as pas répondu à ma question.

LE PONEY : Si, je viens de répondre.

LE PAPILLON : Pas cette question là ; l'autre.

LE PONEY : J'aurais déclaré mon amour au cachalot avec des mots.

LE PAPILLON : Tu lui aurais dit quoi ?

LE PONEY : Je pourrais te montrer, si tu le ramenais à la vie.

LE PAPILLON : Tu es une petite maligne, Lalila. Mais je n'ai pas le droit de fouiller dans les poubelles.

LE PONEY : Je croyais que, dans le monde des jouets, tu étais toute puissante.

LE PAPILLON : Oui, c'est vrai. Revoilà ton amour.

LE PONEY : Mon chéri !

GRACE : Non, Lalila. C'est de la triche. Tu n'aurais jamais déclaré ton amour en l'accueillant par un "Mon chéri !" sorti de nulle part si les circonstances n'avaient pas été si tragiques. Je le ramène seulement si on recommence à zéro. Mais sans tricher cette fois.

LE PONEY : D'accord, toute puissante Grace.

LE CACHALOT : Me revoilà, Lalila.

LE PONEY : Cachalot, est-ce que tu aimerais avoir un surnom, vu que tu ne peux pas avoir de prénom ?

LE CACHALOT : Oui, j'aimerais beaucoup.

LE PONEY : Alors je t'en donnerai un. Mais d'abord, il faudrait que je sache quelque chose.

LE CACHALOT : Quoi ?

LE PONEY : Est-ce que je suis encore au moins un peu jolie ?

LE CACHALOT : Mais bien sûr. Tu es très jolie Lalila.

LE PONEY : Même avec cette coupe de cheveux ?

LE CACHALOT : Oui, bien sûr. Tu n'es pas complètement chauve. Tu es moins jolie qu'avec les cheveux longs. Mais tu es encore très jolie. Et puis, ça repoussera.

LE PONEY : Je t'ai déjà expliqué que les cheveux d'un jouet ne repoussent pas.

LE CACHALOT : Mais ceux de Grace repousseront.

LE PONEY : On ne parle pas de Grace, mais de moi.

LE CACHALOT : Tu en es vraiment sûre ?

LE PONEY : Reprenons. Tu me trouves jolie donc ?

LE CACHALOT : Oui, très jolie.

LE PONEY : Et, tu m'aimes bien ?

LE CACHALOT : Oui, tu es très gentille.

LE PONEY : Ce n'est pas la question.

LE CACHALOT : En fait, en y réfléchissant bien, tu n'es pas très gentille.

LE PONEY : Comment ça, je ne suis pas gentille ?

LE CACHALOT : Non, tu as raison. Tu es gentille, toi, Lalila. C'est Grace qui est méchante de t'avoir coupé les cheveux et de m'avoir jeté à la poubelle.

LE PONEY : Pourquoi tu parles encore d'elle ?

LE CACHALOT : Tu es jalouse ?

LE PONEY : Pourquoi je serais jalouse ?

LE CACHALOT : Parce que, tu m'aimes bien toi aussi, peut-être ?

LE PONEY : Oui c'est vrai. Je t'aime beaucoup. Tu voudrais être mon fiancé ?

LE PAPILLON : Recalée Lalila ! C'est lui qui t'a dit qu'il t'aimait bien en premier, quasiment. Ce n'était pas ce que j'avais demandé.

LE PONEY : Si. C'est exactement ce que tu as demandé. Tu voulais qu'il t'avoue ses sentiments lui avant que tu ne t'engages toi. Donner juste assez pour qu'il emmène le sujet lui-même.

GRACE : Oui, peut-être. Ça serait mieux. Mais je ne sais pas ce qu'il dirait lui, en vrai, pour moi. Tu recommences.

LE PONEY : Cachalot, il faut que je te parle. Tu es un jouet très lisse et brillant. Moi aussi je suis un jouet, et j'ai des paillettes. On est tous les deux arrivés dans le coffre à jouets il y a six ans, et depuis on ne s'est jamais disputés. C'est vrai qu'on ne s'est pas beaucoup parlé, en même temps. Mais je t'ai observé. Je t'ai observé, et je crois que tu es un jouet amusant. Après tout, pour un jouet, être amusant, c'est la plus grande qualité. C'est plus important que d'être lisse et brillant, d'ailleurs. Pour un cachalot en tout cas. Alors, je me disais, que, peut-être, on pourrait jouer un peu plus ensemble, toi et moi. Je sais qu'il y a quelques temps tu m'as proposé de chasser des poissons pour moi. Et je ne t'ai pas répondu. Désolée. C'est parce que j'ai eu peur. Je ne savais pas quoi te répondre. La vérité, c'est que je ne veux pas que tu chasses des poissons pour moi. C'est pêcher. Je ne veux pas que tu pêches des poissons pour moi. Je veux qu'on pêche des poissons ensemble, toi et moi. Ou, non. Pêcher, c'est mal. Je préférerais faire autre chose avec toi. Ça fait quoi les jouets ?

GRACE : Tu es nulle Lalila. Tu sais que je ne serai jamais capable de lui dire ça. Je n'aime pas tes conseils. Ton cachalot va retourner à la poubelle. Et moi, je vais arrêter de jouer avec des jouets. C'est vraiment trop stupide. J'espère que ma maman ne nous a pas entendues. Parce que, sinon, elle va vouloir se mêler. Et elle va me foutre la honte. Je voulais écrire un journal moi. Mes copines, elles écrivent un journal. Mais je sais que Maman elle fouille. C'est pas juste. Elle pose des questions à mes copines, et elle fouille dans mes affaires. Je suis grande pourtant. Enfin, si j'étais vraiment grande, je ne parlerais pas avec des jouets. Mais c'est drôle. Ça faisait longtemps que je n'avais pas joué avec des jouets. C'est drôle. C'est comme écrire une pièce de théâtre, sauf que là, la pièce disparaît dès qu'on l'a jouée. Je ne vois pas en quoi c'est stupide en fait. Pourquoi c'est pour les enfants ? Jouer avec des jouets ou jouer une pièce de théâtre, quelle différence ? ce n'est pas plus stupide. C'est juste qu'il n'en reste rien. Peut-être que quand on grandit on n'aime pas que les choses disparaissent. Mais moi, j'aime bien. J'aime bien que les choses soient invisibles. Sauf mes cheveux. Je n'aime pas qu'ils disparaissent. Mais sinon, ça fait du bien. Ça fait du bien un souvenir juste à soi-même. Ça fait du bien un secret. Je ne pourrais pas supporter si Maman, ou qui que ce soit, avait accès à toutes mes pensées. Ce serait comme si je n'existais pas plus que toi, Lalila.

LE PONEY : Tu sais quand même que si tu racontais à quelqu'un ce que tu viens de faire, il te prendrait pour une folle ?

GRACE : Je ne suis pas folle pourtant. Je ne vois pas pourquoi c'est plus fou de parler toute seule que de parler à des gens et ne pas écouter ce qu'ils répondent. C'est ce qu'ils font tous ; tous les autres. Ils parlent, ils s'écoutent parler, et au lieu d'écouter ce que les autres répondent ils se répondent à eux-mêmes. Autant parler toute seule. Si je demandais conseil, je n'écouterais que les idées avec lesquelles je suis déjà d'accord. Alors autant me demander directement mes propres conseils. Ça m'évitera d'être ridicule pour rien. Et ça m'évitera de vexer les gens en refusant leurs conseils s'ils sont nuls. Non, je ne suis pas du tout folle. Jouer, c'est juste comme penser ou parler. Qu'est-ce que ça change que ce soit à voix haute avec des jouets dans les mains plutôt que toute seule dans ma tête ? C'est juste plus amusant et créatif comme ça.

LE PONEY : Pourquoi tu te justifies ? On ne se justifie que quand on sait qu'on a tort.

GRACE : C'est faux. On se justifie quand on sait que les autres penseraient qu'on a tort.

LE PONEY : Tu as raison.

GRACE : Qu'est-ce que ça peut bien me faire, que toi tu penses que j'ai raison ? Tu es moi-même.

LE PONEY : Justement, je suis la personne la plus proche de toi, donc ça devrait avoir encore plus de valeur que si c'était quelqu'un d'autre.

GRACE : Je suis jolie même avec les cheveux courts, Lalila ?

LE PONEY : Non. Tu n'aurais jamais dû écouter les conseils de ta maman.

GRACE : Et Antonin, tu crois qu'il m'aime bien ?

LE PONEY : Jamais de la vie.

GRACE : Pourquoi il m'a écrit ce mot alors ?

LE PONEY : Probablement pour se moquer de toi.

GRACE : J'ai changé d'avis Lalila ; tu es méchante en fait.

LE PONEY : C'est le cachalot qui pensait que j'étais gentille ; pas toi.

GRACE : Ton cachalot il est à la poubelle. Et toi, je ne te parle plus. Autant penser toute seule dans ma tête.

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