Appartement 7 : Un autre départ en soirée chez Lionel et Victoria
LIONEL : Encore une super soirée en perspective !
VICTORIA : Oh, ça va ; ce ne sont que mes parents. Moi, ça me fait très plaisir d'aller dîner chez eux.
LIONEL : C'est normal : tu es parfaite à leurs yeux. Moi, il faut sans cesse que je fasse attention à être à la hauteur ; à donner l'image du gendre idéal.
VICTORIA : Je t'ai déjà dit mille fois que je n'en avais rien à faire. Sois toi-même et ils verront bien que tu es idéal pour moi. Pas besoin de faire semblant de quoi que ce soit ; vu que c'est juste la vérité.
LIONEL : D'une, ça reste à prouver. De deux, ce n'est pas parce que c'est la vérité qu'il suffit de ne pas faire attention pour qu'elle transparaisse. Si on ne fait pas attention, les gens peuvent se méprendre quand même.
VICTORIA : Si tu n'as rien à cacher, tu n'as pas à faire semblant. Tu as le droit de dire tout ce que tu penses, de réagir naturellement, d'exprimer tout ce qui te passe par la tête. Si tu ne fais pas attention, tu seras ce que tu es au fond de toi. Et ce que tu es au fond de toi est idéal pour moi.
LIONEL : Tu dis ça parce que le naturel est ton mode par défaut. Ce n'est pas le cas pour tout le monde. Moi, si je ne fais pas attention, la première chose qui sortira de ma bouche, ce sera juste la chose que j'ai l'impression qu'on veut m'entendre dire.
VICTORIA : Donc, ce que tu me dis c'est que quand on va chez mes parents tu dois faire des efforts, mais que si tu ne fais aucun effort tu diras ce qu'ils veulent entendre ? Ce n'est pas logique. Tu dis que c'est pour leur plaire que tu fais des efforts mais que pour dire ce qui leur plaira tu n'as pas besoin de faire des efforts.
LIONEL : Je pourrais très bien me tromper sur l'impression que j'ai de ce qu'ils voudraient entendre. Je dois faire des efforts pour checker. Mais une fois que j'ai une idée de ce qu'ils veulent, m'adapter vient naturellement.
VICTORIA : Quitte à faire des efforts, tu ferais mieux d'en faire pour arrêter de t'adapter et montrer qui tu es vraiment.
LIONEL : C'est facile à dire pour toi, qui n'a qu'à dire tout ce qui te passe par l'esprit pour recueillir leur admiration. Si moi je disais toutes les bêtises qui me viennent, crois-moi que ce n'est pas de l'admiration que je recevrais en retour.
VICTORIA : Moi j'aime bien toutes les bêtises qui te viennent. Et, d'ailleurs, ce ne sont pas des bêtises. Je m'en fiche de comment mes parents te jugeront : ce qui m'intéresse c'est qu'ils voient qui tu es vraiment et pas ce stupide masque que tu affiches avec tout le reste du monde. Tu ne les aimes pas ou quoi ?
LIONEL : Mais si, je les aime bien tes parents. Mais ça reste mes beaux-parents ; notre relation sera toujours une relation de jugement et pas une relation d'amour.
VICTORIA : Le jugement et l'amour ne sont pas incompatibles.
LIONEL : Heureusement, sinon tu ne m'aimerais pas.
VICTORIA : Ça veut dire quoi ça ? Que je te juge trop ?
LIONEL : Tu es quelqu'un qui juge, c'est comme ça. Je m'y suis fait. Mais oui, c'est pesant parfois. Tu juges sur tes propres critères ; l'authenticité et tout le tralala. Et je sais bien ce que tu penses : tu te dis que si avec toi je suis naturel, c'est parce que je me sens bien, aimé, libre, et que je n'ai pas besoin de faire semblant. Sauf que des fois il y a ce paradoxe qui me hante : est-ce que ce naturel n'est pas un faux semblant ? Si tu attends de moi de l'authenticité, mon authenticité n'est-elle pas juste de l'adaptation à tes attentes ? C'est toujours du faux semblant, sauf qu'au lieu de faire semblant d'être parfait, je fais semblant d'être naturel.
VICTORIA : En fait, finalement, oui, ce sont des bêtises qui te viennent. On ne peut pas faire semblant d'être naturel. Peut-être que, oui, si tu peux te permettre d'être naturel envers moi c'est parce que je n'attends pas autre chose de toi. Mais ça ne rend pas cette authenticité moins réelle pour autant. Tu peux te l'offrir parce que je te laisse l'espace de liberté de le faire.
LIONEL : C'est surtout à toi que je l'offre.
VICTORIA : Ça ne te fait pas plaisir de pouvoir être toi-même ?
LIONEL : Plaisir ? Non, ça ne fait pas plaisir. Je ne connais rien de plus flippant. C'est facile d'identifier les attentes et d'y répondre. C'est facile et on sait à quoi s'attendre. Mais identifier ce que l'on a vraiment envie de dire et d'être ? Ça laisse beaucoup trop de possibilités. Ça laisse trop de possibilités entre lesquelles choisir. Et en plus de ça on n'a pas idée de comment les gens vont réagir. Puis, cerise sur le gâteau, leur réaction sera beaucoup plus blessante ; parce que ça ne sera pas leur réaction à une tentative stratégique d'adaptation avortée, mais une réaction à un choix personnel et réellement impliquant. Tu ne rends pas compte de la difficulté de ce que tu me demandes.
VICTORIA : Peut-être que c'est compliqué, quand on n'en a pas l'habitude. Mais ce n'est qu'au prix de cette complexité qu'on est réellement humain ; qu'on est réellement qui que ce soit. Et, au fond de toi tu le sais ; sinon tu ne serais pas avec moi.
LIONEL : Tu es toujours tellement sûre de tout. De toutes tes interprétations et de tous tes choix. Mais moi, je ne suis pas comme ça. Toi, tu peux peut-être te permettre de suivre tes envies ; parce que tu es sûre de toi, sûre d'avoir raison dans toutes tes idées. Moi, je ne suis jamais sûr de rien. Quant tu me dis qu'au fond de moi je veux la même chose que toi, je ne peux pas m'empêcher de penser que peut-être tu te leurres complètement. Mais toi, tu as toujours une foi absolue en tout.
VICTORIA : Pas en tout, non. Mais j'ai foi dans le fait qu'être soi-même est la seule manière d'être qui donne du sens à la vie. Et j'ai foi en nous ; je suis absolument convaincue que ton amour est réel et que si tu m'aimes c'est parce que tu es capable de voir la raison dans le choix d'être que j'ai fait.
LIONEL : Le choix d'être ?
VICTORIA : Tu comprends très bien. La personne que je suis, c'est moi qui l'ai choisie. Et si tu es tombé amoureux de cette personne et pas d'une autre, ça veut forcément dire quelque chose sur la personne que tu es toi, ou que tu veux être au fond de toi.
LIONEL : Je suis juste incapable d'en être aussi convaincu que toi.
VICTORIA : Parce que tu es incapable d'avoir confiance en toi.
LIONEL : Tu veux être je ne sais pas quoi exactement, mais autre chose que tout le monde. Peut-être même que tu as raison, que c'est ce qu'il y a de mieux à faire de sa vie et que tu en es capable. Mais moi, non. Moi, je ne serais jamais qu'un gars comme tout le monde.
VICTORIA : Seulement si tu ne crois pas que tu es capable d'autre chose. Mais, si tu ne t'en croyais vraiment pas capable, tu ne m'aurais pas choisie moi.
LIONEL : Et tes parents en pensent quoi ?
VICTORIA : Mes parents n'ont pas à en penser quoi que ce soit. Je ne parle pas de ça avec eux. Je t'ai choisi toi et ça doit leur suffire pour croire que tu es celui qu'il me faut. Je ne sais pas si c'est ce qu'ils pensent ou pas, et je m'en fiche complètement. Ils me connaissent assez pour savoir que je ne suis pas avec toi pour ta capacité d'adaptation et ta fiche de poste. Vu ce que tu leur montres, je me demande ce qu'ils s'imaginent sur la raison qui m'a poussée à t'aimer. Mais ils me connaissent assez pour savoir que si je vais t'épouser c'est parce qu'il y en a une, et que même s'ils ne la voient pas elle existe là quelque part.
LIONEL : Je ne la vois pas plus qu'eux.
VICTORIA : Mais ça, c'est juste parce que tu refuses de la regarder.
LIONEL : Ils voient que je suis un gars responsable, serviable, que je parle avec respect, qu'on peut compter sur moi, que je suis attentionné, que je veux ton bonheur. Tu ne vas pas me faire croire que ça t'est indifférent, que tu préférerais que je ne donne pas cette image de moi. Et tu ne vas pas non plus me dire que tout ça c'est de la fausseté. Ce n'est pas de la fausseté ; tout ça ça fait vraiment partie de qui je suis. Mais ce n'est pas pour autant que je n'ai pas à faire d'efforts pour être ce gars là.
VICTORIA : Bien sûr que tu es ce gars là. Et, non, tu n'as pas à faire d'efforts pour l'être. Mais tu as à faire des efforts pour n'être que ça. Tu y tiens tellement que tu penses que si tu montres autre chose que ça cette image là disparait. Tu as l'impression de faire des efforts parce que tu fais des efforts pour filtrer le reste. Tu te refuses de me tenir tête comme tu le fais quand on est seuls ; parce que tu crois que si tu me réponds ils vont penser que tu ne m'aimes pas ou que tu ne veux pas me rendre heureuse. Ce qui est ridicule ; vu que je ne serais pas heureuse si tu disais juste Amen à tout ce que je dis moi.
LIONEL : C'est sûr que s'ils nous voyaient nous disputer, ça les rassurerait probablement.
VICTORIA : Ils n'ont pas besoin d'être rassurés. Ils me font confiance pour faire mes propres choix.
LIONEL : Ils auront quand même une opinion sur ce choix. Et, personnellement, je me sentirais mieux si cette opinion est favorable. Même si, toi, tu t'en fiches.
VICTORIA : Bien sûr que je ne m'en fiche pas. Ce sont mes parents ; j'ai envie qu'ils sachent que je suis bien, heureuse, qu'ils n'ont pas à s'inquiéter pour moi. Mais j'ai aussi envie qu'ils sachent ce que je suis en vrai. Je n'ai pas envie qu'ils pensent que je suis ta princesse comme j'étais la leur. J'ai envie qu'ils sachent que notre relation est sincère, égalitaire. Je n'ai pas envie qu'ils croient que tu me vois juste parfaite. J'ai envie qu'ils sachent que je suis une fille qui aime ; qui aime vraiment. Qui est capable d'aimer et comprendre quelqu'un différent d'elle. Pas juste une fille qui est aimée par un gars qui la croit parfaite et qu'elle aimerait juste parce qu'il pense qu'elle a raison sur tout.
LIONEL : Donc, en fait, tu t'en fiches de l'image qu'ils ont de moi juste parce que tu préfères qu'ils aient une bonne image de toi-même que de moi ?
VICTORIA : Ce n'est pas du tout ça. J'ai juste envie qu'ils aient une image qui correspond à la réalité de ce que nous sommes.
LIONEL : Mais c'est un petit peu ça quand même... Tu sais quoi ? Je viens de trouver un argument infaillible qui détruit toute ta théorie. Tu dis que si j'étais juste moi, naturel, ça suffirait pour que tes parents m'aiment. Sauf que si j'étais vraiment moi, naturel, ce soir je resterais à la maison au lieu d'aller dîner chez eux. Ça fait partie de moi naturel, de n'avoir aucune envie d'aller chez tes parents et de m'imposer ça. Ils penseraient quoi de ça ?
VICTORIA : Sauf que ça fait aussi partie de toi d'avoir envie de plaire à mes parents et de me faire plaisir en m'accompagnant chez eux.
LIONEL : Oui, ça fait partie de moi. Ça fait partie de mon naturel que ce non-naturel que tu me reprochais au début de cette conversation, et que tu me reproches toujours d'ailleurs. Ta mauvaise foi est bluffante.
VICTORIA : C'est la tienne qui est bluffante. Je n'ai jamais dit qu'être naturel c'était ne jamais faire aucun effort.
LIONEL : Si, tu l'as dit.
VICTORIA : Peut-être que je l'ai dit. Mais ce que je voulais dire, c'est juste d'arrêter de filtrer les paroles et les comportements que tu ne filtrerais pas s'ils n'étaient pas là.
LIONEL : Alors, je t'embrasserais dix minutes au beau milieu du repas, et je me barrerais au milieu de la soirée pour aller poser mes fesses dans le canapé.
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