Appartement 6 : Un premier rendez-vous chez Praline

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PRALINE : Bonjour. Enchantée. Désolée d'avance si je suis un peu gênée. Tu peux t'asseoir... Ah, mais ce n'était pas la peine d'apporter quelque chose. Quoi que, maintenant que j'y pense, je n'avais pas grand chose à te proposer à boire à part du jus d'orange. Tu as bien fait en fait.

L'INVITÉ : Bonjour Praline. De rien.

PRALINE : Je n'ai pas dit merci.

L'INVITÉ : Je sais. Si tu es trop gênée, à n'importe quel moment tu peux me demander de partir. D'accord ?

PRALINE : Non, je pense que ça va aller. Après tout je n'étais pas gênée samedi dernier. C'est ridicule.

L'INVITÉ : Le contexte est différent. Un premier rendez-vous, avec un presque inconnu en plus, c'est toujours gênant.

PRALINE : Ça veut dire que ça l'est pour toi aussi ?

L'INVITÉ : D'habitude, oui. Mais là, non. Tu es différente.

PRALINE : Ce n'est pas en me faisant des compliments et en énonçant des phrases clichées que tu vas diminuer ma gêne. Au contraire.

L'INVITÉ : Tu es moins gênée quand tu attaques, hein ? Tu as le droit. Mais je suis sincère. Tu as quelque chose de différent. Tu es plus naturelle, ou plus directe peut-être. Ça rend les choses mois gênantes. Mais ça crée un inconfort différent. C'est déstabilisant ; désarmant même. Mais, curieusement, j'aime bien.

PRALINE : Mouais, je ne suis pas convaincue. Je crois qu'il y a toujours quelque chose de faux dans ce genre de situation. On n'est jamais vraiment naturel. Il y a toujours une part de joué ; un nouveau rôle qu'on se crée. On a envie de plaire, on choisit comment on aimerait que l'autre nous voit et on se présente ainsi. Ce n'est pas de la fausseté et de la manipulation, pas nécessairement, mais ce n'est jamais naturel non plus, quoi qu'on veuille se dire.

L'INVITÉ : Et comment tu voudrais que je te voie ?

PRALINE : Déstabilisante de naturelle et directe au point d'en être désarmante.

L'INVITÉ : Ça tombe bien, alors.

PRALINE : Ou alors tu es juste doué pour deviner ce que j'aimerais que tu vois.

L'INVITÉ : C'est assez particulier quand même, de vouloir mettre l'autre dans une position inconfortable.

PRALINE : Ce n'est pas nécessairement inconfortable, d'être désarmé. La stabilité, c'est le rôle prévu. Les armes, ce sont les masques. Si tu les fais tomber, c'est gagné. Si je ne te permets pas de les garder, alors, ce sera vraiment toi que je verrais. Peut-être que je ne te plairai pas, ou peut-être que tu ne me plairas pas. Mais au moins ce sera vraiment avec toi que j'aurais dîné. Pas avec une image.

L'INVITÉ : Tu disais tout à l'heure que c'était impossible.

PRALINE : Oui, c'est impossible. Mais j'aimerais bien que ce soit possible.

L'INVITÉ : Parce que si je laisse tomber mon masque, tu n'auras pas à porter le tien.

PRALINE : Au contraire. C'est en enlevant le mien que je compte faire en sorte que tu lâches le tien.

L'INVITÉ : Sauf que tu crois que c'est impossible.

PRALINE : C'est possible. Mais sous les masques il n'y a que d'autres masques. Donc c'est impossible.

L'INVITÉ : Et samedi ?

PRALINE : Samedi, c'était différent. Samedi, je n'étais pas venue dans l'optique de rencontrer quelqu'un.

L'INVITÉ : Tu es bien la seule à participer aux activités d'un club de rencontres pas dans l'optique de rencontrer quelqu'un.

PRALINE : Je t'ai déjà expliqué. Si je me connecte sur la page de mon nouveau quartier et que je vois une proposition de randonnée, je ne m'attends pas à ce qu'elle soit organisée par un club de rencontres. Et tu n'es pas en mesure de me faire des reproches, parce que toi tu n'avais pas remarqué que c'était un club de rencontres pour quarantenaires.

L'INVITÉ : Mais j'avais au moins remarqué que c'était un club de rencontres.

PRALINE : Et ça rend ça d'autant plus gênant. De savoir que tu as envie de trouver une copine, que tu fais en sorte de, que je ne suis pas la seule fille avec qui tu dînes comme ça et que peut-être tu tiens le même discours à d'autres.

L'INVITÉ : Peu de risque qu'une autre me donne l'occasion de tenir le même discours. Et oui, j'ai envie de rencontrer quelqu'un ; il n'y a pas de honte à ça. Je t'ai rencontrée toi. Samedi, tu m'as évité une randonnée gênante et ennuyeuse, et tu m'as donné une jolie journée à rire. Tu me plais, je ne le cache pas : tu es mignonne, amusante, directe, obstinée. Je ne te connais pas, et je ne sais pas si je vais te plaire ou même si toi tu vas continuer de me plaire ; comme tu l'as souligné tout à l'heure. Je ne sais pas, mais je voudrais le savoir. Alors je t'ai proposé ce rendez-vous. Maintenant, si ça te gêne trop, si tu n'es pas confortable avec ça, je peux repartir.

PRALINE : Si, bien sûr que ça me va. Je ne suis pas confortable, peut-être. Je n'aime pas ça. Je n'aime pas la façon dont les gens font des rencontres. Je n'aime pas la fausseté qui se glisse toujours dans toutes les relations humaines. Je n'aime pas le fait que j'aie envie de te plaire, parce que tu me plais bien toi aussi et ça m'empêche d'être aussi naturelle que j'aimerais pouvoir l'être. Mais je ne cherche pas à te faire partir. Je cherche juste à te dire ce que je ressens par rapport à tout ça ; parce que ça fait aussi partie de ma façon d'être naturelle.

L'INVITÉ : C'est vrai que j'ai eu l'occasion de croiser pas mal de personnes assez fausses, dans ce genre de contexte. Mais c'est amusant. Une fois, je me suis amusé à raconter des bobards à une fille pour voir jusqu'où elle me suivrait. Elle aussi adorait à la fois la musique classique et le générique de Dora l'exploratrice, pensait que les surimis étaient un met sous-estimé et que les pâtes étaient à vomir, ne se déplaçait qu'à vélo, ne lisait jamais un livre qui ait moins de vingt ans et adorait le tricot. Franchement, je pense que si je lui avais annoncé que pour m'amuser je torturais des petits chiots, elle m'aurait avoué qu'elle aussi.

PRALINE : Tu me racontes ça pour me prouver que tu es tellement un bon parti que les filles sont prêtes à tout pour te plaire ?

L'INVITÉ : Celle là était prête à tous les mensonges, assurément. Ce n'était pas du tout pour me plaire. Enfin ; ça m'a bien fait rire quand même. Mais il ne faut pas penser que tous sont aussi faux qu'elle. Ni que je dis ça pour me mettre en valeur. J'ai juste pensé que ça te ferait rire.

PRALINE : Ça ne me fait pas rire. Enfin si, un peu. Mais ça me dégoûte surtout de faire partie de la même espèce que ces gens là.

L'INVITÉ : Tu n'es pas de la même espèce ; ne t'inquiète pas.

PRALINE : Je parlais de l'espèce humaine.

L'INVITÉ : Ah ça, c'est vrai que dans un zoo elle serait la première attraction. Quand même bien plus drôle que des koalas ou des lions.

PRALINE : Ce n'est pas justement le principe de la télé-réalité que ce zoo humain ?

L'INVITÉ : Pourquoi le regarder à la télé quand on l'a partout autour de soi ?

PRALINE : En fait tu vas vers les sites et les clubs de rencontre pour te foutre de la gueule des gens ?

L'INVITÉ : C'est exactement ça.

PRALINE : Bah, sympa.

L'INVITÉ : Je plaisantais, Praline. J'aime bien rencontrer des gens. On a tous un mélange différent de jolies qualités et de défauts rigolos.

PRALINE : Je dirais plutôt un mélange de qualités rigolotes et de défauts honteux ou exaspérants.

L'INVITÉ : Quels sont les miens ?

PRALINE : Tu es dur à cerner. Plein de contradictions. Tu fais ce que tout le monde fait mais en même temps tu comprends ce que moi je pense de tout ça. Tu repères les défauts des gens mais tu as l'air de les en aimer encore plus. Et moi ?

L'INVITÉ : On dirait que derrière tout ce que tu dis il y a peut-être un reproche masqué ; on ne sait jamais si on doit se sentir visé ou pas.

PRALINE : Et tu trouves ça rigolo ?

L'INVITÉ : Très.

PRALINE : Ça te rend encore plus incompréhensible.

L'INVITÉ : Et mes qualités ?

PRALINE : Les compliments, ça ne se réclame pas.

L'INVITÉ : Si, la preuve. Et puis tout à l'heure moi je ne t'en ai bien donné. Alors je pourrais peut-être savoir pourquoi tu as accepté ce rendez-vous avec moi.

PRALINE : Peut-être parce que, toi, tu remarques la petite amertume qui se masque toujours derrière mes propos. Mais en même temps tu lui donnes le droit d'exister ; elle n'a pas l'air de vraiment te déranger.

L'INVITÉ : Tu n'as pas le droit de donner la même réponse pour les qualités et pour les défauts.

PRALINE : Et pourquoi pas ? Ça te rend incompréhensible, mais en même temps ça m'arrange bien. Tu n'as aucune amertume en toi et ça m'énerve mais en même temps j'ai besoin de ça. Donc, oui, c'est à la fois un plus et un moins. Les autres plus, c'est que je me sens bien quand je suis avec toi, je ne m'ennuie pas et pour tout te dire c'est assez rare. J'ai l'impression que je peux être moi-même et que toi non plus tu n'es pas faux. Et, ça va, je pense que c'est assez de compliments pour une première soirée.

L'INVITÉ : Un peu trop même. Je pense que, si on continue de se voir, là j'ai épuisé le stock pour l'année.

PRALINE : Je suis si peu aimable que ça ?

L'INVITÉ : Je ne sais pas encore s'il me sera possible de t'aimer.

PRALINE : Ce n'est pas ce que je t'ai demandé.

L'INVITÉ : Ce n'est pas ce que "aimable" veut dire ?

PRALINE : Oh ça va, tu as très bien compris. Je voulais demander si je suis vraiment si désagréable que tu sembles le sous-entendre.

L'INVITÉ : Je n'y vois aucun désagrément, personnellement. Mais je pense effectivement que tu n'es pas la personne la plus prodigue de compliments du monde.

PRALINE : Je ne suis pas aussi pralinée que mon prénom, c'est ça ?

L'INVITÉ : Tout à fait. Mais, personnellement, je préfère le chocolat noir.

PRALINE : Et les surimis, tu n'aimes vraiment pas ça du tout ? Parce que j'en avais acheté pour l'apéro.

L'INVITÉ : Si, j'aime bien. Mais je n'irais pas jusqu'à trouver que c'est un met sous-estimé.

PRALINE : Ouf. Et, il faut que je t'avoue, je ne me déplace qu'à vélo. Y vois-tu une objection ?

L'INVITÉ : Pas vraiment. Sauf que je comptais t'inviter chez moi pour notre deuxième rendez-vous, et que ça risque de faire un peu loin si tu t'interdis de prendre les transports en commun. Mais sinon, tant que tu ne tortures pas les petits chiots, tout va bien.

PRALINE : Ne t'inquiète pas, pas de torture dans mes loisirs. Juste de la danse endiablée sur le générique de Dora l'exploratrice.

L'INVITÉ : Ouhla, j'ai oublié de préciser, mais ouais ça non plus ça ne va pas du tout passer.

PRALINE : Je plaisantais.

L'INVITÉ : Je sais.

PRALINE : Et l'idée qu'on va avoir un deuxième rendez-vous, tu la sors d'où ?

L'INVITÉ : De tous les compliments que tu viens de me faire.

PRALINE : Je savais bien que je n'aurais jamais dû.

L'INVITÉ : Après, si tu ne veux pas de deuxième rendez-vous, tu as encore largement le temps de trouver des choses à me reprocher. Après tout, on n'en est même pas encore à l'apéro.

PRALINE : Tu m'as l'air bien pressé d'avoir ces surimis, décidément.

L'INVITÉ : Bon, j'avoue, j'avoue ; pour les surimis j'étais sincère. Je ne sais pas pourquoi mais j'adore vraiment ça. Pour le reste c'était juste pour la faire marcher. Elle partageait ma passion pour les surimis, ça m'a semblé suspect.

PRALINE : Je vais te les chercher tes surimis. Et le reste aussi. Si jamais tu n'aimes pas quelque chose, n'hésite pas à me le dire. Je ne fais pas partie de ces personnes qui pensent que la compatibilité repose sur les goûts communs. Enfin, pas sur des choses anecdotiques comme les goûts culinaires ou les couleurs en tout cas. Au contraire, si tu n'aimes pas quelque chose que j'aime, ça en fera juste plus pour moi.

L'INVITÉ : Et, s'il y a des choses que je n'aime pas, ça me donnera une excuse pour manger plus de surimis que toi.

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